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Aussi loin que je me souvienne...

Depuis aussi loin que je me souvienne, j’aime les histoires.

 

Ce goût m’a conduit vers l’Histoire, grâce aux manuels de l’école primaire des années 60 qui nous entraînaient dans ces tentatives de reconstitution de la vie quotidienne des Gaulois et autres Vikings.

 

Les illustrations étaient sommaires et l’auteur concédait quelques incursions dans les biographies stéréotypées de ces héros qui ont fait la France : Vercingétorix, ce noble perdant, Jeanne d’Arc, cette fille du peuple qui remet son roi sur le trône ou bien ce jeune révolutionnaire de 15 ans qui sera assassiné par ces Vendéens obtus pour avoir clamé avec défi : « vive la République, à bas le Roi ».   

 

Vers l’âge de 14 ans, j’ai accompagné les premiers pas de ma mère dans la généalogie, à travers les registres paroissiaux de la petite mairie du village natal de bon nombre de ses ancêtres.

 

Je crois que j’aimais à la fois l’enquête poursuivie et le déchiffrage de ces actes d’état civil, me prenant sans doute un peu pour Champollion qui a trouvé les clés pour décrypter un monde lointain d’histoires quotidiennes.

 

Si loin et si proche, à l’instar de ce que nous racontent les graffitis de Pompéi.

 

Les actes notariés ont permis ensuite d’entrevoir un peu plus les personnes cachées derrière ces lignées et ces dates et m’ont amené à chasser les singularités au-delà des formules très classiques que l’on y trouve. Cette quête permet parfois de glaner quelques pépites comme cette lettre de Paris d’un orfèvre à sa femme aux fins de l’autoriser à prendre un bail et dans laquelle il se répand sur ses déboires judiciaires.

 

A partir de ces éléments épars, je trouve passionnant d’échafauder et d’ajuster des hypothèses à partir des éléments rassemblés et confrontés avec la grande histoire, dans un constant va-et-vient.

 

Dans ce travail, certains détails initialement négligés prennent un sens particulier tandis que d’autres n’ont pas le relief qu’ils promettaient au départ.

 

Ces très modestes assemblages permettent de donner un peu de chair à ces noms et d’esquisser certaines histoires singulières. C’est ce que je me propose de faire très modestement dans ce blog, tenter d’éclairer des fragments de vie de mes ancêtres, à la lumière de la grande histoire.

 

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29 mai 2010 6 29 /05 /mai /2010 19:39

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 Dragonnades à Orange 1685

 

Une politique de coercition et de terreur pour obtenir la conversion forcée des protestants

 

Si l’existence de protestants dans le royaume pose des problèmes aux successeurs d’Henri IV,  les protestants français vont surtout connaître un bouleversement, quelques années avant la révocation de l'édit de Nantes en 1685.

 

La période précédente qui commence sous le règne de Louis XIII et qui s’intensifie à partir 1661 est ponctuée d’un ensemble de mesures vexatoires prises à l’encontre des églises réformées. L’objectif étant de revenir sur les acquis de l’Edit de Nantes, l’on assiste à la mise sous surveillance des communautés protestantes et de leur cantonnement, avec des interdictions d’exercice et des destructions de temples qui se multiplient au nom d’une interprétation vétilleuse de l’édit[1].

 

Cette politique qui affronte sur le terrain juridique une communauté socialement puissante et organisée ne pourra mettre un terme au fait protestant. C’est l’instauration d’une politique de terreur, d’abord expérimentale puis systématique qui y conduira.



[1] Les mesures vexatoires ne se limitent pas à l’exercice du culte, la législation prise à l’encontre des protestants étant hallucinante (voir en particulier dans le  Recueil général des anciennes lois françaises par Isambert Decrusy et Taillandier).

 

 

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  Jacques Callot - les horreurs de la guerre

 

Ainsi, les premières dragonnades menées en Poitou au printemps 1681 par l’intendant Marillac à la demande de Louvois ouvrent une période de répression qui prépare en quelque sorte la révocation de l’édit de Nantes, ce délicat équilibre presque unique en Europe qui a permis pendant près d’un siècle de faire coexister bon gré mal gré deux religions au sein d’un même royaume.

 

Selon Elie Benoist[1], Marillac commença par mobiliser des fonds pour monnayer la conversion des protestants. Comme cette stratégie ne portait pas ses fruits, il donna l’ordre que le paiement des rappels de taille leurs soient imputés. Cette politique de persécution économique va se poursuivre avec l’imputation de l’essentiel du coût de la taille aux protestants[2] puis se doubler d’une politique de terreur par le recours au logement des gens de guerre.

 

Le logement des gens de guerre en campagne se faisant chez l’habitant et à ses frais, les soldats envoyés en moyen Poitou seront donc logés uniquement chez les protestants. Munis d’un billet de logement, les dragons se présentent chez les protestants souvent désignés par le curé du lieu. Outre la fourniture du gîte et du couvert, ceux-ci doivent leur verser une solde journalière.

 

Destinée à hâter leur conversion, cette première campagne menée en Poitou qui dure du printemps jusqu’en septembre 1681 se déroule dans un tel climat de pillage et de sauvagerie que nombre de Protestants poitevins se convertissent[3], tandis que d’autres prennent le chemin de l’exil[4].



[1] Histoire de l'édit de Nantes (de 1661 à 1683) et Histoire de l'édit de Nantes (depuis 1683) Elie Benoist, publié en 1695 en 5 tomes. Cet ouvrage probablement très partial d’un pasteur protestant publié seulement dix ans après la révocation, m’a paru toutefois intéressant sur le plan chronologique.  

[2] Dans les paroisses, les catholiques sont soumis à la moitié de ce qu’ils doivent habituellement, les nouveaux convertis sont exemptés et les protestants supportent le reste.

[3] Les témoignages sont très nombreux, les plaintes individuelles ayant été consignées soit devant notaire (Abraham Papot par exemple) soit à des fins familiales (le journal de Jean Migault). Au total on estime à environ 38 000 le nombre de conversions forcées en Poitou jusqu’à la fin du siècle.

[4] Une lettre du roi du 14 juillet 1682 interdit aux religionnaires de s’établir à l’étranger et la vente de leurs biens est annulée

 

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Dans la même année les dragonnades se répandent dans les provinces voisines de la Saintonge et de l’Aunis, province dans laquelle l’intendant De Muin sévit particulièrement.

 

Marillac sera démis de ses fonctions en février 1682, la violence de la méthode ayant crée quelques remous mais la même technique sera développée plus tard à l’encontre des Protestants en Vivarais, Dauphiné, Cévennes et Bas-Languedoc (1683),  dans le baillage de Selz en Alsace[1] (décembre 1684), puis de manière décisive et systématique dans l’année 1685 avant et après la révocation de l’édit de Nantes (Béarn, le Languedoc, Guyenne, Aunis, Saintonge, Poitou, Cévennes, la vallée du Rhône, Dauphiné, Pays de Gex, Normandie) et en novembre dans le nord et l’est de la France (Brie, Champagne, Nantes) avant d’achever le siècle par des dragonnades à Metz en juillet 1686.

 

Parallèlement, ces dragonnades se sont accompagnées du recensement des nouveaux convertis à travers le "rolle des nouveaux convertis à la foi catholique"; une liste dont l'objectif est de contrôler ceux d'entre eux qui sont relaps, c'est à dire qui retombent à nouveaux dans l'hérésie par leur fréquentation du temple.

 

Le "rôle" permet ainsi d'identifier et de punir les relaps (condamnation à l'amende honorable, une amende voire un emprisonnement avant d'être bannis - Déclaration du 13 mars de 1679) et, à travers eux, le pasteur qui les a admis au culte (interdiction d'exercice par arrêt du Conseil du 17 juin 1682) et la communauté toute entière (démolition du temple au frais de la communauté protestante).

 

C'est cette logique qui conduit la démolition du temple de Niort, telle que relatée par le curé Bobinet de Buxerolles[2] le 22 octobre 1684 "par jugement souverain de M. de Lamoignon et les Pierre Chataigneau et Jean Boisseau, relaps condamnés à faire amende honorable à l'ordinaire; Bossatran et Misson, ministres interdits pour toujours de toute fonction".

 

Le même raconte également la démolition du temple de Poitiers, peut-être pour les mêmes motifs : "le 8 juin (1685), le temple des hugenots (sic) de Poitiers fut condamné par M. de Basville, qui avait succédé à M. de Marillac (...) à être démoli à leurs frais, les ministres interdits et condamnés à 100 livres d'amende (...) le 27 juin suivant l'on commença la démolition laissant les quatre murs qui en faisaient la clôture qu'on appelait les Quatre Piquets[3] et la place fut attribuée à l'hôpital général qui y a fait planter une vigne. Les chanoines de Notre Dame en achetèrent la chaire".  

 

L'étau s'est donc considérablement resserré. En 1685, ce qu’il me semble justifié d’appeler un « terrorisme d’Etat » s’exercera à l’encontre de tous les protestants, touchant y compris la population non assujettie à la taille et donc jusqu’alors préservée des dragonnades[4] (dont les nobles protestants).



[1] En Alsace nouvellement conquise, le culte protestant luthérien était admis même après l’Edit de Fontainebleau mais pas le culte calviniste.

[2] Voir pages 1382 à 1384 du manuscrit de Bobinet (manuscrit 347 (142) Médiathèque de Poitiers), celui-ci ayant repris (jusqu'à l'année 1557) et continué (jusqu'à 1730), les Annales d'Aquitaine de Jean Bouchet avocat à Poitiers. A vocation historique, le manuscrit qui ne sera jamais publié entrecroise de manière chronologique, la chronique locale et l'histoire du royaume.

[3] Nom donné au temple de Poitiers

[4] Le siècle suivant reprendra cette méthode par intermittence (Millau et Rouergue en 1744-1745, et Béarn et Guyenne en 1758) jusqu’en 1759 en Charente …

 

 

 

dragonnades 

  

 Pour en savoir plus sur les dragonnades

 

Contexte des abjurations intervenues à Poitiers en 1685

 

Lors des dragonnades menées en Poitou en 1681, Elie Benoist mentionne à plusieurs reprises des paroisses du moyen Poitou durement touchées comme Exoudun, Mougon, Saint Gelay, Sainte Maxire, Cherveux ou bien plus à l’est, Lusignan et Couhé, il évoque également Niort.

 

Apparemment cependant, certains endroits ne sont pas ou bien faiblement concernés par cette première campagne.

 

Ainsi pour Châtellerault, M. Tulot  précise que si René Marillac « fit passer sans difficultés sous les fourches caudines les officiers de justices et marchands des villes de Lusignan et Civray, (Il) reçu un sévère rappel à l'ordre pour avoir voulu procéder de même à Châtellerault; les réformés de cette ville avaient des membres de leurs familles à Paris qui intervinrent auprès du Roi. »[1]

 

S’agissant de Poitiers, le même auteur précise que  les dragonnades ont également épargné la population protestante de Poitiers dans cette première période, étant donné la présence de réformés dans l’administration provinciale[2]. D’une manière générale, les dragonnades de Marillac n’ont pas véritablement contribué à convertir au-delà des territoires ravagés.

 

Toutefois, si en 1681 elles ont été utilisées de manière expérimentale et ont dû requérir quelques accommodements avec les cadres protestants de l’administration provinciale, le contexte de l’année 1685 sera bien différent, le pouvoir royal ne tolérant plus le protestantisme dans le royaume.

 

L’acte d’abjuration de Jean Liège intervient le 20 août 1685 tandis que celui de ses deux enfants le 3 octobre 1685, soit peu avant la révocation de l’Edit de Nantes qui est signée le 18 octobre.

 

Il abjure avec nombre de ses coreligionnaires au moment du retour des dragonnades en Poitou, les troupes du Marquis d’Asfeld arrivant dans le Poitou en août 1685 dans la perspective de perpétrer à nouveau des dragonnades tandis qu'un autre régiment de dragons opère dans la région à cette période (régiment de Pinsonnet).

 

Le curé Bobinet[3] précise pour cette dernière période que "M. L'evesque et M. l'intendant s'étant employés à faire des missions dans le diocèse et généralité, procurèrent 15000 abjurations avant qu'il parut les dragons, entre lesquelles il y eu plusieurs gentilshommes, une des plus considérable fut M. le marquis de Vérac, seigneur de Couhé. Le régiment d'Asfeld envoyé par le roi le 20 août commença sa garnison chez les religionnaires. Quelques uns se convertirent les autres s'enfuirent. La ville de Saint Maixent se convertit en trois jours. Puis ceux de Niort, Poitiers et Châtellerault. On en compta 6000".

 

Les dragonnades de 1681 étaient probablement dans toutes les mémoires si l'on en juge par les conversions rapides et massives que générèrent la venue des dragons.

 

Bobinet relate le témoignage fataliste d'un nouveau converti de 1685 "à qui on avait dit qu'il n'avait pu soutenir la présence des dragons sans embrasser la religion catholique répondit, que voulez vous c'est que nous ne croions pas que votre religion soit si méchante qu'on soit obligé de mourir plutôt que d'en faire profession".

 

De fait, sur les deux paroisses de Saint Didier et de Saint Cybard à Poitiers (première liste complétée pour la période 1681-1700 sur les autres paroisses de Poitiers), une accélération du processus de conversions se produit en 1685 et particulièrement du mois d'août jusqu’au mois d’octobre[4].

 

Selon le pasteur Rivierre, l’été 1685 va conduire à des dragonnades importantes à Pamproux le 20 août, Rouillé et Saint Maixent à partir du 23 du même mois. Dans le courant du mois de septembre, Chef Boutonne est dragonné tandis que les troupes du marquis d’Asfeld opèrent dans le bas Poitou (Moncoutant, Pouzauges).

 

Payré et Foussais sont aussi ciblés si l'on en juge par les conversions massives de septembre de 1685.

 

Pour ce qui est du haut Poitou, le même auteur précise que des visites domiciliaires systématiques ont lieu à Châtellerault chez les protestants non convertis (17 août).

 

S’agissant des dragonnades tenues à Poitiers en 1685, le pasteur Rivierre rapporte également un témoignage selon lequel « les habitants de Poitiers de la religion ont abandonné la ville à cause des logements de gens de guerre » (manuscrit Morin – non trouvé).

 

A part ce témoignage, une lettre du 16 octobre 1685 de Louvois à Foucault[5] montre qu’il y eut des logements à Poitiers.

 

Si rien n’indique avec certitude que les dragonnades aient été massives à Poitiers en 1685, il est très probable que le caractère systématique du recours à la conversion forcée à travers l’ensemble du royaume a constitué le signal de la fin pour les protestants de Poitiers.

 

Acculés comme leurs coreligionnaires, ils ont dû prendre conscience trop tard qu’ils n’avaient d’autres options que de se soumettre ou fuir.



[1] In « Essai pour une histoire de l’Eglise réformée de Poitiers au temps de l’Edit de Nantes ”de Jean-Luc Tulot  Cahiers du Centre de Généalogie Protestante, N° 69, Premier trimestre 2000, p. 32-47

[2] A partir du même recensement que celui décrit dans la note ci-dessus, il est notable que pour l’année 1681 au moment où se déroulaient les dragonnades à moins de 50 kilomètres de Poitiers, il n’est relevé aucune abjuration à Saint Didier et seulement 7 à Saint-Cybard ce qui confirme l’analyse de M. Tulot.

[3] Voir référence ci-dessus, note de bas de page n°7

[4] J’ai opéré un recensement des abjurations prononcées à Poitiers dans les registres paroissiaux (environ 350 personnes originaires de Poitiers mais aussi des protestants de la région ou de provinces voisines : Châtellerault, Lusignan, Deux Sèvres, d’Aunis et de Saintonge). L'essentiel des actes concernent les paroisses de Saint Cybard (184) et de Saint Didier (86), les autres paroisses rassemblant 78 personnes. Sur ces deux paroisses, l'essentiel des abjurations intervient au cours de l'année 1685 (64 sur 86 pour Saint Didier et pour Saint Cybard 123 sur 184) et plus particulièrement dans la période comprise entre juillet et octobre 1685 (un bon tiers de l'ensemble des abjurations de Saint Cybard et 75% des abjurations du registre de Saint Didier).

[5] "Sa Majesté a appris avec chagrin que l'on a logé à Poitiers chez une femme une compagnie et demie de dragons pour l'obliger à se convertir. Je vous ai mandé tant de foi que ces violences n 'étoient point du goût de Sa Majesté que je ne puis que m'étonner beaucoup que vous ne vous conformez pas à ses ordres, qui vous ont été si souvent réitérés; vous avez grand intérêt de n'y pas manquer à l'avenir" cité dans « Essai pour une histoire de l’Eglise réformée de Poitiers au temps de l’Edit de Nantes ” précité.

 

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