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Aussi loin que je me souvienne...

Depuis aussi loin que je me souvienne, j’aime les histoires.

 

Ce goût m’a conduit vers l’Histoire, grâce aux manuels de l’école primaire des années 60 qui nous entraînaient dans ces tentatives de reconstitution de la vie quotidienne des Gaulois et autres Vikings.

 

Les illustrations étaient sommaires et l’auteur concédait quelques incursions dans les biographies stéréotypées de ces héros qui ont fait la France : Vercingétorix, ce noble perdant, Jeanne d’Arc, cette fille du peuple qui remet son roi sur le trône ou bien ce jeune révolutionnaire de 15 ans qui sera assassiné par ces Vendéens obtus pour avoir clamé avec défi : « vive la République, à bas le Roi ».   

 

Vers l’âge de 14 ans, j’ai accompagné les premiers pas de ma mère dans la généalogie, à travers les registres paroissiaux de la petite mairie du village natal de bon nombre de ses ancêtres.

 

Je crois que j’aimais à la fois l’enquête poursuivie et le déchiffrage de ces actes d’état civil, me prenant sans doute un peu pour Champollion qui a trouvé les clés pour décrypter un monde lointain d’histoires quotidiennes.

 

Si loin et si proche, à l’instar de ce que nous racontent les graffitis de Pompéi.

 

Les actes notariés ont permis ensuite d’entrevoir un peu plus les personnes cachées derrière ces lignées et ces dates et m’ont amené à chasser les singularités au-delà des formules très classiques que l’on y trouve. Cette quête permet parfois de glaner quelques pépites comme cette lettre de Paris d’un orfèvre à sa femme aux fins de l’autoriser à prendre un bail et dans laquelle il se répand sur ses déboires judiciaires.

 

A partir de ces éléments épars, je trouve passionnant d’échafauder et d’ajuster des hypothèses à partir des éléments rassemblés et confrontés avec la grande histoire, dans un constant va-et-vient.

 

Dans ce travail, certains détails initialement négligés prennent un sens particulier tandis que d’autres n’ont pas le relief qu’ils promettaient au départ.

 

Ces très modestes assemblages permettent de donner un peu de chair à ces noms et d’esquisser certaines histoires singulières. C’est ce que je me propose de faire très modestement dans ce blog, tenter d’éclairer des fragments de vie de mes ancêtres, à la lumière de la grande histoire.

 

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11 février 2024 7 11 /02 /février /2024 20:14

Cet épisode singulier de l’histoire de France (et de Pologne par la même occasion) est méconnu alors même qu’il présente toutes les caractéristiques d’une aventure rocambolesque, avec une part de farce et de tragi-comédie digne d’intérêt. Du début à la fin, l’aventure est haute en couleurs. 

 

Déjà, ce qui est frappant c’est le caractère improbable et somme toute assez fou de ce projet qui germa à la Cour de France, en ces temps de guerre civile où Catherine de Médicis et le roi Charles IX avaient pourtant bien d’autres chats à fouetter que de faire élire le fils chéri (et le frère encombrant) sur le trône de Pologne.

 

Deux royaumes éloignés, mal connus et probablement exotiques l’un pour l’autre en cette période comprise entre 1572 et 1574, c’est le point de départ de l’aventure.

 

Paris-Varsovie par les routes d’aujourd’hui, c’est 1650 kilomètres et pas mal d’heures en voiture. A l’époque, un voyage sans encombre devait prendre un bon mois et demi d’aventures sur des routes peu sûres. Il y avait pourtant des liens entre les deux nations grâce à une poignée d’individus : des ambassadeurs, des étudiants et souvent une seule langue commune entre les élites, le latin. Il convient de préciser à cet égard que les deux royaumes avaient appris à se connaître, étant donné leurs situations respectives : l’un et l’autre pris entre différentes menaces extérieures avaient déjà compris l’utilité d’alliances de revers. 

 

De cet épisode, j’avais un souvenir de classe très vague mais si je n’avais pas croisé par hasard le récit publié en 1574 de Jehan Choisnin, un des  protagonistes de cette équipée en sa qualité de secrétaire particulier de l’évêque de Valence, Jehan de Montluc, je ne me serais pas penché sur cette affaire. Et puis, comme Jehan Choisnin « de Chatelleraud » (comme il se désigne lui-même) fut très probablement un cousin d’un très lointain ancêtre, je voulus savoir qui était-il et ce qu’il allait faire dans cette galère.

 

De fil en aiguille, l’enquête rejoignit la grande histoire et je ne résiste pas à commencer par elle, avant de vous emmener dans un article prochain sur les hauts et les bas de la famille Choisnin. Mais place à cette aventure !

 

Bien évidemment anachronique mais beau quand même

Le futur roi en partance pour son couronnement en Pologne mais ne brûlons pas les étapes ...

Le futur roi en partance pour son couronnement en Pologne mais ne brûlons pas les étapes ...

A vaincre sans péril on triomphe sans gloire 

 

Le récit de Choisnin est précédé d’un avant-propos daté du 16 mars 1574 adressé à la Reine Catherine de Médicis, dédicace dont l’auteur s’explique à la fin de ce court texte car elle fut (ou en tout cas présentée comme telle), l’inspiratrice de cette candidature à l’élection et c’est elle qui nomma Jehan de Montluc, l’évêque de Valence comme négociateur à cette fin.

 

Cette introduction courte expose à la Reine et, à travers elle au lecteur, l’origine et l’intention du récit. Elle est habilement construite en trois temps, qui préparent en quelque sorte au récit de l’aventure.

 

Dans un premier temps, l’auteur affirme que l’intention première de l’évêque de Valence était de ne pas faire de publicité autour de ce succès afin de faire taire les jaloux c’est à dire « ceux qui volontiers s'occupent à contrôler les actions d’autrui ». Bref, le triomphe devait être modeste et pour cette raison, il défendit « à nous qui avions esté avec luy de ne communiquer à personne, ce que ja nous avions escript de son voyage ».

 

Las. Les gens mal intentionnés à l’encontre de son maître Jehan de Montluc et « les estrangers mal affectés [1]» à la Couronne qu’il servait, eurent tôt fait par « divers moyens (de) calomnié l’election qui avoit esté faicte », de diminuer l’indépendance et les mérites des électeurs polonais comme du roi élu lui-même et, par voie de conséquence, la légitimité et l’éclat de l’élection.

 

Bien que cette chose était « notoirement faulse et qu'elle ne meritoit qu'on y fist aucune response, toutesfois le Roy[2], en prince sage et avisé »  « prevoyant que ce faux bruit prendroit telle racine que ceux qui escrivent l’histoire de nostre temps, comme mal informés pourroient authoriser et confirmer ladicte calomnie », la situation commanda à l’évêque de Valence de rétablir la vérité, tâche que ce dernier confia à Jehan Choisnin, son secrétaire.

  

Tout en étant enlevé et riche en rebondissements de dernière minute, le récit de Jehan Choisnin qui s’ensuit est factuel et précis et ressemble parfois à un manuel de négociation. Il nous narre l’histoire d’un succès, d’autant plus retentissant que le terrain fut semé d’embûches du début à la fin. Il s’autorise seulement quelques digressions touristiques et aussi sur l’accueil et la civilité de la noblesse polonaise à leur égard[3] .

 

Tout au long de l’ouvrage, le propos s’emploie à souligner les difficultés et les solutions astucieuses mises en  œuvre pour y pallier, pour mieux mettre en relief l’excellence de cette « dream team » au service de la Cour de France. L’auteur passe ainsi volontairement sous silence le fait que la candidature française avait été assurée d’un soutien ou d’un a priori favorable d’une partie de l’élite polonaise, soucieuse de s’assurer dans les faits que le roi régnerait mais ne gouvernerait pas.

 

Pour Choisnin, tout le mérite revient à l’évêque de Valence, ce chef d’escadre embarqué sur les eaux tumultueuses de la conquête d’un trône, et indirectement, à la Couronne de France qui est à la manœuvre en arrière-plan.

 

Ainsi, c’est en vain que l’on cherchera qui était Choisnin et son rôle dans cette affaire. Il se présente comme l’humble serviteur de l’évêque et à travers lui, de la Couronne. A peine comprend-t-on qu’il parlait italien et qu’il avait traîné longuement ses guêtres à l’université de Paris. Les rares éléments personnels mis en avant montrent simplement sa dédication à une entreprise réussie.

 

[1]L’auteur est ici prudent : les jaloux sont les ennemis de l’évêque tandis que les autres calomniateurs ne peuvent être que des étrangers, ennemis de la Couronne.

[2]Il s’agit de Charles IX. On note ici que la commande vient du Roi tandis que la dédicace est faite à la Reine, choix qui renforce probablement aussi l’intention de donner un relief d’objectivité au récit.

[3] Il s’en explique en disant que bien que« cela (ces descriptions enthousiastes) ne servoit de rien à ladicte negotiation (…) je l'ay faict affin que les lecteurs de ce traicté entendent que la noblesse de la Polongne surmonte toutes les autres en courtoisye et humanité ».

 

 

Carte de la Pologne au temps de la République des deux Nations

Carte de la Pologne au temps de la République des deux Nations

A cœur vaillant rien d’impossible

 

Au départ de cette aventure, ce sont les soucis d’une famille régnante qui prévalent. Comment caser le jeune et remuant duc d’Anjou ? Il fait de l’ombre à son frère le Roi, alors même qu‘il pourrait faire un beau mariage et une alliance utile pour la Couronne ou bien trouver une bonne place.

 

Surtout en dehors du  royaume, c’est ce qui sembla le fil conducteur des ambitions de sa chère famille.

 

Le choix initial se porta sur Elisabeth 1ere, la Reine d’Angleterre, aînée du prince de 22 ans. Mais était-ce une incompatibilité religieuse (Elisabeth était protestante et Henri farouchement catholique) ou bien la crainte de perdre le pouvoir par les compromis religieux qu’une telle alliance engageait pour le royaume d’Angleterre, bref, l’affaire ne se fit pas. Du reste, la reine anglaise avait déjà usé deux prétendants avant lui, sans donner suite.

 

Il y aurait eu aussi le projet totalement irréaliste de faire concéder par le sultan ottoman Sélim II au duc d’Anjou le royaume d’Alger avec la Corse et la Sardaigne. Pas moins. Mais l’évêque de Valence convainquit apparemment la Reine de l’impossibilité de réaliser une telle entreprise. De la part d’un diplomate aussi expérimenté, c’était une parole d’or.

 

Plus raisonnable, le choix se porta enfin sur le royaume polonais qui représentait une très belle perspective. Fruit de l’alliance avec le grand-duché de Lituanie, la République des deux Nations, couvrait un vaste et riche territoire, coincé cependant entre différentes puissances[1] qui chacune joueront leur partition lors de l’élection comme on le verra. 

 

Comme Choisnin l’expose sans fioritures, l’idée de la conquête du trône de Pologne reposait sur le plan suivant[2] : le roi Sigismond II étant déjà âgé, malade et sans héritier, on mariait Henri avec sa sœur l’infante qui n’était plus en âge d’avoir d’enfants (elle avait 47 ans) et Henri devenait roi de Pologne.

 

En effet, si la Pologne fonctionnait sur le principe de l’élection de son roi par la Diète, la succession familiale faisait de l’élection une formalité. Je simplifie ici car si le principe électif du roi existait bien sur le plan théorique, il ne fut véritablement formalisé que juste avant la mise en place de cette élection, après la mort de Sigismond Auguste. Comme je le précise plus loin dans le troisième épisode, l'instauration des mécanismes d'élection de cette véritable monarchie élective fut source d'âpres discussions et prit du temps à être formalisée, mais nécessité fit loi.

 

Si, comme le montra la suite, l’agonie du roi ne permettait plus d’envisager cette solution, le plan B consistait à introduire la candidature d’Henri en catimini pour le placer sur l’échiquier, déjà chargé, de candidats à l’élection, dont les rivaux du trône de France à l’époque, les Habsbourg.

 

Dans les deux cas de figure, il importait de préparer le terrain discrètement avec une première équipe dont personne ne pourrait se méfier, car « si l'affaire ne succedoit selon son desir », une action à découvert et officielle eût exposé Catherine de Médicis et la Couronne de France à la « mocquerie »

 

C’est ainsi que sagement, la Reine mère commanda « d'employer un homme duquel l'on ne se pourroit jamais doubter; et de telle condition estoit le sieur de Balagny , tant pour l'aage que pour le peu d'expérience qu'il avoit aux affaires publiques (il était âgé de 27 ans), et qui jà avec plusieurs autres gentilhommes francois estoit à Padouë, pour apprendre la langue et s'exercer aux armes ».

 

Muni notamment de lettres de recommandations de la Couronne auprès des cours souveraines qui devaient être visitées ainsi que d’une lettre d’introduction de son père l’évêque de Valence pour le roi Sigismond II, le jeune Jehan de Balagny partit pour cette aventure à la fin du printemps 1572. Il fut accompagné d’un équipage restreint composé d’« un gentil-homme de Dauphiné nommé Charbonneau, homme de moyen aage, et un autre appellé du Belle (Just du Bayle), baillif de Valence, et moi ».

 

 

[1] Le royaume de Suède au Nord, le Tsarat de Russie à l’Est, l’empire ottoman au sud ainsi que le Saint Empire germanique dont l’archiduché d’Autriche, au sud-ouest et à l’ouest. 

[2] Choisnin indique que ce plan avait été soufflé à la reine par l’évêque de Valence. C’est possible étant donné qu’il avait apparemment séjourné en Pologne et était semble-t-il connu du souverain et de nobles polonais. Est mentionné le fait qu’un noble polonais du nom de Jean Crazosky qui avait séjourné à la Cour de France aurait défendu cette idée puis se serait proposé pour la défendre auprès de ses compatriotes. De fait,  Jean Crazosky surnommé « Dominé » fit partie de l’expédition.

courtisans français vers 1572

courtisans français vers 1572

Bref aperçu des membres de cette première équipée

 

Attardons nous sur les membres de cette première équipe qui, comme on le verra, sont tous issus de l’entourage proche de l’évêque de Valence, Jehan de Montluc.

 

L’entourage familial d’abord, avec Jehan de Balagny qui était son fils naturel légitimé et pour lequel il avait acheté la terre de Balagny dans l’Oise. Le jeune Balagny avait vraisemblablement fait ses premières armes sous les ordres de son oncle Blaise de Montluc qui commandait les troupes du roi contre les protestants. Il fit une carrière militaire au service d’Henri d’Anjou, notre éphémère roi de Pologne et futur Henri III et ne cessera ensuite de servir la Couronne, comme gouverneur de Cambrai notamment, avant d’être chassé par les Cambraisiens excédés par les Français, à commencer par leur gouverneur et sa clique. Il fut nommé ensuite Maréchal de France sous Henri IV qui ne lui tint pas rigueur d’avoir été ligueur. Tout au long de sa carrière, il entraînera dans son sillage les fils Choisnin, comme l’avait fait son père avant lui avec Choisnin père. 

 

Les hommes de confiance au service de l’évêque ensuite, à savoir deux gentilhommes, originaires du Dauphiné. Le premier, Just du Bayle (orthographié du Belle), était bailli de Valence, comme son père l’avait été avant lui. La fonction de bailli avait nécessairement mit en relation Bayle père et fils avec le comte de Valence qu’était Jehan de Montluc, en sa qualité d’évêque. Le second est un gentilhomme du nom de Charbonneau décrit comme étant d’un âge moyen, que l’on peut peut-être estimé comme étant compris entre 35 et 50 ans. Je n’ai rien trouvé permettant de l’identifier précisément mais une famille noble de Charbonneau est attesté en Dauphiné (Valence, Grenoble) au 16ème siècle.

 

Le dernier, Jehan Choisnin l’auteur de l’ouvrage, fut le secrétaire particulier de l’évêque et donc l’un de ses plus proches serviteurs. Je ferai des développements plus importants sur lui et la famille Choisnin dans un futur article mais quelques mots quand même sur le personnage, bien que l’on en sache très peu et qu’il existe une incertitude sur l’identité de l’auteur de l’ouvrage.

 

En résumé, j’ai eu du mal à déterminer si le secrétaire particulier fut Jehan Choisnin père (vers 1520-vers 1580)  ou son fils aîné (vers 1546-1589). Certains éléments me permettent de penser que ce fut Jehan Choisnin père, né aux environs de 1520 à Châtellerault qui épousa Jeanne Danetz à Paris en 1545 et mourut probablement avant 1580. Sur son contrat de mariage (certes retranscrit), un Monluc signa ce qui atteste un lien entre Choisnin et la famille de Montluc dès cette époque. Également, en mai 1573, alors que l’expédition de Pologne était sur le point de retourner en France après l’élection, un de ses fils Gilles se marie et l’acte de mariage signale la présence de la mère de l’époux, Jeanne Danetz, et son frère aîné, Jehan Choisnin sieur de la Boussée. Jehan Choisnin père étant nommément cité sans être pourtant ni mentionné comme défunt ni comme présent, j’en déduis qu’il était encore aux côtés de l’évêque en Pologne à ce moment-là. Enfin mais c’est probablement moins probant, l’auteur se désigne comme étant Jean Choisnin de Chatellerault, or c’est bien le père qui naquit à Châtellerault et fit carrière notamment à Paris, dans le sillage de l’évêque, Jehan de Montluc, et non ses enfants. 

 

Jean Choisnin était déjà secrétaire particulier de l’évêque en 1569 car il est mentionné par Blaise de Montluc dans ses mémoires[1], à un moment où il fut envoyé de Bordeaux à Paris auprès du roi pour annoncer une victoire du camp catholique (sous le nom de Chauny mais il fait peu de doute que ce soit le même). 

 

Voilà pour cette équipe de repérage, composé d’un jeune homme de bonne noblesse mais plutôt inexpérimenté (il n’est pas d’aage et d’autoricté comme le signale Choisnin plus loin) et d’une petite suite de personnes, de moindre noblesse mais probablement plus âgés et chevronnés et en lesquels Jehan de Montluc avait toute confiance, pour aider son fils  dans cette tâche.

 

[1] « Monsieur de Valence despecha incontinent son secrétaire un dénommé Chauny vers leurs Majestés pour leur rapporter les nouvelles »

Jehan de Montluc, évêque de Valence

Jehan de Montluc, évêque de Valence

Entrer discrètement en campagne

 

L’équipe fit un voyage sans encombres jusqu’en Pologne qu’elle atteignit vraisemblablement vers la fin du mois de juin 1572. Le pays était alors affecté d’une épidémie de peste et le roi Sigismond II était à l’agonie.

 

Seul élément notable du trajet jusqu’en Pologne, l’étape à la Cour de l’archiduc d’Autriche Ferdinand II à Innsbruck qui les accueille fort bien, tout en interrogeant avec insistance le jeune Balagny pour entrevoir la finalité d’un périple qui ne devait pas lui sembler comme un simple voyage d’agrément (il crut qu’il était parti pour une négociation avec le sultan turc).

 

En Pologne, l’objectif était de rencontrer le roi mourant qui avait été transporté de Varsovie à Knyszyn, peu après leur arrivée. Nos émissaires firent une brève étape à Cracovie où Choisnin fut impressionné par leur visite dans les mines de sel, qu’ils firent, accompagnés du bourgmestre de la ville.

 

En route vers Knyszyn, ils furent chaperonnés par un chevalier de l’ordre de Malte qu’il dénomme « Sarnikoskri[1] », frère du capitaine général de Grande Pologne qui se montra très accueillant et « n’eut pas moins de soucy dudict sieur de Balagny et de nous qui  l'accompaignions (comme si) nous étions ses propres enfans ». Est-ce que la rencontre fut fortuite ? Il est permis d’en douter, sans preuve aucune évidemment.

 

Toujours est-il que c’est par l’entremise de ce personnage qu’ils furent logés à Knyszyn et que le roi fut avisé de la demande d’audience. Le roi déclina la demande de Balagny en raison de son état de santé mais recommanda aux membres de sa cour de lui faire bon accueil « lesquels n'estoit besoing d'admonester à recevoir humainement un gentil-homme estranger car il fault confesser que ceste nation surmonte en civilité et courtoysie toutes les autres ».

 

La recommandation du roi, alliée à l’hospitalité des nobles polonais, ouvrit toutes les portes[2]. La compagnie fut accueillie de fait par le gratin de l’électorat de la noblesse. Et Choisnin de citer les hauts personnages chez lesquels ils furent reçus. Il commence par l’évêque de Cracovie (Franciszek Krasiński 1525-1577) qui était en même temps vice-chancelier de Pologne et donc en charge des affaires intérieures et de la justice, c’est à dire l’un des plus grands personnage de la partie polonaise du royaume. Ils rencontrèrent également le vice-chancelier du grand-duché de Lituanie, homologue du précédent car l’administration royale était doublée pour les deux territoires du royaume durant la période de la République des deux Nations.


Ils cite également une autre personnalité importante, le sieur Radzivil, maréchal de la cour de Lituanie (vraisemblablement

Nicolas Christophe Radziwill, (1549-1616), de la puissante famille lituanienne des Radziwill). Elu pour un an comme responsable de la direction des affaires du Grand-Duché de Lituanie, il devait à ce titre se coordonner avec son homologue polonais.

 

Choisnin mentionne aussi le sieur Troski[3], « grand tranchant » de sa Majesté (ou plus exactement « le porteur d’épée » soit « mieznick » en polonais), également le maître de la chambre du roi (le chambellan ou « podkomorzy en polonais[4]) ainsi que son neveu qui reçut les Français avec faste. L’oncle et le neveu sont décrits comme francophiles (« (ils) ont esté tousjours de nostre parti ») et parfaitement francophones (« ils parloient françois comme s'ils eussent esté nez dans Paris »).

 

Parmi les autres hôtes de l’équipe, sont mentionnés outre le référendaire « Sarnikoskri » (ou plutôt Czarnkowski déjà cité), le fils de Stanislas Gotomski, Palatin[5] de Rawa et enfin, et surtout, Erasme et Gaspard Dembinski, fils de Walenty Dembiński grand chancelier de Pologne (en charge des affaires extérieures et à ce titre l’équivalent du vice-chancelier mais pour le domaine diplomatique).

 

Le roi mourut le 7 juillet et Balagny dut passer au plan B. Concrètement, il s’agissait de revenir vite en France par voie maritime, dix jours pour atteindre Dieppe depuis Gdanzk (Gdansk/Dantzig où Balagny avait été fastueusement accueilli) pour envoyer à son tour une délégation menée par Jehan de Montluc auprès de la Diète ; qu’elle puisse venir rapidement en Pologne pour poser la candidature officielle du prince français et la défendre.

 

Une campagne électorale discrète commença toutefois avant le départ de Balagny. Les alliés potentiels dont les frères Dembinski, furent mis dans la confidence et ils hébergèrent d’ailleurs Choisnin qui resta en Pologne pour « entretenir la flamme ».

 

Il dit ainsi qu’en la compagnie des frères Dembinski, il « fuz receu en beaucoup de bonnes maisons, où souvent estoit tenu propos dudict seigneur à présent Roy; et par ce moyen plusieurs gentilshommes commencerent à aymer celuy duquel ils n'avoient ouy que bien peu parler ».

 

Avant de partir, Balagny et sa suite assistèrent au cérémonial de l’enterrement du roi avec la noblesse du royaume « tant de l’une que de l’autre religion ».

 

Point important que je n’ai pas mentionné jusque-là : la noblesse polono-lituanienne de l’époque est partagée entre le catholicisme et le protestantisme, dans un royaume d’ailleurs largement multi confessionnel. L’équilibre avait été maintenu avec Sigismond II, roi catholique. Chaque noble imposait sa religion sur son domaine et la question religieuse n’interfèrait pas en principe dans les affaires publiques.

 

Mais à l’aube de l’élection d’un nouveau roi, on entra dans une zone de turbulences. La neutralité et les garanties attachées à ce compromis non écrit (qui le sera plus tard d’ailleurs) furent quelque peu malmenés en sous-main par les grands du royaume soit pour des enjeux religieux, ou personnels ou tout simplement de pouvoir.

 

Une sérieuse complication supplémentaire apparut pour les Français lorsque la nouvelle de la Saint Barthélémy parvint en Pologne : la possible élection d’un roi catholique, instigateur ou complice de cette boucherie, posa un sérieux problème moral et politique pour les électeurs, et en particulier, pour  la noblesse protestante.

 

Ce massacre sera la grande épine dans le pied de la diplomatie française dans cette affaire, d’autant que les candidats rivaux, tant protestants que catholiques, s’empressèrent de mettre du sel sur la plaie.

 

Au début et faute de mieux, on bricola. Comme la nouvelle du 24 aout 1572 « fut apportée audict pays », Choisnin étant demeuré seul en Pologne et dans l’attente de son maître, dut faire face aux premiers questionnements sans avoir rien su et il eut « à respondre, tant par paroles que par escript, à ce que l'on en disoit et quelques-uns (le considérèrent comme un menteur) pour avoir tant dict de bien dudict seigneur (le duc d’Anjou) ».

 

En expliquant le massacre par la faute du peuple et par quelques « inimitiés particulières », Choisnin se flatte dans l’ouvrage d’un certain succès auprès de ses contradicteurs. Succès qui ne devait pas être si patent cependant, puisqu’il finit par se retrancher derrière l’arrivée prochaine de Jehan de Montluc « car je les asseurois que ce seroit luy qui auroit la charge d'y venir, et duquel l'on pourrait sçavoir la verité du faict ».

 

[1] L’orthographe des noms est tellement approximative que j’ai complété les recherches avec le peu d’éléments que je pouvais avoir. Dans ce cas, je pense qu’il s’agit de Stanisław Sędziwój Czarnkowski (1526-1602), référendaire de la couronne dans les années 1567-1576, frère de Wojciech Sędziwój Czarnkowski (1527-1578), staroste général de la grande Pologne (de 1563 à 1578)

 

[2] Choisnin écrit qu’« il n'y eut evesque, il n'y eut palatin, il n'y eut seigneur de marque, qui ne traictast ledict sieur de Balagny qui ne le receust avec tel et si favorable recueil comme s'il eust esté personnage d'aage et d'autoricté ».

 

[3] Mon ami Marek suggère qu’il s’agit peut-être de Stanislaw Tarnowski (1541-1618)

[4] Selon Marek toujours, ce pourrait être Kasper Irzykowicz qui témoigna d'ailleurs, scandalisé, de l’abandon de la dépouille mortelle du roi ainsi que du pillage du trésor royal

[5] Le palatin (ou voïvode) était le gouverneur civil d’une région importante appelée palatinat (voïvodie), ici il s’agit du palatin de la région de Rawa.

 

 

 

... La suite au prochain épisode ....

 .... Jehan de Balagny, fils naturel de l'évêque de Valence. Ici en 1599

.... Jehan de Balagny, fils naturel de l'évêque de Valence. Ici en 1599

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