L'accueil contrasté de la réforme en Poitou, Saintonge et Angoumois
Le serment révélateur de lignes de fractures face à la révolution
Face au serment qui manifeste un adhésion au nouveau régime et à ses principes, "le curé se trouve face à un choix fondamental dépassant largement son option personnelle étant donné son rôle culturel et social essentiel dans la société française du XVIIIème siècle[1]".
Le milieu ambiant joua un rôle prépondérant dans le choix du prêtre de jurer ou de ne pas le faire. Ainsi, dans une région déchristianisée et favorable à la révolution, il ne pouvait que prêter serment, sous peine de se couper de sa paroisse et d'y perdre toute influence. Les curés citoyens "se convertissent en médiateurs sociaux, en tuteurs et en serviteurs de la communauté villageoise[2]"
Au contraire, dans des localités où une majorité hostile à la révolution commençait à se dégager, le curé suivit généralement ses paroissiens.
A Saint-Pierre-les-Echaubrognes dans la Gâtine deux-sévrienne, les paroissiens affirment que si leur curé prêtait serment, ils lui passeraient trois balles dans la tête.
Le choix des prêtres fut aussi influencé par certains de leurs confrères voire de leur évêque ou bien encore il fut effectué collectivement, se démarquant parfois d'une collectivité villageoise, qui a pu être elle-même violemment partagée sur cette question, donnant naissance dans certains cas à l'émergence de deux camps irréconciliables[3].
Le choix étant finalement individuel, des cas de conscience se révélèrent, tel le curé niortais Goizet qui affirma "j'ai prêché le patriotisme et l'ai fait envisager comme une grande vertu du christianisme. J'ai obéi à tous vos ordres et à ceux de l'Assemblée nationale. Je voudrais encore le faire en ce moment mais c'est un effort dont je suis incapable. Il m'est impossible de faire un serment contraire à ma conscience; car autant je suis attaché à la Nation à la Loi et au Roi, autant et plus je le suis à mon Dieu, à ma religion, à ma foi et à mon peuple".
[1] Jacques Peret "La terreur et la guerre. Poitevins, Charentais et Vendéens de l'An II" page 43. Les développements qui suivent sont tirés de cet ouvrage.
[2] T. Tackett "La révolution, l'église et la France" mentionné par Jacques Péret dans l'ouvrage précité dans la note précédente.
[3] Dans les localités à forte densité de prêtres réfractaires de la future Vendée militaire selon Jacques Péret.
Image satyrique de la révolution intitulée "moyen de faire jurer les évêques et les curés aristocrates
Une atteinte portée aux cadres traditionnels génératrice d'affrontements
La carte de l'opposition à la Constitution civile du clergé préfigure en grande partie la Vendée militaire qui se soulèvera au printemps 1793. Bien que la question religieuse n'est qu'un des éléments explicatifs de l'insurrection, elle n'en demeure pas moins une pièce importante.
En effet, plus qu'une réorganisation, cette réforme porta un coup aux structures traditionnelles de ces paroisses de l'Ancien régime qui n'avaient pas encore opéré les mutations dont était porteuse la révolution.
En fonctionnarisant le prêtre au nom de la souveraineté de la Nation, la réforme remettait profondément en cause le cadre culturel et social de certaines collectivités villageoises et le rôle essentiel joué par le curé en leur sein.
Aussi, la réaction des paroissiens sera à la mesure de cette perte et alimentera par contrecoup la réaction des cadres locaux de la révolution qui se méprirent sur le phénomène qu'ils analysaient comme un complot contre-révolutionnaire mené par les prêtres réfractaires.
Bon nombre de ceux-ci ne furent apparemment pas des agitateurs et ont tenté de calmer le jeu.
Ainsi ces prêtres réfractaires d'Anjou qui écrivirent au Roi en février 1792 "nous avons contenu le peuple et, honorés de sa confiance, nous l'avons jusqu'ici empêché de franchir les bornes d'une résistance passive. Mais Sire, si on nous éloigne de lui, si on l'abandonne à l'indignation et au désespoir que peuvent lui causer la nouvelle persécution qu'on nous prépare et une plus longue privation de tous les secours de la religion, qui peut prévoir et qui peut calculer les excès auxquels il peut se porter?"[1].
Au début, les prêtres réfractaires furent dans l'ensemble tolérés mais très vite et compte-tenu du soupçon de menées contre-révolutionnaires, ils firent l'objet de mesures particulières[2], puis ils furent expulsés pour être remplacés désormais systématiquement par des prêtres jureurs en 1792[3].
Venus de l'extérieur et parfois imposés aux paroissiens par la garde nationale[4], ces derniers furent ostensiblement rejetés. Leurs églises furent désertées (on passe de 12 mariages par an à 3 en 1791 à Chanteloup en Gâtine deux-sévrienne) et ils furent confrontés à des brimades, insultes et violences.
Il est utile de souligner qu'un mouvement de déchristianisation se met en place, appuyé par certaines mesures de la nouvelle Convention (1792-1795) qui auront pour but - sinon comme conséquence - de faire disparaître aussi en grande partie l'église constitutionnelle, avec des lois emblématiques comme la loi du 22 novembre 1793 (abjuration publique de la fonction ecclésiastique contre une pension annuelle) ou bien le décret du 18 septembre 1794 (suppression du budget du culte par décret, probablement pour des raisons budgétaires la priorité étant donnée à la guerre).
Ce n'est qu'en rétablissant la liberté de culte[5] par l'adoption du décret de février 1795, que la Révolution mit un terme à ces tentatives de refondation religieuse qui virent cohabiter culte de la Raison et de l'Etre suprême, culte des martyrs de la liberté et Théophilantropie.
Parallèlement, certains paroissiens de la Vendée militaire se détournèrent non seulement de l'Eglise constitutionnelle mais aussi de l'enregistrement des actes auprès de l'état civil, nouvellement institué par décret du 20 septembre 1792.
L'enregistrement des actes par le curé réfractaire caché par ses paroissiens est effectué clandestinement, certains procédant aussi malgré tout à la déclaration auprès de l'officier d'état civil tandis que d'autres s'en abstenaient.
Mes ancêtres ayant appartenu à la Petite église semblent être dans ce cas là. Joseph Diguet et Jeanne Daniau son épouse se marièrent vraisemblablement vers 1797 sans que la trace de ce mariage soit identifiable à Cerizay où ils demeuraient. La naissance de leur premier fils, Joseph, est consigné uniquement dans le registre de catholicité de Combrand.
En revanche, lorsque naquit leur second fils Louis Auguste en 1805, il fut déclaré à l'état civil à Cerizay. Il est vrai qu'à cette époque, la Petite église se trouve à l'époque pourchassée par l'autorités administrative et épiscopale, ce qui explique peut-être le souci de passer inaperçu.
[1] Cité par Alain Gérard dans "La Vendée 1789-1793" (p.48).
[2] Décision du 19 juin 1791 de poursuivre tous les anciens fonctionnaires ecclésiastiques ayant continué leurs fonctions après leur remplacement et privation du traitement de ceux qui rétracteraient le serment - tous les réfractaires sont déclarés suspects et privés de la liberté de culte (loi du 29 novembre 1791).
[3] Une nouvelle mesure de serment est prise le 14 août 1792 qui impose le nouveau serment "liberté-égalité" imposé à tous les fonctionnaires dont les ecclésiastiques - loi du 26 août 1792 : les anciens et les nouveaux insermentés doivent quitter le pays dans les huit jours sous peine de déportation en Guyane.
[4] Successeur de la garde bourgeoise de l'ancien régime qui défendait les biens et les personnes, la garde nationale apparaît avec la révolution dans les villes et les bourgs et à pour vocation de défendre la révolution et de maintenir l'ordre public.
[5] Avec beaucoup de limites puisque les desservants ne peuvent être salariés, aucun local ne leur est affecté, leur culte ne doit pas concerner de signes extérieurs et ils sont surveillés par les autorités locales.
Image satyrique allemande de Napoléon "Voici mon fils bien aimé qui m'a donné le plus de satisfactions"