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Aussi loin que je me souvienne...

Depuis aussi loin que je me souvienne, j’aime les histoires.

 

Ce goût m’a conduit vers l’Histoire, grâce aux manuels de l’école primaire des années 60 qui nous entraînaient dans ces tentatives de reconstitution de la vie quotidienne des Gaulois et autres Vikings.

 

Les illustrations étaient sommaires et l’auteur concédait quelques incursions dans les biographies stéréotypées de ces héros qui ont fait la France : Vercingétorix, ce noble perdant, Jeanne d’Arc, cette fille du peuple qui remet son roi sur le trône ou bien ce jeune révolutionnaire de 15 ans qui sera assassiné par ces Vendéens obtus pour avoir clamé avec défi : « vive la République, à bas le Roi ».   

 

Vers l’âge de 14 ans, j’ai accompagné les premiers pas de ma mère dans la généalogie, à travers les registres paroissiaux de la petite mairie du village natal de bon nombre de ses ancêtres.

 

Je crois que j’aimais à la fois l’enquête poursuivie et le déchiffrage de ces actes d’état civil, me prenant sans doute un peu pour Champollion qui a trouvé les clés pour décrypter un monde lointain d’histoires quotidiennes.

 

Si loin et si proche, à l’instar de ce que nous racontent les graffitis de Pompéi.

 

Les actes notariés ont permis ensuite d’entrevoir un peu plus les personnes cachées derrière ces lignées et ces dates et m’ont amené à chasser les singularités au-delà des formules très classiques que l’on y trouve. Cette quête permet parfois de glaner quelques pépites comme cette lettre de Paris d’un orfèvre à sa femme aux fins de l’autoriser à prendre un bail et dans laquelle il se répand sur ses déboires judiciaires.

 

A partir de ces éléments épars, je trouve passionnant d’échafauder et d’ajuster des hypothèses à partir des éléments rassemblés et confrontés avec la grande histoire, dans un constant va-et-vient.

 

Dans ce travail, certains détails initialement négligés prennent un sens particulier tandis que d’autres n’ont pas le relief qu’ils promettaient au départ.

 

Ces très modestes assemblages permettent de donner un peu de chair à ces noms et d’esquisser certaines histoires singulières. C’est ce que je me propose de faire très modestement dans ce blog, tenter d’éclairer des fragments de vie de mes ancêtres, à la lumière de la grande histoire.

 

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24 août 2010 2 24 /08 /août /2010 12:23
La réforme protestante au 16ème siècle (source la documentation française)

La réforme protestante au 16ème siècle (source la documentation française)

Bref état des lieux de la population réformée et de leurs églises en Poitou au 17ème siècle

La population réformée

Selon des estimations[1], la population réformée du royaume se chiffre au tournant du siècle à un peu plus de 900 000 personnes  (Béarn non compris qui aurait réuni 125 000 fidèles de la religion réformée, soit à l’époque la totalité de la population, le protestantisme ayant été déclaré religion d’Etat dans le royaume de Navarre par la mère d’Henri IV).

 

Entre 1660 et 1670, la population protestante du Poitou[2] est estimée à 77500 personnes sur une population protestante totale de 787000[3] personnes (voir article précité – chiffres révisés à partir des estimations de Samuel Mours), soit environ 10% de la population protestante du royaume.

  

Ces 77000 protestants seraient répartis de la manière suivante : environ 18000 pour le bas Poitou, le même total pour le haut Poitou et environ 40000 pour le moyen Poitou, soit un peu plus de la moitié de la population totale pour ce territoire.

 

Le protestantisme poitevin apparaît surtout ancré dans les communautés rurales (bourgs et villages), seuls 16% d’entre eux vivent dans les villes (pour une moyenne nationale de 23% de protestants citadins).

  

[1] Voir en particulier l’article de Benedict Philip « La population réformée française de 1600 à 1685 ». In: Annales. Économies, Sociétés, Civilisations. 42e année, N. 6, 1987. pp. 1433-1465.

[2] Approximativement, les départements actuels de la Vendée, les Deux-Sèvres et la Vienne.

[3] Voir article précité. A l’instar de nombreux spécialistes qui se sont penché sur la question de la démographie du protestantisme, l’auteur relève une baisse du nombre de protestants entre 1600 et 1670. Il note en particulier une diminution relativement marquée de la population protestante du Centre-Ouest au cours du siècle qu’il analyse, non comme une conséquence démographique (croissance démographique globale positive dans l’élection de Niort alors que le nombre de baptêmes protestants  diminue dans des églises importantes de ce territoire) mais comme une désaffection d’une partie des fidèles non expliquée. Yves Krumenacker note pour sa part une baisse notable du nombre de protestants à Chizé et Chef-Boutonne sur cette période, un déclin important à Loudun à partir de 1650, une stabilité de la population réformée à Exoudun et à la Mothe Saint Héray, une stagnation à Niort (depuis 1630).

Les églises du Poitou



A la veille du 17ème siècle, le rôle des églises du Poitou pour assurer les subsides annuels des ministres mentionne 20 églises. Ce chiffre est porté à 50 lors du synode provincial de Saint Maixent en 1598[1].



« Jusqu’à la révocation de l’Edit de Nantes, la province synodale du Poitou est divisée en trois colloques : haut, moyen et bas-Poitou comprenant au total 49 églises. Le colloque du bas Poitou correspond à peu près au département actuel de la Vendée et au nord ouest des Deux Sèvres, les églises les plus importantes étant dans un triangle allant de Mouchamps à Courlais et Maillezais ; les autres situées plus à l’ouest, son la plupart des églises seigneuriales. Le haut Poitou (la Vienne, ses marges sud-est et la partie nord des Deux-Sèvres) comprend deux grandes églises de ville, Poitiers et Châtellerault et deux fortes églises rurales, Lusignan et Couhé, et une dizaine d’églises éparses, surtout urbaines. Enfin, le moyen Poitou constitue l’ensemble le plus important, non par le nombre d’églises (douze), mais par celui du nombre de protestants (…), groupés principalement autour de Niort, allant vers l’est jusqu’au-delà de Saint-Maixent et Melle, à la limite du haut Poitou[2] ».(Yves Krumenacker « les protestants du Poitou au XVIIIème siècle (1681-1789) » éditions Honoré Champion).



Vers 1660[3], le partage des différentes églises du Poitou entre les trois colloques s’opère de la manière suivante : 22 églises pour le bas Poitou (37 prêches et 20 pasteurs), 10[4] églises pour le moyen Poitou (18 prêches et 14 pasteurs) et 15 églises pour le haut Poitou (21 prêches et 16 pasteurs).



Après 1665, le nombre de lieux de cultes autorisés en Poitou va cependant être réduit drastiquement suite aux décisions prises à partir de l’enquête menée par les commissaires de l’Edit[5].

  

 

En effet, sous l’impulsion d’un Louis XIV attentif aux exigences du clergé catholique, ces commissaires chargés de faire respecter strictement l’application de l’Edit de Nantes procéderont à partir de 1660 à une élimination drastique des lieux de culte protestants dans le royaume.

   

Ainsi, chaque communauté doit prouver l’existence d’un culte régulier avant l'Edit de Nantes mais les preuves exigées sont de plus en plus difficiles à fournir. Par ailleurs, le rapport de Colbert de Croissy (voir lien dans la note de bas de page 8 (page 320 du document)) montre une interprétation pour le moins spécieuse de l’Edit pour justifier la destruction de temples : les églises de fief ne doivent pas seulement être des seigneuries de haute justice mais doivent en plus relever « nûment et immédiatement du roy », seul un lieu d’exercice par baillage est retenu alors que l’Edit en prévoit deux.

   

Il en résultera donc en 1665, la démolition de temples et,subséquemment, de la disparition au moins théorique d’un nombre important de lieux de culte[6].

 

 Au synode provincial en 1678, on ne comptera plus que 23 églises.



Officiellement car les résistances s’avèrent fortes tout au long du siècle de la part des communautés, tant sur le plan juridique (contestation des décisions) que dans les faits (non application des décisions prises à leur encontre).



Pour ne citer qu’un exemple, la tenue d’une session des Grands Jours à Poitiers en 1634 entreprend notamment de vérifier la validité de l’exercice du culte dans certaines localités[7]. Elle ordonne notamment la démolition de plusieurs temples dont celui d’Exoudun, jugé trop proche de l’église. Les protestants du lieu sont sommés de n’assister à aucun service religieux, (« la messe exeptée »), ailleurs qu’au chef-lieu du bailliage, soit à Lusignan, localité distante d’une vingtaine de kilomètres.



Or, jusqu’en 1665 - date à laquelle le temple fut définitivement détruit malgré une résistance locale - , les protestants d’Exoudun continuèrent à vraisemblablement à assister secrètement au culte à la Mothe saint Heray et non à Lusignan.



Le pasteur d’Exoudun Jean Vatable prêcha, quant à lui, en secret. Il fut dénoncé en 1645 par l’évêque de Poitiers pour avoir prêché parfois à Bois Sec en l’eau à coté de Lezay.

 

 

 

[1] SHPF, bulletin historique 1911 page 48.

[2] Comme le relève l’auteur, Loudun  relève alors du colloque d’Anjou, Mauzé (actuellement en Deux-Sèvres) relève du colloque d’Aunis et Villefagnan dépend du colloque d’Angoumois.

[3] Le synode provincial de Châtellerault tenu en juin et juillet 1663 recense 47 églises et leurs annexes.

[4] Les dix églises recensées pour le moyen Poitou sont les suivantes : Saint Maixent, Niort, Exoudun, Melle, Chef-Boutonne, Mougon, Champdeniers, Saint-Christophe, Saint Gelais et Cherveux. A souligner toutefois que le nombre est variable sur une aussi longue période, d’autant que l’existence de certaines églises est remise en cause régulièrement.

[5] Le commissaire catholique est Colbert de Croissy tandis que le commissaire protestant et La Noue seigneur de Montreuil-Bonnin. En réalité, cette double représentation censée assurer la neutralité est plutôt de façade, les arbitrages en cas de désaccord se faisant surtout en faveur de la position du commissaire catholique. Dans son rapport au roi, Colbert de Croissy juge favorablement La Noue (« procédant dans les sentimens d’honneur et de franchise qui lui sont naturels, (il) avoit donné déjà donné les mains à la destruction des temples qu’il avoit jugé lui-même insoutenables ») tout en précisant que les récriminations du parti huguenot contre lui ont conduit finalement La Noue à demander un arbitrage concernant la destruction de 74 temples ("rapport au roi concernant la province de Poitou" pages 319 et suivantes)

 

[6] Le lien entre les deux notions existe sans conteste dans l’Edit (article 16 : « permettons à ceux de ladite religion de bâtir des lieux pour l’exercice d’icelle, aux villes et places où il leur est accordé ») mais les juristes du parti catholique opéreront une distinction absurde, considérant que si le droit de s’assembler pour le culte peut exister dans une localité, cela ne justifie pas forcément que le culte se déroule dans un temple (cf. l’argument développé en particulier de l’avocat général Talon lors des Grands Jours de Poitiers de 1634 et qui donnera lieu à un arrêt du 16 septembre). Au nom de cette subtile distinction le temple de Saint-Maixent pourra être démoli (un autre temple sera construit dans les faubourgs en 1636). 

[7] Voir en particulier « Histoire des protestants et des églises réformées du Poitou » de Pierre DEZ (1936),  pages 276 et suivantes, ouvrage qui constitue par ailleurs une référence sur le protestantisme en Poitou. L’auteur note que les arrêts subséquents aux Grands Jours prennent aussi d’autres mesures vexatoires à l’encontre des protestants dont : l’interdiction de sépulture dans les cimetières paroissiaux, l’interdiction pour les pasteurs de prêcher en dehors du lieu de culte de résidence (ce qui conduisait à interdire de fait le culte dans des lieux d’exercice voisins pourtant reconnus par l’Edit) et la fermeture d’écoles.

 

Devise de Théodore de Bèze en référence aux persécutions ("Plus à me frapper on s'amuse, tant plus de marteaux on y use")

Devise de Théodore de Bèze en référence aux persécutions ("Plus à me frapper on s'amuse, tant plus de marteaux on y use")

La structure de l’église et ses attributions[1]



Chaque église ou communauté est dirigée par un consistoire composé du pasteur, d’anciens et de diacres renouvelés tous les quatre ans par tiers.

 

Leur nombre varie selon l’importance de la communauté. Ainsi, à Niort dont la communauté protestante est évaluée entre 5000 et 6000 personnes au 17ème siècle, le consistoire comprend 18 membres et 2 pasteurs.



Assemblée de fidèles, le consistoire avait en charge « l’ordre, l’entretien et le gouvernement » de la communauté.



A cet égard, il était investi de différentes missions aussi bien d’ordre administratif et financier que spirituelles et morales :



- il collectait des fonds qu’il gérait pour financer notamment les gages du pasteur (les deniers du ministère), l’aumône (le denier des pauvres), l’éducation et l’entretien du temple ;

- il représentait et défendait les intérêts de l’église dans les synodes et face aux autorités administratives et judiciaires (via les procureurs syndics dans ces deux derniers cas) ;

- Sur le plan spirituel, il préparait la cène, recevait les méreaux et établissait la liste des fidèles admis à communier ;

- Sur le plan moral, le consistoire assurait la surveillance du troupeau contre « les superstitions papistes » et les écarts de conduite qu’il sanctionnait.

 

Pour mener à bien ses missions, le consistoire de Niort s’est réuni 830 fois entre 1629 à 1684, soit un peu plus d’une fois par mois.

 

La mobilisation de fonds pour payer le pasteur et financer l’assistance aux pauvres



L’entretien du pasteur



En effet, si le clergé catholique est financé par la dîme et les bénéfices ecclésiastiques, rien de tel pour les réformés qui bénéficièrent un temps de subventions royales - versées au demeurant très irrégulièrement jusqu’en 1610 - avant qu’elles ne disparaissent puis soient supprimées.



Pour l’église de Niort, cette charge financière (gages des deux pasteurs mais aussi du lecteur du temple) a représenté 60% des dépenses  des dépenses globales sur la période étudiée (1629 à 1684).



Ces gages sont versés en principe chaque trimestre par quartier au pasteur, mais le versement dépendant étroitement de la collecte effectuée[2] (retards de paiement éventuels dus aux contestations individuelles ou collectives des fidèles des montants requis, aux difficultés économiques etc.) ou encore de conflits entre le consistoire et son pasteur, il peut se produire que ce dernier soit payé irrégulièrement.



Si l’on en juge par les cas particuliers d’Antoine et de Jean Vatable, l’apurement des comptes entre une communauté et un pasteur qui change de paroisse n’est pas simple non plus.



Le premier a réclamé, semble-t-il en vain, les arrérages de gages dus par l’église de Luneray tandis que le second connaît un différend durable avec l’église de Coulonges.



Ainsi au Synode de Thouars en juin 1645, Jean Vatable réclame des arrérages de son ancienne église de Coulonges (163 livres). Représentée par un de ses anciens (Benjamin Geay sieur de la Caillerie), cette dernière conteste la somme et ajoute au contraire que c’est Vatable qui lui doit de l’argent.



Cette affaire est renvoyée devant le consistoire de Niort qui diffère sa décision lors de sa séance du 10 août 1645, « la compagnie (ayant) jugé n’avoir pas assés de lumières dans cette affaire au regard des demandes dudit sieur Vatable dont le dit député de l’église de Coulonges prétend justifier de quittances, pourtant l’affaire a été remise au premier jour de décembre prochain ».



Déjà probablement malade (« pour l’indisposition de M.Vatable »), Jean Vatable demande à ce que le règlement du conflit soit différé à une date ultérieure. Le consistoire décide de renvoyer l’affaire à la date de la foire de la sainte Agathe, cette décision étant signifiée au pasteur de Coulonges (le sieur Mestivier) désormais chargé d’agir pour le compte de l’église de Coulonges.



Le mardi 8 mai 1646 Jean Vatable est déjà décédé et ce sont ses héritiers qui comparaissent devant le consistoire face à Mestivier et Benjamin Geay.

 

Au vu des justificatifs présentés par l’église de Coulonges, le consistoire décide que les sommes dues ont bien été payées, y compris le paiement de la location de son logis.

 

L’église de Coulonges présente par contre une reconnaissance de dette signée par Vatable selon laquelle il a reçu une somme de 78 livres qui avait été affectée au paiement de l’aumône. Les héritiers n’ayant aucune preuve du remboursement de cette somme, le consistoire de Niort décide que les 78 livres doivent être payés par ceux-ci à l’église de Coulonges. Les héritiers décident de faire appel de la décision au prochain synode.



Ces chicaneries sont le reflet des relations pas toujours évidentes entre un consistoire et son précédent pasteur.

 

Compte-tenu du rôle assigné par Calvin au pasteur qui se démarque radicalement de celui du prêtre dans la religion catholique, le pasteur et la communauté se retrouvent dans une relation quasi contractuelle.



D’ailleurs, si le ministre préside le consistoire, il n’en est pas moins nommé par ce dernier qui peut aussi en demander le départ, les colloques et synodes jouant un rôle de régulation et d’arbitrage important dans cette dernière hypothèse.



En conséquence, on peut gager que quand la relation se détériore entre les deux acteurs, on a affaire à un divorce dans lequel tous les griefs ressurgissent.



Au-delà de cet aspect, il y a la santé financière de certaines églises qui se révèle mal en point dans les années 1660 et qui ne contribue probablement pas à faciliter les relations avec le pasteur qui devient alors très irrégulièrement payé.



Sur ce point, le synode de 1663 tenu à Châtellerault montre à la fois les efforts financiers requis pour parer aux remises en cause futures des commissaires de l’Edit (pourvoir notamment les annexes de pasteurs réguliers notamment) et la pauvreté de certaines communautés pour y faire face.



L’assistance aux pauvres



Pour l’église de Niort sur la période, l’assistance aux pauvres a constitué le deuxième poste budgétaire. Le financement de ce poste provient des quêtes, des legs et de la levée occasionnelle du « quint des pauvres » (pour faire face à des situations de crise).



Les comptes révèlent que les recettes sont fréquemment supérieures aux dépenses jusqu’en 1665.



Cette gestion parcimonieuse conduit l’auteur à conclure qu’elle reflète le souci de la communauté de ne pas multiplier les cas d’assistance et de concentrer l’aide sur les « vrais pauvres ».



Selon le discours réformé qui ne diffère pas en cela de la vision de l’époque, le pauvre susceptible d’assistance est digne et travailleur mais il est rare, tandis que la pauvreté de la majorité résulte de ses propres déviances, à savoir paresse, oisiveté et malice.



A partir de 1665, les dépenses d’assistance augmentent à Niort, l’auteur y décèle la survenance de difficultés économiques mais aussi une réponse probable aux assauts du pouvoir royal qui met en place dans ces années une caisse de conversion destinée à rallier les protestants à la religion catholique moyennant finances.

 

Il est possible en effet que la communauté de Niort ait conçu alors la nécessité de faire pièce à cette initiative en distribuant plus largement l’assistance aux pauvres religionnaires.

 

 

[1] L’essentiel des informations rassemblées dans ce paragraphe est tiré de l’article de  S. Bertheau « le consistoire dans les églises réformées du moyen Poitou au XVIIème siècle (BSHPF, 116 (1970) p. 332 à 359 et d’une présentation intitulée « les finances des églises réformées au XVIIème : l’exemple de Niort » de Didier Poton (G.E.R.H.I.C.O. (université de Poitiers)) à l’occasion d’un colloque.

[2] Un ou plusieurs anciens sont désignés comme receveurs et collectent les cotisations des fidèles sur la base d’un rôle d’imposition révisé en tant que de besoin. A Niort, ils présentent annuellement les comptes de la communauté.

 

"Lockere gesellschaft" (scène de bordel) vers 1535- Braunschweig - Gemäldegalerie, Staatliche Museen Berlin

"Lockere gesellschaft" (scène de bordel) vers 1535- Braunschweig - Gemäldegalerie, Staatliche Museen Berlin

La surveillance du troupeau



La nouvelle religion enjoint les fidèles à avoir une conduite vertueuse individuelle et collective. Il convient que ceux-ci s’approprient cette nécessité de changement sur le plan personnel et qu’ils la diffusent.

 

« Le protestant, libéré de son angoisse post mortem se révèle plein de force et d’énergie pour vivre sa vie terrestre. Les gens de la réforme construisent dès lors leur existence comme on édifie une entreprise destinée à supporter l’épreuve du temps et à s’accroitre au fil des générations. Ils s’éprouvent donc – et l’Histoire, qui les a faits minoritaires n’a cessé de les conforter dans cette appréciation – comme les militants d’un ordre terrestre, antichambre imparfaite de l’impeccable ordre divin.

Ce projet implique un perfectionnement continuel des individus et de leurs rapports sociaux selon les règles données aux hommes de Dieu, à travers la Bible. Chaque être s’engage ainsi dans une dynamique ; il transmet la vie certes, mais par l’exemple d’une conduite conforme à l’éthique évangélique, il se doit aussi de diffuser l’exemple contagieux de la vertu. Selon la parabole des Talents, l’individu, homme ou femme, possède en ce bas monde une importance exceptionnelle : il doit se perfectionner en même qu’exercer un rôle d’éducateur ». (« Les protestants au XVIème siècle » Janine Garrisson)

 

Toutefois, pour conduire ce changement qui relève du combat quotidien, il faut que les institutions prennent en main la communauté.

 

« … il faut la main de fer des ministres et des anciens. Persuadés d’être dans le droit-fil des prescriptions divines, ils luttent pied à pied pour imposer aux fidèles, la « vraye religion » dont ils sont les premiers militants. Combat difficile, acharné, car les ouailles renâclent souvent devant ce corsetage pointilleux et inédit » (in ouvrage précité).



Il s’agit en particulier que le fidèle ait une conduite conforme au décalogue et qu’il ne succombe pas aux mensonges et aux excès ni ne s’adonne au vice qui prend des formes extrêmement variées (fréquenter la taverne, danser, jouer aux jeux de hasard, etc). Acteur de terrain, le consistoire veille au grain et sanctionne les entorses commises par les fidèles dans leur quotidien, selon une échelle de sanction qui va du repentir (devant le consistoire ou public) à l’admonestation disciplinaire.

 

La surveillance englobe la lutte contre les superstitions papistes dont le consistoire est le garant. Même vertueux, le fidèle doit se prémunir contre les traditions héritées du catholicisme et les pratiques de ses voisins papistes (carême, processions, fêtes votives etc).

 

Le consistoire joue également un rôle arbitral dans les conflits et disputes de tout ordre qui peuvent émerger au sein de la communauté. Il est nécessaire en effet que les rapports sociaux soient apaisés et que l’harmonie règne au sein de la communauté.

 

Si le protestantisme participe d’un long processus de pacification des rapports humains[1] entamé depuis deux siècles par les sociétés de l’Europe de l’ouest, le contrôle social exercé par la communauté à travers ses institutions constitue un puissant marqueur religieux et identitaire pour les protestants de l'époque.

 

C’est aussi pourquoi la lutte contre les déviances individuelles et collectives de la communauté est une priorité, surtout dans les premiers temps du protestantisme où il s’agit de modeler en quelque sorte cet homme nouveau détaché des influences néfastes du « papisme ».

 

En moyen Poitou, il est noté qu’à une période dogmatique d’application stricte des règles qui va des débuts jusqu’aux années 1630 succède une surveillance plus relâchée.

 

L’ordre des urgences change, il s’agit de maintenir la cohésion de la communauté contre les attaques conjuguées du pouvoir et du clergé.

 

 

"Enfant géopolitique assistant à la naissance de l'homme nouveau" Salvador Dali

"Enfant géopolitique assistant à la naissance de l'homme nouveau" Salvador Dali

Une surveillance délicate à mener

 

Ce combat pour établir le paradis sur terre n’a probablement pas été simple pour bien des raisons.

 

D’abord, la communauté protestante s’insère dans un royaume majoritairement catholique régi par ses propres règles construites à partir de la tradition canonique. Contrairement à leurs coreligionnaires des Etats réformés d’Europe, les protestants français sont des sujets catholiques soumis à la législation royale et au droit coutumier. Seules les institutions judiciaires chargées d’appliquer le droit sont partiellement différentes puisque les protestants sont jugés par les chambres de l'Edit (dites « chambres mi-parties » mises en place par l’Edit de Beaulieu en 1576.

 

Par ailleurs, les tentations de « déviance » sont grandes dès lors que les communautés huguenotes sont imprégnées d’une culture populaire traditionnelle héritée du catholicisme, ponctuée de fêtes votives et des cérémonies de rogations, particulièrement importantes dans le monde rural.

 

Sans compter le fait que les protestants voisinent (et se marient éventuellement !) avec des catholiques et doivent donc être à ce titre traversés par une allégeance contradictoire probablement parfois difficile à gérer entre, d’une part leur communauté religieuse et ses règles et,  d’autre part, la collectivité villageoise ou citadine à laquelle ils appartiennent et dont ils sont partie prenante.

 

Dans ce contexte, on imagine que « l’administration morale » de la communauté a nécessité tout à la fois fermeté et doigté de la part du consistoire.

Les convocations et injonctions du consistoire ont dû susciter des résistances passives de la part des coupables ainsi que des négociations sur les modalités d’exécution de la peine[1].

   

Pour autant et malgré un environnement compliqué, les mécanismes mis en place ont bien fonctionné.

 

L'organisation presbytéro-synodale donnait une grande autonomie aux églises locales dans un cadre fédératif, sans pour autant qu’elles ne soient livrées à elles-mêmes dans leurs décisions.

 

Il existait par ailleurs une communication importante entre les différentes églises, ne serait ce qu’à travers la réunion régulière des colloques et des synodes provinciaux et nationaux.

 

Les règles régissant l’église réformée qui étaient adoptées et modifiées uniquement dans le cadre des synodes nationaux, constituaient la loi commune et donc le support d’une partie des décisions des consistoires.

 

En particulier en matière d’excommunication, l’application d’un corpus commun était requis, au risque sinon que la sanction n’ait été limitée qu’à une communauté et donc non susceptible d’atteindre l’objectif de la punition.

 

Ces règles se sont aussi enrichies au fil des synodes nationaux afin d’encadrer des situations nouvelles, tout en demeurant adossées au droit canon. La Discipline des églises réformées de France publiée en 1666 par le pasteur Isaac d’Huisseau montre ainsi combien la discipline des origines adoptée dès 1559 s’est complétée.

 

Il faut souligner enfin que le respect des injonctions de ce tribunal de mœurs qu’était finalement le consistoire était probablement motivé par le prestige social et moral des anciens qui le composaient. Dans bien des cas, le fidèle est admonesté par le « haut du panier » de la société locale.

 

Si la régulation de la communauté a fonctionné de manière satisfaisante, a-t-elle pour autant réussi à créer une identité particulière ?

 

Plutôt qu’une identité culturelle protestante spécifique qui n’aurait aucun sens pour les raisons développées ci-dessus, un article de Thierry Wanegffelen évoque, lui, une sous-culture réformée.

 

Il conclut à cet égard que « Si certains symboles forts, croyances et pratiques, ont le pouvoir de représenter la communauté et de lui permettre de subsister en procurant à ses membres des critères non ambigus d’appartenance, si des traits culturels sont nettement originaux, ils sont loin de couvrir tous les domaines de la vie pratique, religieuse et intellectuelle ».

 

 

[1] Ainsi, la femme d’un marchand de Nîmes à qui le consistoire ordonne de s’agenouiller devant lui afin de demander pardon  pour être allée à la messe et qui refuse cette humiliation et obtient que le pardon soit demandé debout  (cf. « la construction de l’identité réformée au XVIème et XVIIème siècle : le rôle des consistoires » de Raymond A. Mentzer).

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