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Aussi loin que je me souvienne...

Depuis aussi loin que je me souvienne, j’aime les histoires.

 

Ce goût m’a conduit vers l’Histoire, grâce aux manuels de l’école primaire des années 60 qui nous entraînaient dans ces tentatives de reconstitution de la vie quotidienne des Gaulois et autres Vikings.

 

Les illustrations étaient sommaires et l’auteur concédait quelques incursions dans les biographies stéréotypées de ces héros qui ont fait la France : Vercingétorix, ce noble perdant, Jeanne d’Arc, cette fille du peuple qui remet son roi sur le trône ou bien ce jeune révolutionnaire de 15 ans qui sera assassiné par ces Vendéens obtus pour avoir clamé avec défi : « vive la République, à bas le Roi ».   

 

Vers l’âge de 14 ans, j’ai accompagné les premiers pas de ma mère dans la généalogie, à travers les registres paroissiaux de la petite mairie du village natal de bon nombre de ses ancêtres.

 

Je crois que j’aimais à la fois l’enquête poursuivie et le déchiffrage de ces actes d’état civil, me prenant sans doute un peu pour Champollion qui a trouvé les clés pour décrypter un monde lointain d’histoires quotidiennes.

 

Si loin et si proche, à l’instar de ce que nous racontent les graffitis de Pompéi.

 

Les actes notariés ont permis ensuite d’entrevoir un peu plus les personnes cachées derrière ces lignées et ces dates et m’ont amené à chasser les singularités au-delà des formules très classiques que l’on y trouve. Cette quête permet parfois de glaner quelques pépites comme cette lettre de Paris d’un orfèvre à sa femme aux fins de l’autoriser à prendre un bail et dans laquelle il se répand sur ses déboires judiciaires.

 

A partir de ces éléments épars, je trouve passionnant d’échafauder et d’ajuster des hypothèses à partir des éléments rassemblés et confrontés avec la grande histoire, dans un constant va-et-vient.

 

Dans ce travail, certains détails initialement négligés prennent un sens particulier tandis que d’autres n’ont pas le relief qu’ils promettaient au départ.

 

Ces très modestes assemblages permettent de donner un peu de chair à ces noms et d’esquisser certaines histoires singulières. C’est ce que je me propose de faire très modestement dans ce blog, tenter d’éclairer des fragments de vie de mes ancêtres, à la lumière de la grande histoire.

 

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16 juin 2013 7 16 /06 /juin /2013 14:01

 

  

 

 

 

 Extrait du film "Le Père noël est une ordure" -

 

 Sous l'Ancien Régime, l'honneur était une valeur essentielle que chacun était soucieux de défendre, exigeant que le tort causé soit réparé.

 

Le juriste François Dareau (1736-1784) n'affirme-t-il pas d'emblée dans son "Traité des injures dans l'ordre judiciaire ...." (1775) que de « de tous les biens, le plus précieux à soigner est sans contredit, celui d'une bonne réputation ».

 

Au nom de cette réputation, des paroles ou des faits qui nous paraîtraient aujourd'hui anodins ou, au pire, contrariants étaient,  systématiquement relevés par les victimes. Les nombreuses et mauvaises chicanes qui résultaient de cette susceptibilité exacerbée finissaient souvent devant la justice.

 

Parmi ces atteintes à l'honneur, l'injure constitue l'un délits les plus fréquemment rencontrés dans les archives des tribunaux de l'Ancien Régime[1] et donna lieu à une jurisprudence abondante et commentée.

 

Toutefois pour éviter les tribunaux, ce que l'on appelait "la réparation d'injure" pouvait se faire à l'amiable, devant notaire.

 

En introduction de son chapitre consacré à la réparation de l'injure, François Dareau précise ainsi qu'il existe deux grandes voies en matière de réparation : celle qui est volontaire (l'offenseur fait amende honorable) et celle qui est forcée et qui se résout par la voie judiciaire (l'offenseur ne veut rien entendre ou bien l'injure a porté atteinte à l'ordre public).

 

Avec la réparation volontaire l'auteur note que "l'on peut parvenir à une juste satisfaction de l'offensé sans que la justice soit obligée d'y suppléer" et précise le mode opératoire si l'injure n'est pas réparée au moment où elle est formulée. Ainsi, "si l'injure n'avoit pu être réparée sur le champ, on n'en seroit pas moins recevable à la réparer en tout tems et voici comment : en se transportant avec un Notaire, chez l'offensé pour avoir acte de la réparation qu'on lui ferait en personne, dans la forme ci-dessus, en lui offrant de plus une certaine somme pour dommages et intérêts, et une autre pour les dépends...".

 

le-capitaine-haddock.jpg

  voir le "Générateur d'insultes du capitaine Haddock"

 

Les faits

 

A travers l'histoire singulière rapportée dans cet article, un laboureur du nom de François Favre vivant au village de Boussay dans la commune de Vendeuvre du Poitou se retrouve en janvier 1791 devant le notaire pour faire amende honorable.

 

Son crime ? Il a traité de voleur l'huissier royal Emery Raymond Auclerc, à l'issue d'une virée au cabaret avec un compère de boisson du nom de Pierre Auger.

 

Dans l'acte notarié, François Favre précise que « s’étant trouvé un certain jour à boire chez Pierre Bertot cabaretier (…) avec le dénommé Pierre Auger, bordier, (…) ce  particulier lui raconta les faits d’une instance qu’il avait eu défendant contre le sieur Raymond Emery Auclerc huissier royal demeurant au même bourg de Vendeuvre pour l’avoir insulté et traité de voleur, que lui comparant, étant excité à boire par ce particulier Auger, se trouva ivre et qu’ayant perdu la raison, ledit Auger lui fit plusieurs instances pour le mettre dans son parti et lui faire également dire que ledit Auclerc était un voleur et en quoi il ne manqua pas de réussir par la vertu du vin qu’il lui avait fait boire. »

 

Mais l'infortuné laboureur regrette de s'être laissé emporté, d'autant que son petit forfait risque de lui coûter cher.

 

 « Depuis ce temps, ledit Favre ayant été informé que ledit Auclerc était sur le point de le poursuivre pour avoir de lui réparation des injures qu’il avait mal à propos proféré contre son honneur et réputation… » et pour éviter la poursuite judiciaire, François Favre « s’est transporté pardevant nous et a dit que c’est à tort qu’il a devant sa maison traité de voleur en ce qu’il n’a jamais éprouvé de sa part du service et ne s’est jamais aperçu qu’il a fait tort à qui que ce soit que s’il a proféré les mêmes injures contre lui s’en a été qu’à la pressante sollicitation dudit Auger qui l’avait pour cet effet enivrer » et qu’il est aujourd’hui repentant et « promet par les présentes de ne jamais récidiver lesdites injures reconnaissant ledit sieur Auclerc pour homme de Dieu et d’honneur non capable d’avoir trompé la confiance de qui que ce soit ».

 

[1] Hervé Piant "La justice au service des justiciables? La régulation de l'injure à l'époque moderne"

 

l-ivresse-au-cabaret.jpg

Débordement au cabaret (à écouter : conférence de Mathieu Lecoutre "Le compromis du cabaret à Nantes au 18ème siècle")

 

Les protagonistes

 

Un laboureur qui a traité de voleur un petit bourgeois (juriste qui plus est) se trouve dans une situation d'autant plus embarrassante que l'injurié est susceptible et se soucie donc peu que le brave homme ait été ivre. 

 

L'injure est certes insignifiante (y en-t-il eu d'autres plus insultantes que l'acte tairait par pudeur?) mais elle a été lancée sous les fenêtres du petit notable, possiblement à une heure de grande écoute.

 

François Dareau souligne d'ailleurs dans son ouvrage que la réparation de l'injure est différente, selon que celle-ci émane d'une personne du peuple à l'encontre de quelqu'un qui lui est socialement supérieur, ou au contraire si c'est l'inverse avec un traitement allégé dans ce second cas[1].

 

Aussi, convient-t-il non seulement de préserver "l'honneur et réputation" mais aussi en filigrane, de réparer l'atteinte portée par le simple laboureur au respect de l'huissier royal qui est un "coq de village".

 

A cet effet, Auclerc a fait savoir probablement publiquement qu'il poursuivrait ledit Favre en justice faute d'une réparation d'injures.  Le bruit s'est répandu que cela ne se passerait pas comme çà.

 

Qui est l'offenseur?

 

Le seul candidat que j'ai trouvé dans les archives départementales en ligne est né le 7 juin 1750 à Vendeuvre et il y est décédé le 10 juin 1799. Il s'est marié trois fois au cours de sa courte vie. Son premier mariage est daté du 26 février 1772 à Vendeuvre avec Anne Pouvrasseau (qui est la nièce d'un de mes ancêtres Charles Desnoël), puis avec Marie Anne Thibault qui décède en 1788 et il se marie enfin une troisième fois le 5 janvier 1789 avec une veuve, Magdeleine Soufficeau, à Cheneché.

 

Il a 40 ans au moment des faits. Il sait signer (ce qui rare à l'époque dans cette région) et sa condition de laboureur le placerait a priori un petit peu au dessus des journaliers et bordiers[2].

 

Quoique les frontières soient peu nettes car si un laboureur possède la terre qu'il cultive, tout dépend de leur importance et de sa capacité à en tirer sa subsistance sans être obligé de se louer en plus à la journée pour joindre les deux bouts.

 

En l'espèce, il est difficile de déterminer dans quelle mesure François Favre est ou non un gros laboureur mais le milieu social de ses épouses plaide plutôt en faveur du statut de petit paysan. 

 

D'ailleurs chez le cabaretier Bertot, c'est la convivialité partagée avec quelqu'un de son milieu social, le bordier Pierre Augé, qui sera source de ses difficultés.

 

Du reste, notre empathique laboureur rend très vite les armes en s'empressant d'aller chez un notaire pour conclure rapidement cette malheureuse affaire.

Vrai ou fausse, l'ivresse est bienvenue. Elle excuse le dérèglement passager.

 

 20427709-copie-1.jpg

  Rencontre au cabaret (vers 1625) - Valentin de Boulogne dit " Le Valentin"

 

Et l'offensé?

 

Huissier royal de son état (parfois aussi désigné comme notaire[3]), le "sieur" Raymond Emery Auclerc est né le 7 janvier 1753 à Chabournay. Il est le fils d'Emery Auclerc, notaire et de Marie Jeannet et son grand-père Etienne[4] était également notaire.

 

Il se marie avec Jeanne Habert, fille d'un marchand le 10 octobre 1775. Ses parents sont déjà décédés au moment du mariage et c'est Jean Isaac Roblin son oncle vitrique qui est son curateur (le frère de son défunt beau-père).

 

Il perpétue avec un certain succès une dynastie de petits notables reconnus, ce qui le conduira à exercer la fonction de maire de Vendeuvre.

 

A noter en effet que les décrets des 14 décembre (organisation des municipalités) et 22 décembre 1789 (organisation des départements) consacrent une nouvelle organisation territoriale du royaume basée sur les départements et les districts qui sont nouvellement créés et les anciennes paroisses qui deviennent des communes dirigées par des officiers municipaux et un maire élus. Les premières municipalités sont constituées en février 1790 par voie du suffrage censitaire. Ont la qualité d'électeurs, les hommes âgés d'au moins 25 ans qui s'acquittent d'un impôt équivalant à trois journées de travail.

 

Raymond Emery Auclerc signe comme maire certains actes d'Etat civil en 1795 et c'est cette qualité qui lui est donnée dans l'acte de naissance de sa fille Marie Radegonde en 1793 et de son fils Brutus[5] le 14 brumaire an 3 (4 novembre 1794) puis au moment décès de ce dernier intervenu 11 mois plus tard.

 

Il possède très certainement quelques terres qu'il loue, la petite bourgeoisie de l'ancien Régime (mais c'est aussi vrai au cours des deux siècles qui suivent) étant obsédée par la constitution d'une propriété terrienne susceptible de générer un revenu[6].

 

Le bordier Pierre Augé pourrait donc être locataire des terres du sieur Auclerc et l'augmentation éventuelle du loyer par son propriétaire a pu conduire Auger à estimer publiquement au cabaret que c'était du vol.

 

Auclerc meurt jeune (entre 1796 et 1799), apparemment héritier d'un patrimoine génétique assez déplorable, puisque son père décède à l'âge de 32 ans, ses oncles meurent également jeunes[7] et son grand père est âgé de 37 ans quand il décède.

 

L'homme par qui le "scandale" arrive

 

J'ai enfin tenté d'identifier le fameux Pierre Augé, celui qui est finalement à l'origine de cette affaire, le mauvais génie qui aurait soufflé la malheureuse idée à François Favre.

 

J'ai trouvé deux candidats, sans qu'un indice déterminant puisse les départager.

 

Le premier, un peu plus âgé que les deux autres protagonistes est né en 1743 à Vendeuvre. Il a 47 ans au moment des faits et se trouve marié à une certaine Jeanne Jaudoin, épousée le 12 juin 1764. Il décède à 63 ans à Vendeuvre (cultivateur sur son acte de décès).

 

Le second, plus jeune est né en 1764 et s'est marié le 12 mai 1789 avec Rose Noël. Il avait 27 ans au moment des faits. Il décède en 1837 à l'âge de 78 ans (il est désigné comme cultivateur sur son acte de décès).

 

A première vue, le plus âgé des deux est peut-être celui qui est le plus plausible, étant donné son ainesse et donc un certain ascendant sur le laboureur.

 

Mais on peut tout aussi bien parier sur un échauffement de la jeunesse communicatif du jeune Auger dans cette période révolutionnaire  ... Mais c'est une autre histoire ... 

 

  


[1] Le Siècle des Lumières et la Révolution ne changent pas l'idée selon laquelle le respect de la hiérarchie sociale est central pour le bon ordre de la société. Le citoyen Favre n'est pas dans les esprits, l'égal du citoyen Aucler.

[2] Le bordier (ou métayer selon les régions) est le locataire d'une petite ferme dont il partage les fruits avec le propriétaire.

[3] En 1785, il est désigné par le duc de Richelieu (baron de Mirebeau) en tant que notaire géomètre arpenteur pour Cheneché.

[4] Etienne Auclerc et sa femme Marie Biet auront  5 enfants : Etienne qui fait partie de mon ascendance ainsi qu'Emery (le père de Raymond Emery), Mathurin, Jeanne, Marie et Marianne (épouse de Jean Isaac Roblin).

[5] Est ce que ce prénom célèbre le révolutionnaire Brutus Magnier ou bien reflète-il le regain d'intérêt pour l'Antiquité de cette période?

[6] Dans l'acte de décès de Jeanne Habert, son fils est d'ailleurs qualifié de "propriétaire".

[7] Son père meurt en novembre 1762 (sa mère se mariera l'année d'après avec un certain Pierre Robelin). Quant à ses oncles, Mathurin décède à 26 ans et Etienne (mon ascendant) à 37 ans.

 

 

 

 

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commentaires

B
Bonjour !<br /> <br /> Ce susceptible Raymond Emery est accroché à mon arbre, comme figurant : un de ses fils, Louis Emery s'est marié à Lavoux le 25 Germinal An 3 avec une jeune femme Ceciel Eleonore Champs, venue de<br /> Crepoil en Brie (77), avec sa belle soeur Francoise Meuraux dont je descends. Il est difficile de trouver le comment et pourquoi de leurs tribulations jusqu'en Poitou. Merci pour cet article qui<br /> nous offre une facette de caractère ignorée des actes officiels !
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L
Bonjour,<br /> <br /> Et bien non je n'aurais pas trouvé quelque chose "d'élogieux" à faire mon arbre généalogique comme descendre d'une "grande famille"...puisqu'il s'avère que ce fameux Pierre Auger est l'un de mes aïeuls !!! Néanmoins je reconnais bien volontiers être super contente d'avoir "atterri" sur ce blog. Un grand merci à son auteur pour avoir rédiger cet article.