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Aussi loin que je me souvienne...

Depuis aussi loin que je me souvienne, j’aime les histoires.

 

Ce goût m’a conduit vers l’Histoire, grâce aux manuels de l’école primaire des années 60 qui nous entraînaient dans ces tentatives de reconstitution de la vie quotidienne des Gaulois et autres Vikings.

 

Les illustrations étaient sommaires et l’auteur concédait quelques incursions dans les biographies stéréotypées de ces héros qui ont fait la France : Vercingétorix, ce noble perdant, Jeanne d’Arc, cette fille du peuple qui remet son roi sur le trône ou bien ce jeune révolutionnaire de 15 ans qui sera assassiné par ces Vendéens obtus pour avoir clamé avec défi : « vive la République, à bas le Roi ».   

 

Vers l’âge de 14 ans, j’ai accompagné les premiers pas de ma mère dans la généalogie, à travers les registres paroissiaux de la petite mairie du village natal de bon nombre de ses ancêtres.

 

Je crois que j’aimais à la fois l’enquête poursuivie et le déchiffrage de ces actes d’état civil, me prenant sans doute un peu pour Champollion qui a trouvé les clés pour décrypter un monde lointain d’histoires quotidiennes.

 

Si loin et si proche, à l’instar de ce que nous racontent les graffitis de Pompéi.

 

Les actes notariés ont permis ensuite d’entrevoir un peu plus les personnes cachées derrière ces lignées et ces dates et m’ont amené à chasser les singularités au-delà des formules très classiques que l’on y trouve. Cette quête permet parfois de glaner quelques pépites comme cette lettre de Paris d’un orfèvre à sa femme aux fins de l’autoriser à prendre un bail et dans laquelle il se répand sur ses déboires judiciaires.

 

A partir de ces éléments épars, je trouve passionnant d’échafauder et d’ajuster des hypothèses à partir des éléments rassemblés et confrontés avec la grande histoire, dans un constant va-et-vient.

 

Dans ce travail, certains détails initialement négligés prennent un sens particulier tandis que d’autres n’ont pas le relief qu’ils promettaient au départ.

 

Ces très modestes assemblages permettent de donner un peu de chair à ces noms et d’esquisser certaines histoires singulières. C’est ce que je me propose de faire très modestement dans ce blog, tenter d’éclairer des fragments de vie de mes ancêtres, à la lumière de la grande histoire.

 

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11 février 2024 7 11 /02 /février /2024 20:14

Cet épisode singulier de l’histoire de France (et de Pologne par la même occasion) est méconnu alors même qu’il présente toutes les caractéristiques d’une aventure rocambolesque, avec une part de farce et de tragi-comédie digne d’intérêt. Du début à la fin, l’aventure est haute en couleurs. 

 

Déjà, ce qui est frappant c’est le caractère improbable et somme toute assez fou de ce projet qui germa à la Cour de France, en ces temps de guerre civile où Catherine de Médicis et le roi Charles IX avaient pourtant bien d’autres chats à fouetter que de faire élire le fils chéri (et le frère encombrant) sur le trône de Pologne.

 

Deux royaumes éloignés, mal connus et probablement exotiques l’un pour l’autre en cette période comprise entre 1572 et 1574, c’est le point de départ de l’aventure.

 

Paris-Varsovie par les routes d’aujourd’hui, c’est 1650 kilomètres et pas mal d’heures en voiture. A l’époque, un voyage sans encombre devait prendre un bon mois et demi d’aventures sur des routes peu sûres. Il y avait pourtant des liens entre les deux nations grâce à une poignée d’individus : des ambassadeurs, des étudiants et souvent une seule langue commune entre les élites, le latin. Il convient de préciser à cet égard que les deux royaumes avaient appris à se connaître, étant donné leurs situations respectives : l’un et l’autre pris entre différentes menaces extérieures avaient déjà compris l’utilité d’alliances de revers. 

 

De cet épisode, j’avais un souvenir de classe très vague mais si je n’avais pas croisé par hasard le récit publié en 1574 de Jehan Choisnin, un des  protagonistes de cette équipée en sa qualité de secrétaire particulier de l’évêque de Valence, Jehan de Montluc, je ne me serais pas penché sur cette affaire. Et puis, comme Jehan Choisnin « de Chatelleraud » (comme il se désigne lui-même) fut très probablement un cousin d’un très lointain ancêtre, je voulus savoir qui était-il et ce qu’il allait faire dans cette galère.

 

De fil en aiguille, l’enquête rejoignit la grande histoire et je ne résiste pas à commencer par elle, avant de vous emmener dans un article prochain sur les hauts et les bas de la famille Choisnin. Mais place à cette aventure !

 

Bien évidemment anachronique mais beau quand même

Le futur roi en partance pour son couronnement en Pologne mais ne brûlons pas les étapes ...

Le futur roi en partance pour son couronnement en Pologne mais ne brûlons pas les étapes ...

A vaincre sans péril on triomphe sans gloire 

 

Le récit de Choisnin est précédé d’un avant-propos daté du 16 mars 1574 adressé à la Reine Catherine de Médicis, dédicace dont l’auteur s’explique à la fin de ce court texte car elle fut (ou en tout cas présentée comme telle), l’inspiratrice de cette candidature à l’élection et c’est elle qui nomma Jehan de Montluc, l’évêque de Valence comme négociateur à cette fin.

 

Cette introduction courte expose à la Reine et, à travers elle au lecteur, l’origine et l’intention du récit. Elle est habilement construite en trois temps, qui préparent en quelque sorte au récit de l’aventure.

 

Dans un premier temps, l’auteur affirme que l’intention première de l’évêque de Valence était de ne pas faire de publicité autour de ce succès afin de faire taire les jaloux c’est à dire « ceux qui volontiers s'occupent à contrôler les actions d’autrui ». Bref, le triomphe devait être modeste et pour cette raison, il défendit « à nous qui avions esté avec luy de ne communiquer à personne, ce que ja nous avions escript de son voyage ».

 

Las. Les gens mal intentionnés à l’encontre de son maître Jehan de Montluc et « les estrangers mal affectés [1]» à la Couronne qu’il servait, eurent tôt fait par « divers moyens (de) calomnié l’election qui avoit esté faicte », de diminuer l’indépendance et les mérites des électeurs polonais comme du roi élu lui-même et, par voie de conséquence, la légitimité et l’éclat de l’élection.

 

Bien que cette chose était « notoirement faulse et qu'elle ne meritoit qu'on y fist aucune response, toutesfois le Roy[2], en prince sage et avisé »  « prevoyant que ce faux bruit prendroit telle racine que ceux qui escrivent l’histoire de nostre temps, comme mal informés pourroient authoriser et confirmer ladicte calomnie », la situation commanda à l’évêque de Valence de rétablir la vérité, tâche que ce dernier confia à Jehan Choisnin, son secrétaire.

  

Tout en étant enlevé et riche en rebondissements de dernière minute, le récit de Jehan Choisnin qui s’ensuit est factuel et précis et ressemble parfois à un manuel de négociation. Il nous narre l’histoire d’un succès, d’autant plus retentissant que le terrain fut semé d’embûches du début à la fin. Il s’autorise seulement quelques digressions touristiques et aussi sur l’accueil et la civilité de la noblesse polonaise à leur égard[3] .

 

Tout au long de l’ouvrage, le propos s’emploie à souligner les difficultés et les solutions astucieuses mises en  œuvre pour y pallier, pour mieux mettre en relief l’excellence de cette « dream team » au service de la Cour de France. L’auteur passe ainsi volontairement sous silence le fait que la candidature française avait été assurée d’un soutien ou d’un a priori favorable d’une partie de l’élite polonaise, soucieuse de s’assurer dans les faits que le roi régnerait mais ne gouvernerait pas.

 

Pour Choisnin, tout le mérite revient à l’évêque de Valence, ce chef d’escadre embarqué sur les eaux tumultueuses de la conquête d’un trône, et indirectement, à la Couronne de France qui est à la manœuvre en arrière-plan.

 

Ainsi, c’est en vain que l’on cherchera qui était Choisnin et son rôle dans cette affaire. Il se présente comme l’humble serviteur de l’évêque et à travers lui, de la Couronne. A peine comprend-t-on qu’il parlait italien et qu’il avait traîné longuement ses guêtres à l’université de Paris. Les rares éléments personnels mis en avant montrent simplement sa dédication à une entreprise réussie.

 

[1]L’auteur est ici prudent : les jaloux sont les ennemis de l’évêque tandis que les autres calomniateurs ne peuvent être que des étrangers, ennemis de la Couronne.

[2]Il s’agit de Charles IX. On note ici que la commande vient du Roi tandis que la dédicace est faite à la Reine, choix qui renforce probablement aussi l’intention de donner un relief d’objectivité au récit.

[3] Il s’en explique en disant que bien que« cela (ces descriptions enthousiastes) ne servoit de rien à ladicte negotiation (…) je l'ay faict affin que les lecteurs de ce traicté entendent que la noblesse de la Polongne surmonte toutes les autres en courtoisye et humanité ».

 

 

Carte de la Pologne au temps de la République des deux Nations

Carte de la Pologne au temps de la République des deux Nations

A cœur vaillant rien d’impossible

 

Au départ de cette aventure, ce sont les soucis d’une famille régnante qui prévalent. Comment caser le jeune et remuant duc d’Anjou ? Il fait de l’ombre à son frère le Roi, alors même qu‘il pourrait faire un beau mariage et une alliance utile pour la Couronne ou bien trouver une bonne place.

 

Surtout en dehors du  royaume, c’est ce qui sembla le fil conducteur des ambitions de sa chère famille.

 

Le choix initial se porta sur Elisabeth 1ere, la Reine d’Angleterre, aînée du prince de 22 ans. Mais était-ce une incompatibilité religieuse (Elisabeth était protestante et Henri farouchement catholique) ou bien la crainte de perdre le pouvoir par les compromis religieux qu’une telle alliance engageait pour le royaume d’Angleterre, bref, l’affaire ne se fit pas. Du reste, la reine anglaise avait déjà usé deux prétendants avant lui, sans donner suite.

 

Il y aurait eu aussi le projet totalement irréaliste de faire concéder par le sultan ottoman Sélim II au duc d’Anjou le royaume d’Alger avec la Corse et la Sardaigne. Pas moins. Mais l’évêque de Valence convainquit apparemment la Reine de l’impossibilité de réaliser une telle entreprise. De la part d’un diplomate aussi expérimenté, c’était une parole d’or.

 

Plus raisonnable, le choix se porta enfin sur le royaume polonais qui représentait une très belle perspective. Fruit de l’alliance avec le grand-duché de Lituanie, la République des deux Nations, couvrait un vaste et riche territoire, coincé cependant entre différentes puissances[1] qui chacune joueront leur partition lors de l’élection comme on le verra. 

 

Comme Choisnin l’expose sans fioritures, l’idée de la conquête du trône de Pologne reposait sur le plan suivant[2] : le roi Sigismond II étant déjà âgé, malade et sans héritier, on mariait Henri avec sa sœur l’infante qui n’était plus en âge d’avoir d’enfants (elle avait 47 ans) et Henri devenait roi de Pologne.

 

En effet, si la Pologne fonctionnait sur le principe de l’élection de son roi par la Diète, la succession familiale faisait de l’élection une formalité. Je simplifie ici car si le principe électif du roi existait bien sur le plan théorique, il ne fut véritablement formalisé que juste avant la mise en place de cette élection, après la mort de Sigismond Auguste. Comme je le précise plus loin dans le troisième épisode, l'instauration des mécanismes d'élection de cette véritable monarchie élective fut source d'âpres discussions et prit du temps à être formalisée, mais nécessité fit loi.

 

Si, comme le montra la suite, l’agonie du roi ne permettait plus d’envisager cette solution, le plan B consistait à introduire la candidature d’Henri en catimini pour le placer sur l’échiquier, déjà chargé, de candidats à l’élection, dont les rivaux du trône de France à l’époque, les Habsbourg.

 

Dans les deux cas de figure, il importait de préparer le terrain discrètement avec une première équipe dont personne ne pourrait se méfier, car « si l'affaire ne succedoit selon son desir », une action à découvert et officielle eût exposé Catherine de Médicis et la Couronne de France à la « mocquerie »

 

C’est ainsi que sagement, la Reine mère commanda « d'employer un homme duquel l'on ne se pourroit jamais doubter; et de telle condition estoit le sieur de Balagny , tant pour l'aage que pour le peu d'expérience qu'il avoit aux affaires publiques (il était âgé de 27 ans), et qui jà avec plusieurs autres gentilhommes francois estoit à Padouë, pour apprendre la langue et s'exercer aux armes ».

 

Muni notamment de lettres de recommandations de la Couronne auprès des cours souveraines qui devaient être visitées ainsi que d’une lettre d’introduction de son père l’évêque de Valence pour le roi Sigismond II, le jeune Jehan de Balagny partit pour cette aventure à la fin du printemps 1572. Il fut accompagné d’un équipage restreint composé d’« un gentil-homme de Dauphiné nommé Charbonneau, homme de moyen aage, et un autre appellé du Belle (Just du Bayle), baillif de Valence, et moi ».

 

 

[1] Le royaume de Suède au Nord, le Tsarat de Russie à l’Est, l’empire ottoman au sud ainsi que le Saint Empire germanique dont l’archiduché d’Autriche, au sud-ouest et à l’ouest. 

[2] Choisnin indique que ce plan avait été soufflé à la reine par l’évêque de Valence. C’est possible étant donné qu’il avait apparemment séjourné en Pologne et était semble-t-il connu du souverain et de nobles polonais. Est mentionné le fait qu’un noble polonais du nom de Jean Crazosky qui avait séjourné à la Cour de France aurait défendu cette idée puis se serait proposé pour la défendre auprès de ses compatriotes. De fait,  Jean Crazosky surnommé « Dominé » fit partie de l’expédition.

courtisans français vers 1572

courtisans français vers 1572

Bref aperçu des membres de cette première équipée

 

Attardons nous sur les membres de cette première équipe qui, comme on le verra, sont tous issus de l’entourage proche de l’évêque de Valence, Jehan de Montluc.

 

L’entourage familial d’abord, avec Jehan de Balagny qui était son fils naturel légitimé et pour lequel il avait acheté la terre de Balagny dans l’Oise. Le jeune Balagny avait vraisemblablement fait ses premières armes sous les ordres de son oncle Blaise de Montluc qui commandait les troupes du roi contre les protestants. Il fit une carrière militaire au service d’Henri d’Anjou, notre éphémère roi de Pologne et futur Henri III et ne cessera ensuite de servir la Couronne, comme gouverneur de Cambrai notamment, avant d’être chassé par les Cambraisiens excédés par les Français, à commencer par leur gouverneur et sa clique. Il fut nommé ensuite Maréchal de France sous Henri IV qui ne lui tint pas rigueur d’avoir été ligueur. Tout au long de sa carrière, il entraînera dans son sillage les fils Choisnin, comme l’avait fait son père avant lui avec Choisnin père. 

 

Les hommes de confiance au service de l’évêque ensuite, à savoir deux gentilhommes, originaires du Dauphiné. Le premier, Just du Bayle (orthographié du Belle), était bailli de Valence, comme son père l’avait été avant lui. La fonction de bailli avait nécessairement mit en relation Bayle père et fils avec le comte de Valence qu’était Jehan de Montluc, en sa qualité d’évêque. Le second est un gentilhomme du nom de Charbonneau décrit comme étant d’un âge moyen, que l’on peut peut-être estimé comme étant compris entre 35 et 50 ans. Je n’ai rien trouvé permettant de l’identifier précisément mais une famille noble de Charbonneau est attesté en Dauphiné (Valence, Grenoble) au 16ème siècle.

 

Le dernier, Jehan Choisnin l’auteur de l’ouvrage, fut le secrétaire particulier de l’évêque et donc l’un de ses plus proches serviteurs. Je ferai des développements plus importants sur lui et la famille Choisnin dans un futur article mais quelques mots quand même sur le personnage, bien que l’on en sache très peu et qu’il existe une incertitude sur l’identité de l’auteur de l’ouvrage.

 

En résumé, j’ai eu du mal à déterminer si le secrétaire particulier fut Jehan Choisnin père (vers 1520-vers 1580)  ou son fils aîné (vers 1546-1589). Certains éléments me permettent de penser que ce fut Jehan Choisnin père, né aux environs de 1520 à Châtellerault qui épousa Jeanne Danetz à Paris en 1545 et mourut probablement avant 1580. Sur son contrat de mariage (certes retranscrit), un Monluc signa ce qui atteste un lien entre Choisnin et la famille de Montluc dès cette époque. Également, en mai 1573, alors que l’expédition de Pologne était sur le point de retourner en France après l’élection, un de ses fils Gilles se marie et l’acte de mariage signale la présence de la mère de l’époux, Jeanne Danetz, et son frère aîné, Jehan Choisnin sieur de la Boussée. Jehan Choisnin père étant nommément cité sans être pourtant ni mentionné comme défunt ni comme présent, j’en déduis qu’il était encore aux côtés de l’évêque en Pologne à ce moment-là. Enfin mais c’est probablement moins probant, l’auteur se désigne comme étant Jean Choisnin de Chatellerault, or c’est bien le père qui naquit à Châtellerault et fit carrière notamment à Paris, dans le sillage de l’évêque, Jehan de Montluc, et non ses enfants. 

 

Jean Choisnin était déjà secrétaire particulier de l’évêque en 1569 car il est mentionné par Blaise de Montluc dans ses mémoires[1], à un moment où il fut envoyé de Bordeaux à Paris auprès du roi pour annoncer une victoire du camp catholique (sous le nom de Chauny mais il fait peu de doute que ce soit le même). 

 

Voilà pour cette équipe de repérage, composé d’un jeune homme de bonne noblesse mais plutôt inexpérimenté (il n’est pas d’aage et d’autoricté comme le signale Choisnin plus loin) et d’une petite suite de personnes, de moindre noblesse mais probablement plus âgés et chevronnés et en lesquels Jehan de Montluc avait toute confiance, pour aider son fils  dans cette tâche.

 

[1] « Monsieur de Valence despecha incontinent son secrétaire un dénommé Chauny vers leurs Majestés pour leur rapporter les nouvelles »

Jehan de Montluc, évêque de Valence

Jehan de Montluc, évêque de Valence

Entrer discrètement en campagne

 

L’équipe fit un voyage sans encombres jusqu’en Pologne qu’elle atteignit vraisemblablement vers la fin du mois de juin 1572. Le pays était alors affecté d’une épidémie de peste et le roi Sigismond II était à l’agonie.

 

Seul élément notable du trajet jusqu’en Pologne, l’étape à la Cour de l’archiduc d’Autriche Ferdinand II à Innsbruck qui les accueille fort bien, tout en interrogeant avec insistance le jeune Balagny pour entrevoir la finalité d’un périple qui ne devait pas lui sembler comme un simple voyage d’agrément (il crut qu’il était parti pour une négociation avec le sultan turc).

 

En Pologne, l’objectif était de rencontrer le roi mourant qui avait été transporté de Varsovie à Knyszyn, peu après leur arrivée. Nos émissaires firent une brève étape à Cracovie où Choisnin fut impressionné par leur visite dans les mines de sel, qu’ils firent, accompagnés du bourgmestre de la ville.

 

En route vers Knyszyn, ils furent chaperonnés par un chevalier de l’ordre de Malte qu’il dénomme « Sarnikoskri[1] », frère du capitaine général de Grande Pologne qui se montra très accueillant et « n’eut pas moins de soucy dudict sieur de Balagny et de nous qui  l'accompaignions (comme si) nous étions ses propres enfans ». Est-ce que la rencontre fut fortuite ? Il est permis d’en douter, sans preuve aucune évidemment.

 

Toujours est-il que c’est par l’entremise de ce personnage qu’ils furent logés à Knyszyn et que le roi fut avisé de la demande d’audience. Le roi déclina la demande de Balagny en raison de son état de santé mais recommanda aux membres de sa cour de lui faire bon accueil « lesquels n'estoit besoing d'admonester à recevoir humainement un gentil-homme estranger car il fault confesser que ceste nation surmonte en civilité et courtoysie toutes les autres ».

 

La recommandation du roi, alliée à l’hospitalité des nobles polonais, ouvrit toutes les portes[2]. La compagnie fut accueillie de fait par le gratin de l’électorat de la noblesse. Et Choisnin de citer les hauts personnages chez lesquels ils furent reçus. Il commence par l’évêque de Cracovie (Franciszek Krasiński 1525-1577) qui était en même temps vice-chancelier de Pologne et donc en charge des affaires intérieures et de la justice, c’est à dire l’un des plus grands personnage de la partie polonaise du royaume. Ils rencontrèrent également le vice-chancelier du grand-duché de Lituanie, homologue du précédent car l’administration royale était doublée pour les deux territoires du royaume durant la période de la République des deux Nations.


Ils cite également une autre personnalité importante, le sieur Radzivil, maréchal de la cour de Lituanie (vraisemblablement

Nicolas Christophe Radziwill, (1549-1616), de la puissante famille lituanienne des Radziwill). Elu pour un an comme responsable de la direction des affaires du Grand-Duché de Lituanie, il devait à ce titre se coordonner avec son homologue polonais.

 

Choisnin mentionne aussi le sieur Troski[3], « grand tranchant » de sa Majesté (ou plus exactement « le porteur d’épée » soit « mieznick » en polonais), également le maître de la chambre du roi (le chambellan ou « podkomorzy en polonais[4]) ainsi que son neveu qui reçut les Français avec faste. L’oncle et le neveu sont décrits comme francophiles (« (ils) ont esté tousjours de nostre parti ») et parfaitement francophones (« ils parloient françois comme s'ils eussent esté nez dans Paris »).

 

Parmi les autres hôtes de l’équipe, sont mentionnés outre le référendaire « Sarnikoskri » (ou plutôt Czarnkowski déjà cité), le fils de Stanislas Gotomski, Palatin[5] de Rawa et enfin, et surtout, Erasme et Gaspard Dembinski, fils de Walenty Dembiński grand chancelier de Pologne (en charge des affaires extérieures et à ce titre l’équivalent du vice-chancelier mais pour le domaine diplomatique).

 

Le roi mourut le 7 juillet et Balagny dut passer au plan B. Concrètement, il s’agissait de revenir vite en France par voie maritime, dix jours pour atteindre Dieppe depuis Gdanzk (Gdansk/Dantzig où Balagny avait été fastueusement accueilli) pour envoyer à son tour une délégation menée par Jehan de Montluc auprès de la Diète ; qu’elle puisse venir rapidement en Pologne pour poser la candidature officielle du prince français et la défendre.

 

Une campagne électorale discrète commença toutefois avant le départ de Balagny. Les alliés potentiels dont les frères Dembinski, furent mis dans la confidence et ils hébergèrent d’ailleurs Choisnin qui resta en Pologne pour « entretenir la flamme ».

 

Il dit ainsi qu’en la compagnie des frères Dembinski, il « fuz receu en beaucoup de bonnes maisons, où souvent estoit tenu propos dudict seigneur à présent Roy; et par ce moyen plusieurs gentilshommes commencerent à aymer celuy duquel ils n'avoient ouy que bien peu parler ».

 

Avant de partir, Balagny et sa suite assistèrent au cérémonial de l’enterrement du roi avec la noblesse du royaume « tant de l’une que de l’autre religion ».

 

Point important que je n’ai pas mentionné jusque-là : la noblesse polono-lituanienne de l’époque est partagée entre le catholicisme et le protestantisme, dans un royaume d’ailleurs largement multi confessionnel. L’équilibre avait été maintenu avec Sigismond II, roi catholique. Chaque noble imposait sa religion sur son domaine et la question religieuse n’interfèrait pas en principe dans les affaires publiques.

 

Mais à l’aube de l’élection d’un nouveau roi, on entra dans une zone de turbulences. La neutralité et les garanties attachées à ce compromis non écrit (qui le sera plus tard d’ailleurs) furent quelque peu malmenés en sous-main par les grands du royaume soit pour des enjeux religieux, ou personnels ou tout simplement de pouvoir.

 

Une sérieuse complication supplémentaire apparut pour les Français lorsque la nouvelle de la Saint Barthélémy parvint en Pologne : la possible élection d’un roi catholique, instigateur ou complice de cette boucherie, posa un sérieux problème moral et politique pour les électeurs, et en particulier, pour  la noblesse protestante.

 

Ce massacre sera la grande épine dans le pied de la diplomatie française dans cette affaire, d’autant que les candidats rivaux, tant protestants que catholiques, s’empressèrent de mettre du sel sur la plaie.

 

Au début et faute de mieux, on bricola. Comme la nouvelle du 24 aout 1572 « fut apportée audict pays », Choisnin étant demeuré seul en Pologne et dans l’attente de son maître, dut faire face aux premiers questionnements sans avoir rien su et il eut « à respondre, tant par paroles que par escript, à ce que l'on en disoit et quelques-uns (le considérèrent comme un menteur) pour avoir tant dict de bien dudict seigneur (le duc d’Anjou) ».

 

En expliquant le massacre par la faute du peuple et par quelques « inimitiés particulières », Choisnin se flatte dans l’ouvrage d’un certain succès auprès de ses contradicteurs. Succès qui ne devait pas être si patent cependant, puisqu’il finit par se retrancher derrière l’arrivée prochaine de Jehan de Montluc « car je les asseurois que ce seroit luy qui auroit la charge d'y venir, et duquel l'on pourrait sçavoir la verité du faict ».

 

[1] L’orthographe des noms est tellement approximative que j’ai complété les recherches avec le peu d’éléments que je pouvais avoir. Dans ce cas, je pense qu’il s’agit de Stanisław Sędziwój Czarnkowski (1526-1602), référendaire de la couronne dans les années 1567-1576, frère de Wojciech Sędziwój Czarnkowski (1527-1578), staroste général de la grande Pologne (de 1563 à 1578)

 

[2] Choisnin écrit qu’« il n'y eut evesque, il n'y eut palatin, il n'y eut seigneur de marque, qui ne traictast ledict sieur de Balagny qui ne le receust avec tel et si favorable recueil comme s'il eust esté personnage d'aage et d'autoricté ».

 

[3] Mon ami Marek suggère qu’il s’agit peut-être de Stanislaw Tarnowski (1541-1618)

[4] Selon Marek toujours, ce pourrait être Kasper Irzykowicz qui témoigna d'ailleurs, scandalisé, de l’abandon de la dépouille mortelle du roi ainsi que du pillage du trésor royal

[5] Le palatin (ou voïvode) était le gouverneur civil d’une région importante appelée palatinat (voïvodie), ici il s’agit du palatin de la région de Rawa.

 

 

 

... La suite au prochain épisode ....

 .... Jehan de Balagny, fils naturel de l'évêque de Valence. Ici en 1599

.... Jehan de Balagny, fils naturel de l'évêque de Valence. Ici en 1599

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3 février 2024 6 03 /02 /février /2024 20:00

Dans le premier épisode, Choisnin nous a raconté les premier développements de ce projet fou. Maintenant, nous entrons dans le vif du sujet. Comme nous le verrons, après un voyage pour le moins chaotique, l’évêque de Valence découvre l’ampleur des difficultés. Et puis, les répercussions de cette maudite Saint-Barthélémy compliquent encore plus la situation …

 

…. Au point qu’il écrit le 20 novembre 1572 au secrétaire d’Etat Brûlart, chargé des affaires de Pologne :

par la depesche que je fais au Roy et parce que vous dira le doyen de Dye, vous entendrez comment ce malheureux vent qui est venu de France a coulé le navire que nous avions ja conduit à l'entrée du port.

Tout va très bien, Madame la Marquise - Paul Misraki

Vue de Gdansk vers 1575

Vue de Gdansk vers 1575

Préparation et voyage de l’évêque : les premiers déboires

 

Balagny effectue son retour en France en août sur un simple bateau de Fécamp dénommé l’Ange, par souci d’économie et pour éviter la jalousie - est-il dit - des rois de Danemark, de Suède, d’Angleterre et de Norvège qu’il aurait visités (le motif non avoué est peut-être plutôt de demeurer relativement incognito). 

 

Pendant ce temps, le Roi de France, averti de la mort du Roi de Pologne vers la fin de juillet 1572, commence à présider à la nomination et les préparatifs de l’ambassade pour la candidature de son frère.

 

Se pose alors la question de l’ambassadeur idéal : « il falloit que ce fust un homme de robe longue (un magistrat ou un avocat, bref un beau parleur) qui sceust, comme l'on dit, aller et parler ; car, puisqu'il falloit demander le royaume à cinquante ou cent mil gentilshommes, ils ne pouvoient estre gaignez que par oraisons publiques et autres discours semez par le pays, et en langue cogneuë et entenduë par la pluspart des eslecteurs (en latin) ».

 

On opte d’abord pour Guy du Faur de Pibrac ou le premier président du Parlement de Grenoble Jean Truchon. Sa Majesté tranche, le premier étant indispensable à Paris et le second très malade, c’est Jehan de Montluc qui est désigné. Il n’est certes pas magistrat mais ses états de services auprès de la diplomatie française sont excellents.

 

Coquetterie ou fatigue de l’âge ? Montluc rechigne au début et passe en revue son carnet d’adresses pour se trouver un remplaçant. Il abandonne très vite cependant. Le voilà parti pour la dernière mission de sa vie.

 

Le voyage pour la Pologne fut rocambolesque. Parti de Paris le 17 août 1572, le bon évêque n’atteignit la frontière polonaise qu’à la fin du mois d’octobre.

 

Dès Saint Dizier, une dysenterie l’oblige à s’arrêter mais, apprenant le massacre de la Saint Barthélemy, il reprend sa route vite-fait pour précéder la nouvelle et faciliter ainsi la traversée des États du Saint Empire.

 

Las, à Saint Mihiel, avant sa sortie de France, notre évêque est pris dans un traquenard actionné par le secrétaire de l’évêque de Verdun, un certain Masseré, l’idée étant de le faire prisonnier au nom du roi puis de l’éliminer pour libérer le poste d’évêque de Valence. On fait courir le bruit absurde qu’il emporte avec lui 50 000 écus ce qui motive les troupes, en particulier Rieus sieur de Manègre, lieutenant du gouverneur de Verdun, peut-être de mèche au départ avec l’instigateur de ce coup fourré.

 

Montluc proteste, montre les lettres du roi. En vain. Il est escorté par Manègre qui tente de l’occire sur la route et il est conduit à Verdun. Retenu prisonnier, pendant 8 jours, il fait parvenir une lettre au roi. Pas moins de trois lettres du roi, de Catherine de Medicis et du duc d’Anjou datées du 5 septembre le font libérer et promettent un châtiment exemplaire au coupable.

 

Sorti de ce feuilleton de série B, Jehan de Montluc manque à Strasbourg le rendez-vous avec Pierre Gilbert sieur de Malloc et conseiller au Parlement de Grenoble, ainsi que l’abbé de Saint Ruf son neveu (Charles de Leberon fils d' Anne de Montluc) et Scaliger. Les trois soutiens espérés de sa négociation, l’avaient attendu en vain, puis, ayant appris la nouvelle de la Saint Barthélémy, avaient pensé que le projet était tombé à l’eau et s’en étaient retournés à la maison.

 

Il rencontre toutefois dans la rue Jean Bazin, procureur du roi pour la prévôté à Blois, qu’il embarque dans l’aventure.

 

D’une mésaventure à une autre, il arrive à Francfort (sur le Main) où il est retenu par des reîtres au service du comte de Mansfeld, ayant combattu en France pour le roi de Navarre et le prince de Condé, sans avoir été payés. Il s’ensuit des exigences de paiement, les reîtres en question ayant un Français sous la main pour lui faire cracher l’argent.

 

Une embrouille plus tard et on en appelle aux échevins de Francfort qui déclarent le 15 septembre que Montluc n’est redevable de rien du tout. Toutefois et comme nos échevins n’avaient aucun pouvoir sur ces reîtres, il recommandent à l’évêque de continuer son chemin, avec des solutions qu’il décline poliment car il souhaite demeurer incognito dans son voyage.

 

Au terme d’une négociation serrée avec l’un des chefs des reîtres, un dénommé Cracouf (probablement originaire de Cracovie, d’où son nom), Montluc obtient d’être accompagné jusqu’à Leipzig avec une escorte contre paiement. La rétribution est négociée âprement et finalement pour 300 écus, l’évêque continue sa route apparemment sans réelle escorte mais il atteint Leipzig sans problèmes aux environs du 6 octobre.

 

Arrivé là, il hésite sur le parti à prendre car il apprend que la diète polonaise doit se réunir 4 jours plus tard (ce qui se révéla faux par la suite) donc il ne faudrait pas tarder. Mais dans le même temps, la peste sévit toujours en Pologne et il reste encore du chemin à parcourir, et surtout, traverser le Brandebourg et ses reîtres de très mauvaise réputation.

 

Plusieurs options s’ouvrent à notre évêque qui semble faire montre à cette occasion - comme plus tard d’ailleurs -, d’un don pour l’improvisation, doublé d’une excellente intuition.

 

Il envoie d’abord un de ses secrétaires, Pierre Lambert, auprès du comte de Mansfeld pour se plaindre du traitement qu’il a subi par ses hommes de mains et obtenir de ce dernier une escorte. Finalement, l’envoyé du comte présente ses excuses à l’évêque au nom de son maître et propose de l’accueillir et de fournir une escorte à condition de savoir où il  souhaite se rendre et pourquoi.  Finalement l’évêque renonce : ce serait une perte de temps en civilités et cela porterait potentiellement préjudice à l’incognito de la mission, dans les terres du Saint Empire.

 

Pour les mêmes raisons, il décide de traverser la Saxe ni vu ni connu et, rejette le conseil de Jan Krasowski dit « Dominé »

gentilhomme polonais qui faisait partie de sa suite[1], de prendre la voie la plus directe via la Silésie.

 

Il opte finalement pour la traversée du Brandebourg accompagnée d’un des soldats dudit Cracouf. Deux jours avant de quitter Leipzig, Montluc envoie en éclaireurs Bazin, Jan Krasowski et un jeune noble polonais dénommé Deconopaski dans l’ouvrage (mais peut-être plus sûrement Konopaski, la particule étant attribuable à une francisation du nom noble) avec pour mission de recueillir des nouvelles.

 

C’est par la petite ville frontière de Międzyrzecz que l’évêque et sa troupe rejoignent la Pologne à la mi-octobre 1572.

 

Désormais, l’objectif de l’ambassade peut-être révélé. C’est d’ailleurs comme cela que Montluc explique sa présence sur le sol polonais auprès des autorités locales, chaque fois qu’il en a l’occasion.

 

Il s’agit pour lui également de se présenter par le biais de ses émissaires et d’adresser au Sénat la candidature officielle du duc d’Anjou selon les formes.

 

Le plus tôt sera le mieux, non seulement pour prendre rang dans la compétition mais aussi pour montrer le respect des usages et ne pas froisser les susceptibilités. Surtout ne pas faire comme les ambassadeurs de l’Empereur qui provoquèrent la colère du Sénat comme le note avec délice Choisnin car ils « estoient entrez au royaume sans avoir adverti le senat, et qu'ils s'estoient departiz sans congé des lieux qui leur avoient esté assignez pour leur demeure, et s'estoient acheminez à grandes journées pour aller parler à l'Infante (la sœur du défunt roi) ». L’ambassadeur et le duc d’Anjou, c’est tout un. Les mérites de l’un sont aussi ceux de l’autre.

 

A son arrivée, l’évêque séjourna dans différents endroits : une ville que j’identifie comme Pyzdry où il fut reçu par le capitaine général[2] de la Grande Pologne, Wojciech Czarnkowski (le frère du référendaire) puis Konin (il y sera assigné à résidence par le Sénat après la présentation de la candidature officielle du duc d’Anjou).

 

Enfin, Montluc passa huit jours chez le castellan de Laudan[3], apparemment un allié de la France dont le fils étudiait à Paris et auprès duquel il prit la mesure, à la fois des différents compétiteurs du duc d’Anjou, et des difficultés importantes qui l’attendaient.

 

[1] Jan Krasowski surnommé par les Français "Dominé" ou encore "le petit Polacron" a déjà été mentionné ci-dessus. Castellan de Podlachie, il avait été envoyé dans sa jeunesse à la cour de France y devenant membre de la suite de Catherine de Médicis. On dit qu’il inspira l’idée de la candidature française. Zygmunt Gloger a écrit à son sujet : "Il a été choyé à la cour de France ; doté d'un savoir et d'un esprit rares, ayant amassé une somme d'argent considérable, il est retourné en Pologne lorsqu'il est devenu vieux. Dans son pays natal, il célébra la bravoure d'Henri de Valois, ce qui aurait contribué à son élection en 1573. Il servit également d'intermédiaire entre Andrzej Zborowski et la cour de France". Il se caractérisait par sa taille : il était nain.

[2] Le staroste général était un haut fonctionnaire de la Couronne polonaise, qui avait la charge de gouverner une province. Il était nommé par le roi et avait des pouvoirs militaires, administratifs et judiciaires. Il représentait le roi dans sa province et devait lui rendre compte de sa gestion. Ici, sa compétence s’étendait sur la Grande Pologne, c’est-à-dire une région du centre ouest du royaume comprenant les villes de Poznan, Kalisz et Gniezno.

 

[3] Un castellan (en polonais, kasztelan) est, dans le royaume de Pologne et le grand-duché de Lituanie, puis dans la République des Deux Nations, le responsable d'une castellanie (kasztelania), formée par une ville ou une place forte et les territoires en dépendant. Quant à la ville de Laudan, je n’ai pu la trouver, si ce n’est que le logis du castellan était à environ 24 kms de Konin. Le Marquis de Noailles dans son ouvrage "Henri de Valois et la Pologne en 1572" indique  qu'il s'agirait de Stanislas Wysocki, "castellan de Ladz", mais impossible de localiser cette ville (à moins qu'il s'agisse de Ląd), ni d'identifier le personnage d'ailleurs.

 

Jan Matejko (1838-1893) - "L'Union de Lublin" - Traité du 1er juillet 1569 par lequel l'Union des deux royaumes polonais et Lituanien est consacrée. Ce traité fixe notamment les principes de la monarchie élective ainsi que le cadre institutionnel de la République des deux Nations

Jan Matejko (1838-1893) - "L'Union de Lublin" - Traité du 1er juillet 1569 par lequel l'Union des deux royaumes polonais et Lituanien est consacrée. Ce traité fixe notamment les principes de la monarchie élective ainsi que le cadre institutionnel de la République des deux Nations

Un échiquier électoral avec quelques adversaires de poids

 

Ce séjour chez le pro-français castellan de Laudan permit de faire le point de la situation. A ce moment du récit, Choisnin énumère les différents candidats à l’élection, les enjeux et bien évidemment les difficultés qui ne sont pas minces.

 

La première conclusion générale qui se dégage, c’est que le Français est le dernier à présenter sa candidature sur un terrain, déjà amplement travaillé par ses compétiteurs. Deuxième désavantage du duc d’Anjou, ses adversaires connaissent parfaitement le terrain et le contexte polonais. C’est en voisins qu’ils candidatent tandis que le duc d’Anjou aussi bien que son ambassadeur ne maîtrisent pas le terrain.

 

Mais examinons d’un peu plus près ces candidatures.

 

Commençons d’abord par le premier d’entre eux, un des fils de l’Empereur d’Autriche Maximilien II, l’archiduc Ernest. Quelques années avant le décès du roi de Pologne déjà, l’Empereur avait commencé à faire une campagne discrète en faveur de son fils par le biais de son ambassadeur résidant, l’abbé Cyrus (Choisnin le dénomme Cyre). Les futurs électeurs avaient tous été approchés et pour compléter la campagne électorale, l’Empereur avait envoyé deux ambassadeurs originaires de grandes familles de Bohème et qui, comte tenu de la proximité des deux langues, pouvaient ainsi communiquer directement en langue polonaise avec les électeurs.

 

Les handicaps de cette candidature pesaient lourds toutefois : l’Autriche, puissant voisin, faisant main basse sur le royaume de Pologne et s’en était fini de l’indépendance de la noblesse. D’ailleurs, l’épisode conté par Choisnin de l’entrée sur le territoire des ambassadeurs autrichiens sans crier gare et l’ire du Sénat qui en résulta n’était-il pas emblématique pour les Polonais de ce que l’on pouvait craindre de cette « élection/annexion » ?

 

Le deuxième, le Tsar de toutes les Russies Ivan le terrible, avait aussi présenté une candidature qui était déjà connue et défendue par des électeurs, dont un palatin, « homme qui, pour sa vertu, et grande modestie, (avait) beaucoup de credit ». Un des paradoxes de cette candidature était le fait que notamment les Polonais et les Lituaniens étaient en conflit armé avec les Russes pour le contrôle de la Livonie depuis 1558, et donc subissaient des troubles constants à leur frontière.

 

Peut-être plus qu’un paradoxe, c’est une clé d’explication car les électeurs lituaniens pensèrent avoir la paix à leurs frontières en ayant Ivan le Terrible comme roi élu, du moins pendant l’inter-règne. D’ailleurs, les députés du grand-duché de Lituanie avouèrent que les promesses faites par écrit au Tsar avaient été faites « du consentement de la pluspart d'entr'eux (les électeurs lituaniens), pour garder que le Moscovite, qui estoit sur la frontiere, ne les vint assaillir ».  Les demandes inacceptables (absorption par Moscou de terres lituaniennes, annexion du nouveau royaume et monarchie héréditaire) du candidat le disqualifiaient cependant.

 

Le troisième candidat, le roi suédois Jean III, était un des plus sérieux prétendants. A commencer d’abord par le fait qu’il était l’époux d’une des sœurs du défunt roi de Pologne, Sigismond II, et donc pouvait défendre son élection par une logique dynastique (son fils, un Jagellon par sa mère, était trop jeune pour être élu). Le deuxième élément était son expérience en tant que roi, un roi voisin qui plus est, donc au fait des affaires polonaises. Un troisième atout résidait dans la réunion de ses terres en Livonie avec celles détenues par la République des deux Nations. Le gros problème de cette candidature, c’est qu’elle était celle d’un roi protestant ce qui déplaisait fortement à la noblesse polonaise catholique.  

 

Le quatrième candidat était le duc de Prusse, Albrecht Friedrich (ou Albert Frédéric). La Prusse étant à l’époque  un fief de la couronne de Pologne, le jeune duc (il avait 19 ans à l’époque) jouait en quelque sorte à domicile, en sa qualité de prince électeur polonais. Il était qui plus est, riche pour « subvenir aux nécessités du royaume » et soutenu par  les grand princes du Saint Empire. Mais son oncle par alliance, l’empereur d’Autriche, savonna si bien la planche de la candidature du duc de Prusse que celle-ci devint hypothétique. Et puis, ce que Choisnin ne dit pas, par ignorance ou par délicatesse, c’est que le jeune duc de Prusse était intellectuellement limité, au point qu’il gouverna toute sa vie son duché par l’entremise de tuteurs. 

 

La cinquième option de l’élection était la candidature d’un noble polonais qui aurait facilité bien des choses (ce fut le parti des Pyastins). En effet, c’était la solution la plus neutre et la moins difficile à avaler pour les compétiteurs étrangers s’ils échouaient car cela ne modifiait pas l’équilibre des forces localement, tandis que la noblesse polonaise y aurait trouvé son compte. En somme élire un des leurs qui, tout en comprenant parfaitement la situation, aurait préservé leurs libertés. Comme dit Choisnin « s'il eust esté possible s'accorder à choisir l'un d'entr'eux (les nobles polonais électeurs), ils eussent facilement tourné tous de ce costé-là ». Le hic, fut qu’aucun candidat ne répondit pourtant à l’appel.

 

Même si toutes ces candidatures présentaient aussi des faiblesses, l’enthousiasme de l’évêque fut sévèrement douché durant ce séjour chez le castellan de Laudan et c’est ainsi que « par la communication qu'eust ledict sieur evesque avec ledict castellan et quelques autres qui le veirent auprès de luy, il recogneut que l'entreprinse seroit plus difficile qu'il ne l'auroit pensé ».

 

C’est d’abord un moment de découragement face à la tâche à accomplir.  L’évêque se dit qu’il « estoit venu comme à la desrobëe, homme incogneu et qui n'avoit pas grande intelligence des affaires dudict royaume il presentoit le nom d'un prince de lointain pays, prince de qui l'on ne devoit rien craindre en cas qu'il fust refusé ».

 

Montluc songe aussi à toutes les faiblesses de cette candidature : comment convaincre autant d’électeurs que ce prince français inconnu jusqu’à il y a peu pourrait être le meilleur choix ? Comment répondre aux détracteurs bien informés, sur la part prise par le prince français dans les guerres de religion en France et les risques qu’il « en apporteroit la semence en Polongne » en devenant roi ? Enfin, comme Choisnin le souligne, si l’entreprise échoue, Montluc en sera tenu pour responsable par ses ennemis (et probablement aussi d’ailleurs par ses commanditaires).

 

Dos au mur et sans autre option que d’avancer et sans personne vers qui se tourner pour prendre des conseils (ici comme ailleurs dans le récit, ses compagnons de voyage apparaissent clairement comme des exécutants), l’évêque «se delibera de mourir ou de vaincre, et surmonter toutes les difficultez » comme le dit pompeusement Choisnin.

 

L’accablement passé donc, Montluc rechercha activement les voies pour permettre de défendre la candidature de son poulain.

 

Sur le moyen, ce sera cette fameuse lettre de présentation et de défense de la candidature française qui n’avait pas encore atteint les sénateurs[1] pour cause de peste. Une nouvelle version de la lettre nourrie désormais des informations précieuses du castellan de Laudan, fut confiée à Bazin et Jan Krasowski qui repartirent à la poursuite de l’assemblée, cette fois-ci, réunie à Kaski le 1er novembre.

 

Dans cette lettre, l’évêque jugea bon de dégommer astucieusement les autres candidatures en montrant que tous les défauts qu’elles présentaient, étaient autant de qualités à mettre au crédit du Duc d’Anjou. Ce n’était pas un gamin, contrairement à certains, il était homme d’expérience contrairement à d’autres, un guerrier aguerri associé aux affaires du royaume avec son frère. Etc etc.

 

Cette lettre produisit un effet très positif sur les sénateurs, d’autant que dans le même temps, il apprenait que l’ambassade de l’empereur avait pris des aises avec le protocole comme je l’ai raconté ci-dessus. L’affaire fut considérée d’ailleurs comme suffisamment grave pour que le Sénat exige des excuses et demande à ce que l’ambassadeur de l’empereur, Cyrus, soit renvoyé du royaume de Pologne.

 

Mais cette opinion favorable ne dura que 24 heures « car il survint incontinent quelqu'un qui apporta la nouvelle de la journée de la Sainct Barthelemy, enrichie de tant de memoires et particularitez, qu'en peu d'heures la pluspart detestoient le nom des François ».

 

Assignée à résidence jusqu’au jour de l’élection comme les autres ambassades des candidats, l’équipe française fut logée à Konin et affublée d’un chaperon francophone issue de la famille Laski[2], qui dans un premier mouvement refusa cette mission lorsqu’il apprit le massacre Saint Barthélémy.

 

[1] En réalité comme on le verra dans le troisième épisode, les différents changements de lieu correspondirent non pas tant à la peste qu’aux difficiles ajustements entre les deux provinces de Grande Pologne et de Petite Pologne, pour lancer le processus électoral. Au demeurant, lorsque Choisnin évoque les sénateurs, sont concernés uniquement une partie d’entre eux, à savoir ceux des deux provinces et non pas le Sénat dans son entier.

[2]La famille Laski était une famille riche et influente dont certains des membres ont entretenus des relations étroites avec la France. Trois frères qui furent particulièrement importants : Hieronimus, et Stanislaw Laski dans le domaine politique et diplomatique et Jan Laski sur le plan religieux (il commença une carrière écclésiastique sous la protection de son oncle archevêque de Gniezno avant de se détourner de la religion catholique).  Stanislaw, servit même la couronne de France et participa à la bataille de Pavie aux côtés de François 1er. La personne désignée pour accompagner l’ambassade française devait être  l’un des enfants de la génération suivante puisque les trois fils étaient morts avant 1572. Je pense qu’il s’agit d’un fils de Stanislaw, étant donné que ce dernier fait référence au services de son père pour le roi de France, pour répondre à une rumeur selon laquelle Montluc l’aurait acheté (page 98).

 

 

Frans Hogenberg (1535-1590) - vue à partir de l'ouest de la ville de Cracovie  (fin du 16ème siècle)

Frans Hogenberg (1535-1590) - vue à partir de l'ouest de la ville de Cracovie (fin du 16ème siècle)

Le massacre de la Saint Barthélemy manque de faire chavirer le projet

 

La résonance du massacre de la Saint Barthélémy ne faisait que commencer et Choisnin énumère un certain nombre de nobles polonais venus visiter Montluc sous des prétextes divers pour avoir le point de vue français sur la question.

 

A commencer par le Palatin Olbracht Łaski (Palatin de Sieradz selon Chat GPT et Bing Chat donc à prendre avec précaution) – probablement de la famille du chaperon défaillant – qui conclut au terme de l’entretien qu’il était plutôt l’obligé du parti autrichien mais « toutesfois s'il voyoit que le très-illustre duc d'Anjou fust plus utile à leur patrie, il oublieroit tout respect particulier pour s'accommoder au bien public ». 

 

Le palatin de Sandomierz (j’ai cru qu’il s’agissait du catholique Jan Zamoyski[1] mais il s’agit plutôt du protestant  Piotr Zborowski) qui envoya quant à lui son secrétaire du nom de Preslaski pour sonder le terrain. Après avoir écouté la version française de l’évènement, il tenta d’obtenir des garanties écrites sur le respect de la liberté du culte du prince français, ce qui était somme toute logique puisque son maître était protestant. Bien évidemment comme il le fit souvent dans cette affaire, Montluc se borna à des promesses verbales. Les promesses s’avérèrent payantes puisque que le Palatin de Sandomierz devint à partir de ce moment un partisan et un promoteur de la candidature française auprès de ses coreligionnaires.

 

D’autres visiteurs sont cités dans ce passage. Un certain Jehan Zaborowski (peut-être Jan Zborowski, un des secrétaires du roi et frère de Piotr Zborowski), de retour de Prusse qui, de remonté au départ (sa famille était pro-française bien que protestante), s’adoucit ensuite face à l’emportement de l’ambassadeur. Un représentant de la famille Ostrorog qui avait déjà rencontré l’ambassadeur chez le castellan de Laudan, le référendaire de la couronne Stanisław Sędziwój Czarnkowski qui avait chaperonné Balagny (voir ci-dessus), un « gentilhomme de bonnes lettres » nommé Panatoski (peut-être plus sûrement Poniatowski), un représentant francophone de la famille noble Zaremba qui avait séjourné à la cour d’Henri II ainsi que d’autres gentilhommes comme l’indique Choisnin.

 

Ces entretiens parfois véhéments au cours desquels Montluc donna sa version de la Saint Barthélémy et du rôle joué par Henri de Valois sont l’occasion pour Choisnin de placer là les premiers succès des plaidoyers pro-domo de l’ambassadeur, mettant en relief son habileté à retourner les situations. Tous arrivent sceptiques ou extrêmement agacés et repartent sinon convaincus, du moins satisfaits des explication apportées ce qui fait conclure à Choisnin que c’est une négociation bien commencée.

 

Ce que Choisnin ne dit pas c’est que ces visites n’étaient pas probablement fortuites, ni pour les tenants d’une candidature alternative au prince français, ni pour les soutiens de cette candidature. Comment expliquer sinon que l’émissaire du palatin de Sandomiertz se soit ingénié à obtenir que le futur roi garantirait la liberté du culte ou que le fameux Jan Zborowski se soit montré si véhément ?

 

En réalité pour les soutiens polonais de la candidature d’Henri de Valois, cette catastrophique affaire de la Saint Barthélémy constituait probablement aussi un obstacle sérieux et ils se retrouvaient ainsi fort embarrassés pour défendre et promouvoir la candidature d’un massacreur de protestants. Les tenants d’une candidature alternative durent en revanche se frotter les mains.

 

Cela n’empêcha pas le grand trésorier de Pologne de dire plus tard à l’évêque avec beaucoup de pragmatisme qu’il était de peu d’importance que le prince français ait ou non joué un rôle lors de la Saint Barthélémy puisque s’il était élu il aurait plus à craindre de ses électeurs, qu’eux de lui.

 

Mais convaincre et éteindre l’incendie devenait crucial et Montluc décida d’envoyer auprès du Roi de France le doyen de Die, avec un certain nombre de documents, dont une requête visant à obtenir rapidement de France des éléments de propagande auprès des électeurs polonais, minimisant  la Saint Barthélémy. Il demandait enfin qu’un émissaire envoyé par sa Majesté puisse témoigner de l’évènement à la convocation générale des électeurs prévue alors pour le début janvier 1573, recommandant Guy de Saint Gelais, seigneur de Lansac (qui arriva toutefois en mars après la diète de convocation et donc trop tard).

 

Il dépêcha par ailleurs Jehan Krasowski auprès de l’électorat lithuanien pour y diffuser la lettre de candidature. Il rédigea des plaidoyers en faveur de la candidature française, traduits en latin et en italien pour qu’ils soient facilement diffusables.

 

On se mit à discuter de la candidature française partout. L’outsider acquérait ainsi de la notoriété. Bref, Montluc créa le buzz autour de la candidature de son poulain, aidé en cela par Jan Dymitr Solikowski , un des secrétaires de l’ancien roi, qui se mit au service de la cause française en diffusant des argumentaires rédigés, cette fois-ci en polonais.

 

La mayonnaise prit à merveille apparemment puisque Montluc se mit à recevoir des courriers de toute la Pologne et de nombreux visiteurs se rendirent à Konin selon Choisnin, comme pour jauger le produit qu’on leur proposait en la personne du candidat français.

 

Si l’opération de communication commençait bien, elle devenait d’autant plus indispensable que rapidement la rumeur fut accompagnée de témoignages plus précis.

 

Des descriptions horribles (mais malheureusement exactes) de la Saint Barthélémy se mirent à circuler en Pologne, le roi de France et Henri de Valois y étaient décrits comme des spectateurs encourageant les massacreurs.

 

[1] Jan Zamoyski, secrétaire du roi Sigismond II, qui fut un personnage éminent pour ses écrits sur la monarchie élective polonaise mais aussi très influent au moment de l’inter-règne (en janvier 1573, il réussit d’ailleurs à imposer une élection par tête et non pas à deux degrés).  Il avait étudié en France et en Italie et aurait défendu la candidature d’Henri de Valois à la Cour de France..

 

 

 

 

L'épisode 3 est arrivé !

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14 janvier 2024 7 14 /01 /janvier /2024 12:48

Une bien belle galerie de rois et de héros !

Dans les deux épisodes précédents, on a vu comment fut menée cette aventure chaotique. Ici, on découvrira que le bon ambassadeur dut encore déjouer encore bien des combinaisons et des obstacles pour parvenir à faire élire son poulain. Il y arriva cependant mais pour quels résultats ? Comme le  montrera l’épilogue, c’est une aventure improbable couronnée de succès qui s’acheva en tragi-comédie.

En campagne électorale

 

La grande affaire du massacre de la saint Barthélémy entrait donc en résonance avec la candidature française en cette fin d’année 1572, d’autant que les faits étaient maintenant relayés par des témoins oculaires qui avaient échappé à la folie meurtrière.

 

Ainsi, Bazin envoyé par son maître au mariage de la fille du palatin d’Inowrocław (l’une des deux voïévodies ou palatinats de Cujavie ou Couïavie que Choisnin désigne par le nom de Wratislavie), Jan Krotowski, pour prêcher la bonne parole à cette occasion, « ne trouva pas en ceste maison les choses si bien disposées, parce que son fils, qui s’estoit trouvé à la journée de la Sainct Barthelemy à Paris, l’avoit par ses advertissemens fort aigry et ne s’en faut point esbahir ».

 

Le dit Bazin fut d’ailleurs aussi confronté au même moment au Palatin de Poznan, Łukasz Górka, le chef de la famille éponyme « qui ne luy parla pas si gratieusement (que Jan Krotowski) », bien que, comme le  souligne Choisnin, son père ait été un grand ami et un « presque frère » de Montluc. Gorka étant un homme influent, cela tombait mal. Mais cet opposant influent à la candidature mourut rapidement ce qui arrangea les affaires de Montluc.

 

L’opération de communication n’en fut pas moins nécessaire pour contourner cet obstacle majeur et la candidature impériale et elle fut habilement construite en tenant compte d’une connaissance désormais fine des attentes et des craintes des futurs électeurs.

 

Dans cet esprit, la stratégie de Montluc consista à communiquer sur les qualités et les engagements du futur souverain au regard de problématiques aussi diverses et fondamentales pour les futurs électeurs, se posant ainsi comme garant d’indépendance en matière de politique étrangère mais aussi comme le chantre de l’égalité – théorique - de la classe noble et bien évidemment un futur promoteur de la paix religieuse. Il répondit également favorablement à d’autres attentes comme notamment en matière de  liberté du commerce maritime.

 

Concernant les garanties en matière religieuse et pour répondre à la Saint Barthélémy, c’est probablement plus à travers les qualités personnelles d’Henri de Valois que la propagande française répondit. Il fut décrit comme chevaleresque et belliqueux, vaillant et aussi pieux, juste et pondéré, manière de singulariser sa personne pour mieux le dissocier de sa famille et au-delà de l’État qui avaient laissé perpétrer le massacre.

 

La stratégie de l’évêque se porta aussi sur la diffusion au plus grand nombre des électeurs en langue latine, italienne et surtout polonaise, grâce à Solikowski déjà cité. Il avait compris également que séduire la noblesse des magnats[1] ne ferait pas l’élection et que c’était la masse des électeurs qu’il fallait aussi convaincre.

 

Sur la diffusion en pratique des écrits produits par l’évêque on en sait peu. On sait en revanche que l’absence de liberté de mouvement ne s’appliquant qu’à l’évêque, tout son équipe fut mobilisée pour diffuser la bonne parole à travers la Pologne et la Lituanie, soit à l’occasion d’évènements festifs (Bazin et un gentilhomme du nom de d’Elbenne se rendirent à des noces différentes) ou bien en campagne électorale en Pologne même[2], en Lituanie (Jan Krasowski) ou aux confins de la République des deux Nations où, celui que Choisnin dénomme le « bon François[3] », (palatinat de Russie rouge dans la dénomination d'alors ou Ruthénie comprenant notamment les villes de Prezmysl, Sanok et Halisz mais aussi Lwow (l’actuelle Lviv sous son nom ukrainien) ainsi qu’en Podolie).

 

Également, l’équipe de « campagne » fut envoyée à Varsovie où la diète de convocation[4] devait se tenir le 6 janvier 1573, pour prêcher la bonne parole auprès de celle-ci et, en particulier, à l’adresse de ceux que Choisnin dénomme les « ambassadeurs terrestres » et que le Marquis de Noailles, appelle les « nonces » dans son ouvrage « Henri de Valois et la Pologne en 1572 » , ceux-ci étant les députés élus par les diètes locales ou diétines pour représenter l’ensemble de la noblesse.

 

En effet et afin de maintenir plusieurs fers au feu, il apparut important à l’évêque de pouvoir faire campagne directement auprès de ces députés par l’intermédiaire de son équipe, étant donné qu’il n’était pas encore clair si les ambassadeurs des candidats devaient être entendus lors de la Diète de convocation (ce qui était l’option privilégiée par certains sénateurs afin de pouvoir exercer leur influence sur le processus) ou bien au moment de la Diète de l’élection (point de vue des nonces qui souhaitaient que l’on traite d'abord l’ensemble des affaires urgentes dont les règles de l’élection).

 

C’est ce dernier point de vue qui prévalut, à la satisfaction de l’évêque de Valence et au déplaisir des ambassadeurs de l’Empereur qui voyaient que l’élection de leur poulain devenait de moins en moins une formalité.

 

[1] Les magnats étaient les représentants des plus puissantes des familles nobles polonaises et lituaniennes qui, tout en représentant une minorité d’électeurs, disposaient d’un pouvoir politique et économique essentiel.

[2] Bazin fut envoyé en Petite Pologne.

[3] Un Français vivant alors en Pologne et que l’on ne connait que par son surnom de « bon Français » qui lui fut attribué car « il s'est monstré fort affectionné au service du Roy; et au contraire, tous les autres François qui estoient habituez audict pays, se monstroient ennemis capitaux de nostre party ».

[4] Précédant la Diète d’élection, la Diète de convocation eut pour rôle de fixer les conditions dans lesquelles l’élection du nouveau roi devait se faire, d’avaliser un certain nombre de décisions prises durant l’interrègne et de trancher des questions pressantes.

Séance de la Diète polonaise (ou Seljm) sous le règne de Sigismond Auguste Vasa (Giacomo Lauro - 1622)

Séance de la Diète polonaise (ou Seljm) sous le règne de Sigismond Auguste Vasa (Giacomo Lauro - 1622)

Comment se fixe un cadre électif qui allait durer deux siècles

 

Il convient ici de revenir rapidement sur les évènements qui se déroulèrent entre la mort de Sigismond et l’élection du nouveau roi de Pologne.

 

Le récit de Choisnin ayant un tout autre objet que de décrypter ce qui se déroula en arrière-plan, il ne nous aide pas à vraiment à comprendre les coulisses de cette situation sans précédent, ni les questions qu’elle souleva sur le plan institutionnel et les rapports de force qui se jouèrent pour y répondre.

 

D’abord, la période de l’inter-règne devint une réalité alors même que les procédures pour y faire face avaient été conçues pour une monarchie élective de pure forme et les discussions sur le cadre institutionnel le plus approprié pour y faire face n’avaient pas abouti[1].

 

Certes, un consensus apparut sur l’élection d’un nouveau roi et la nécessaire stabilité institutionnelle pour prémunir la République des deux Nations contre un effondrement, mais bien évidemment chacun défendit son point de vue.

 

En principe, le Sénat devait convoquer la Diète générale qui à son tour était souveraine pour fixer et lancer le processus mais qui pouvait prétendre à convoquer le Sénat en l’absence de roi ? Le Primat de Pologne, l’archevêque de Gniezno, à l’époque, Jakub Uchański ? Ou bien le grand Maréchal du Royaume, Jan Firlej, le plus haut dignitaire laïc du Royaume qui présidait les débats du Sénat?

 

Derrière cette lutte d’influence se cachait deux types de clivages. Religieux d’abord, car reconnaître un primat laïc à l’archevêque était intolérable pour la noblesse protestante et risquait de mettre à mal la position de celle-ci dans le fragile équilibre existant alors. Ensuite, un clivage géographique et quasi sociologique entre, d’une part, la Grande Pologne dont Gniezno relevait, terre de la petite noblesse polonaise égalitaire et, d’autre part, la Petite Pologne, territoire des magnats et donc, d’une grande noblesse avec laquelle le roi devait aussi composer pour régner.

 

Deux hommes en lice donc qui entrèrent dans une course de vitesse. C’est à qui convoquera le premier le Sénat pour lancer le processus.

 

Selon le Marquis de Noailles, le vertueux et légaliste Firlej aurait eu à cœur de jouer les règles tandis que l’indécis et brouillon Uchanski aurait été un trouble fête, jouant la prééminence de la Grande Pologne dans le processus.

 

Peu importe si ce n’est que durant trois mois, les assemblées concurrentes furent convoquées chacune dans son pré carré, avec appels ou injonctions à se rejoindre pour décider en commun. Les alliances changèrent, les retournements de situations se multiplièrent, on se fâchat, s’accusa de traîtrise mais finalement, tout rentra (à peu près) dans l’ordre.

 

Après trois mois de cacophonie, la noblesse et les sénateurs de la Petite Pologne rejoignirent à la mi-octobre les représentants de la Grande Pologne déjà assemblés à Koło, sans les électeurs de Prusse et de Lituanie qui attendaient que les Polonais s’entendent avant d’entamer le long voyage de la diète de convocation.

 

La réunion de Koło permit de remettre les pendules à l’heure et rendez vous fut alors pris pour le 1er novembre à Kaski, où il fut sagement décidé de fixer la diète de convocation le 6 janvier à Varsovie, l’assemblée n’y ayant pas de pouvoir délibérant puisque le Sénat n’y était pas représenté au grand complet.

 

Si l’assemblée de Kaski décida peu, elle permit de poser un cadre institutionnel qui allait perdurer. D’abord, elle institua la Diète de convocation qui serait, non pas la simple réunion du Sénat mais également celle des représentants de la noblesse, élus des diètes locales ou diétines (les fameux nonces ou ambassadeurs terrestres).

 

Ainsi, la représentation de l’ordre équestre aux côté des sénateurs refléta l’influence grandissante acquise sous Sigismond Auguste et son prédécesseur. Le Marquis de Noailles mentionne également dans son ouvrage que, soucieuse de stabilité et du maintien de l’ordre public, la noblesse du Royaume, s’était réunie dans les différents Palatinats pour régler les difficultés liées à la vacance du pouvoir.

 

Ces différents éléments concoururent probablement à la consolidation de l’ordre équestre et, à l’issue de la Diète de convocation, après d’âpres discussions sur le mode de scrutin, il fut confirmé que chaque noble présent deviendrait électeur et que la règle de l’unanimité s’imposerait.

 

Cette décision combinée au choix du lieu de l’élection en Mazovie fut déterminante dans le triomphe du parti catholique et du poulain français, d’autant que l’autre candidature catholique, celle de l’archiduc avait perdu progressivement du terrain.

 

Au terme de débats houleux, la diète de convocation décida que la tenue de l’élection se ferait le 5 avril à Varsovie, en Grande Pologne, permettant ainsi de miser sur « la noblesse de Mazovie, qui n'est pas moindre de trente ou quarante mil gentils-hommes, (et) monstroit de vouloir plustost favoriser nostre party que nul des autres, et qui pouvoit avec grande commodité venir à ladicte diette, et s'en retourner quand bon leur sembleroit ». La police de l’élection fit l’objet de règles détaillées et strictes, tant on craignait que les rivalités entre électeurs à propos de leurs candidats ne se transformassent en pugilat et la Diète d’élection en champ de bataille (ce qui faillit arriver d’ailleurs).

 

Porter l’attention sur la seule fixation de la date et du lieu de l’élection ne rend pas hommage aux travaux accomplis lors de la Diète de convocation.

 

Celle-ci eut aussi pour rôle de permettre d’avaliser non seulement le processus électoral de l’élection des futurs rois, les mesures d’ordre public prises pendant l’interrègne à différents niveaux et, surtout, de garantir la liberté religieuse. Le texte adopté le 28 janvier 1573 qui en résulta, la Confédération de Varsovie, représente avant l’Edit de Nantes le premier acte garantissant les droits de chacun d’exercer sa propre religion. Cet acquis répondait à une volonté très forte du parti protestant de conditionner l’action du futur souverain en la matière, d’autant que le triomphe d’un candidat catholique devenait de plus en plus certain.

 

Évidemment, ce texte fut jugé scandaleux par certains prélats dont le Primat de Pologne, Jakub Uchanski, ceux-ci considérant que l’on ouvrait la porte à la légalisation de croyances diaboliques. Bien que signé par les sénateurs laïques et les nonces, l’opposition déterminée du Primat qui s’était vu confirmé la fonction de régent ou d’Inter-rex conduisit à un compromis.

 

On convint que la confédération de Varsovie serait soumise à l’approbation suprême de la Diète d’élection. Ce compromis empoisonnera la Diète d’élection comme nous allons le voir, jusqu’à menacer la qualité de l’élection elle-même.

 

[1] Il faut se rappeler que l’Union de Lublin rassemblant les deux royaumes datait seulement de 1569 et le roi mourut avant que le cadre institutionnel soit complètement fixé, d'où l'absence de règles institutionnelles propre à régir l'inter-règne..

Carte sur laquelle on peut localiser la Grande Pologne et la Petite Pologne et leurs Palatinats

Carte sur laquelle on peut localiser la Grande Pologne et la Petite Pologne et leurs Palatinats

Battre et rebattre campagne

 

Désormais, les différentes pièces étaient posées et après la tempête de la Saint Barthélémy, l’équipe française bénéficiait d’une éclaircie favorable.

 

Mais quelques péripéties vinrent pimenter encore l’aventure. A mesure que l’on s’approchait de l’élection et que la candidature française devenait une hypothèse sérieusement envisageable, les coups bas se multiplièrent.

 

Ainsi, au cours de la Diète de convocation, les députés lituaniens - arrivés tellement tardivement que l’on douta de leur soutien - affirmèrent que certains nobles polonais, soutiens affichés de la candidature française, avaient été soudoyés par le roi de France par l’intermédiaire de Montluc pour la somme de 100 000 écus. Étaient implicitement visés le Palatin de Sandomierz et Laski. Laski prenant les devants protesta de sa bonne foi. On en vint quasi aux mains et l’affaire se calma grâce à l’intervention du Palatin de Brzesc en Couïavie.

 

Si Choisnin proteste avec la dernière énergie sur cette accusation, Noailles indique en revanche qu’elle n’était pas sans fondement, les deux personnages ayant été payés largement, mais en promesses seulement.

 

Durant la même période, différentes rumeurs circulèrent. L’une d’elles était que le Pape avait pris le parti du Français par l’entremise du cardinal de Lorraine, après avoir obtenu l’assurance du Roi de France du rétablissement de l’unité religieuse catholique du royaume, par la force si nécessaire. En somme une nouvelle Saint Barthélémy après l’élection aurait été au programme. 

 

Un autre bruit courut selon lequel, le roi de France apprenant la nouvelle de la candidature de l’archiduc et ne voulant s’y opposer s’apprêtait à révoquer l’évêque qui aurait été le seul et unique candidature de la candidature française.

 

Pour faire pièce à ces rumeurs, l’évêque redoubla d’activité. Il envoya aussi Bazin auprès des électeurs de Petite Pologne pour consolider ses positions car certains d’entre eux n’étaient pas convaincus par la candidature française.

 

Le doyen de Die fut missionné discrètement auprès du Cardinal Commendone, le légat du Pape en Pologne (représentant officiel de la Papauté) qui, contrairement à la rumeur, soutenait activement la candidature de l’archiduc, jugée la plus sérieuse des deux principales candidatures catholiques.

 

L’entretien ne fut pas convaincant aux dires de Choisnin mais il en ressortit toutefois que le légat du Pape se contenterait d’appuyer la candidature la plus crédible, ne voulant pas diviser les votes catholiques, au risque, sinon de faire élire un prince protestant. Et de fait, à mesure que la candidature française devenait l’option privilégiée du parti catholique, Commendone se résolut à la soutenir à la veille de l’élection, lâchant l’Archiduc en rase campagne.

 

Choisnin fut envoyé auprès du Palatin de Lublin à la demande de ce dernier afin de faire taire la rumeur de la révocation de Montluc.

 

Entre temps, l’équipe de campagne s’était étoffée de l’Abbé de l’Isle (Gilles de Noailles) d’abord, envoyé par le roi comme ambassadeur pour remplacer Montluc que l’on croyait mort et puis de Guy de Saint Gelais seigneur de Lansac qui arriva début mars.

 

Choisnin fait d’ailleurs l’éloge de ces nouveaux arrivants au nom de son maître. Montluc pria le premier qui était un négociateur chevronné de demeurer auprès de lui afin de l’épauler dans cette entreprise difficile. L’équipe aurait ainsi deux ambassadeurs. Le second, jeune et brillant, est décrit comme le fils spirituel de l’évêque.

 

Balagny était lui aussi de retour en Pologne et après un mois de maladie passé à Cracovie, il rejoignit son père à Konin peu de jours avant Lansac. Les deux jeunes furent mobilisés pour la campagne, Balagny auprès du maréchal de la cour, Opalinski, qui était un partisan du parti français et Lansac auprès de Laski.

Gravure représentant Varsovie au 18ème siècle

Gravure représentant Varsovie au 18ème siècle

 La Diète d’élection

 

Le grand jour fut fixé le 5 avril, dans la plaine de Kamien au sud est de Varsovie où se réunirent en campement environ 40 000 électeurs, souvent armés en contravention avec les règles qui avaient été adoptées pour avoir une assemblée sereine. Les dignitaires avaient obtenu de résider à Varsovie et parcouraient tous les jours le trajet pour rejoindre l’immense tente royale lieu des débats, qui pouvait accueillir jusqu’à 5000 personnes.

 

La diète dura 45 jours au total pour s’achever le 20 mai.

 

La session commença par l’audience des différents ambassadeurs, dont ceux des candidats.

 

On commença par l’oraison de l’ambassadeur de Prusse puis par celle du cardinal Commendone qui fit sans surprise au nom du Pape, un plaidoyer pour l’élection d’un roi catholique, fustigeant les princes protestants et le poison des idées nouvelles. Il attaqua violemment la garantie religieuse contenue dans la confédération de Varsovie.

 

Bien évidemment, le discours produisit un  tumulte, les électeurs catholiques applaudissant à tout rompre tandis que les princes protestants s’en offusquèrent violemment. Le show commençait.

 

Trois candidats restaient en lice. L’archiduc Ernest, Henri de Valois, le roi suédois Jean III. Il convient de signaler ici que tout noble polonais (Piast[1], ) qui se déclarerait candidat pourrait concourir ce qui faisait, potentiellement, un quatrième candidat.

 

Le lendemain, le chef de l’ambassade impériale, Guillaume de Rosenberg, prononça son discours, énumérant tous les avantages qu’il y aurait à élire l’Archiduc Ernest, la proximité culturelle et linguistique la garantie d’un allié puissant avec l’Empire, un Prince catholique puissant et respectueux des libertés religieuses, bref, le contre-exemple de ce prince français qui ne piperait mot de ses futurs sujets, venant d’un royaume lointain d’une famille de catholiques fanatiques avec des promesses qu’il ne pourrait pas tenir. Rosenberg promit des alliances avantageuses pour le Royaume et garantit que d’autres concessions seraient accordées lorsque l’élection serait avancée.

 

Choisnin indique méchamment que l’orateur ne recueillit pas le succès escompté, « parce qu'il parloit trop bas, et comme il est homme tempéré et modeste, aussi n'avoit-il pas l'action et véhémence qui toutesfois sont requises pour esmouvoir les auditeurs ». Un médiocre orateur en somme qui tenta de sauver une campagne électorale, faite de tant de maladresses diverses[2] qu’il avait perdu l’avantage initial qu'il avait dans la course.

 

C’était au tour de Montluc, lequel, ayant plus d’un tour dans son sac, prétexta être mal en point pour différer son oraison au lendemain. Il mit à profit la soirée pour réviser son discours afin de pouvoir répondre point par point au discours de Rosenberg, en faveur de celui qui était devenu le plus sérieux des compétiteurs.

 

Selon Choisnin, l’accueil du discours (de pas moins de trois heures) fut enthousiaste. Il détaille un signe favorable, le fait qu’une alouette, perché sur le mât de la tente gazouilla pendant tout le discours de Montluc et ne manque pas de relever, non plus, qu’à la fin de l’oraison du Suédois qui vint après celle de Montluc, la tente s’écroula.

 

Pour parfaire l’exercice de communication du discours français et parce qu’il était en latin et donc peu, voire pas compréhensible, pour une majorité d’électeurs,  Montluc le fit traduire en polonais par Solikowski, en sus de la version latine.

 

Chaque ambassadeur était tenu de livrer 32 exemplaires des discours mais Montluc s’exonéra de cette règle. Ce dernier visa une diffusion massive d’exemplaires imprimés et fit appel aux compétences de Choisnin  « parce qu'ayant hanté l'Université de Paris, je scavois bien que j'avois moyen de mettre le jour en œuvre les imprimeurs, et de retirer la nuict ce qu'ils avoient faict, et aussi que j'avois esté souvent à Cracovie, où j'avois contracté amitié avec des gens qui me pouvoient aider en cela ».

 

Cette large diffusion permit que les arguments de la candidature française soient relayés et discutés. A partir de ce moment là, les visites des grands comme des petits électeurs au logis de Montluc se multiplièrent. Afin de s’assurer l’adhésion des Lituaniens des discussions secrètes s’engagèrent sur un redécoupage, Montluc promettant la restitution de provinces qui avaient été retirées au Duché de Lituanie (notamment la Volhynie et la Podolie orientale). Il promit également aux très nombreux partisans de l’infante (Anne Jagellon la sœur du roi défunt) - dont les Lituaniens faisaient partie - que le prince de Valois l’épouserait.

 

L’Ambassade française continua à faire face à de nombreux conseils qui étaient autant de pièges grossiers dressés par ses adversaires, comme exiger la démission du Cardinal Commendone ou le renvoi des nobles mazoviens dans leurs foyers parce qu’ils troublaient la marche correcte de la Diète.

 

 

[1] Le parti Piast (ou les Piastins comme ils se nommaient eux-mêmes) rassemblait les tenants d’une candidature issue des rangs de l’électorat. Cette possibilité fut dès le début une option qui eut la faveur de nombre d’électeurs mais elle échoua à se concrétiser, faute de pouvoir transformer cette séduisante idée théorique en véritable candidature.

[2] La liberté prise par l’ambassade au mépris de la souveraineté polonaise comme on l’a vu précédemment mais aussi, une campagne quasi exclusivement orientée vers les magnats, au mépris des petits nobles de Grande Pologne qui pourtant constitua le gros de l’électorat.

Anne Jagellon en habits de couronnement en 1576 - promise à Henri de Valois qui la jugeait laide (c'est vrai que elle n'était pas un premier prix de beauté), elle finira par épouser son successeur, Stefan Bathory

Anne Jagellon en habits de couronnement en 1576 - promise à Henri de Valois qui la jugeait laide (c'est vrai que elle n'était pas un premier prix de beauté), elle finira par épouser son successeur, Stefan Bathory

La question religieuse resurgit

 

Mais le point le plus crucial et le plus conflictuel de cette Diète fut certainement le séquencement des questions à traiter car il fallait procéder à l’élection proprement dite mais également achever la révision des lois et notamment avaliser le principe de la liberté religieuse contenue dans la confédération de Varsovie.

 

Procéder au scrutin d’abord, c’était laisser l’acte de la confédération de Varsovie à un sort précaire, solution qui arrangeait les catholiques et le camp des Français qui, également pour d’autres raisons, considérait que plus le temps passait, moins le candidat français avait de chances d’être élu.

 

En revanche, procéder à l’examen et au vote de l’assemblée du texte de la confédération de Varsovie en premier lieu, c’était pour le camp protestant une garantie que le futur souverain serait obligé, sans échappatoire possible, de garantir la liberté religieuse. Même les soutiens protestants de la candidature française étaient de cet avis là. Il en allait de l’avenir du protestantisme en Pologne et ce, d’autant plus que le résultat de l’élection ne faisait plus vraiment de doute.

 

Les deux camps débattirent, s’invectivèrent copieusement pendant plusieurs jours, sous la menace de la foule des électeurs qui voulaient sans plus tarder procéder au scrutin.

 

On assista alors à une course de vitesse entre les deux partis.

 

Dans la séance du 20 avril 1573, l’assemblée nomma une commission composée de sénateurs et de nonces qui serait chargée de réviser la législation. Le 23 avril, une foule d’électeurs se manifesta bruyamment dans la tente, exigeant que l’on procède au scrutin immédiatement.

 

Face à la pression et aux vus de l’ampleur de la tâche, on décida le 24 avril que la commission s'occuperait uniquement des lois qui concernaient le pouvoir royal, et qu'aussitôt élaborées, elles seraient soumises à la ratification du Sénat et adoptées en assemblée générale. Le candidat élu aurait à les confirmer par serment avant de recevoir la couronne.

 

Le 27 avril, une manifestation plus virulente intervint et obligea à interrompre les discussions. Jakub Uchanski en profita pour que l’on déclara immédiatement ouvert le scrutin. Il fut décidé que le scrutin serait ouvert sur le champ mais que la commission n’en poursuivrait pas moins son travail.

 

Il se passa plusieurs jours toutefois sans que rien ne se passe, si ce n’est que la commission travaillait d’arrache-pied pour achever son travail.

 

Le 1er mai[1], une nouvelle manifestation eut lieu, face à laquelle nombre de sénateurs exigèrent eux-mêmes l’ouverture du scrutin.  Le 2 mai, la commission fit approuver par le Sénat un texte qu’elle avait approuvé elle-même à l’unanimité. Firlej en sa qualité de grand maréchal proclama l’ouverture du scrutin le même jour, on allait enfin élire un roi.

 

 

[1] A la même date, Choisnin est renvoyé en France auprès du roi et donc à partir de là, son témoignage n’est plus direct.

noble polonais habillé à la mode sarmate (17ème siècle)

noble polonais habillé à la mode sarmate (17ème siècle)

Paysans de Mazovie

Paysans de Mazovie

Le scrutin et le dénouement

 

Le 4 mai, le scrutin s’ouvrit après une messe de rigueur et la proclamation des 4 candidats en lice, à savoir l’Autrichien, le Français, le Suédois et une candidature polonaise hypothétique portée par le parti Piast. Cette dernière candidature fut d’abord posée comme théorique (un noble polonais quel qu’il soit). Puis, comme cela n’était pas juridiquement possible, plusieurs noms furent proposés, puis d’autres encore s’ajoutèrent sur la liste.

 

Chaque palatinat vota sur la liste des candidats. Le premier tour fut favorable au prince français, celui-ci obtenant l’unanimité ou la majorité des votes de 21 Palatinats sur 32. Les deux autres candidats n’obtinrent au mieux que la majorité dans trois palatinats pour l’archiduc et 5 pour le roi de Suède.

 

Quant aux candidats polonais du parti Piast, ils obtinrent un nombre important de suffrages sans obtenir la majorité.

 

Le parti Piast se discréditait par le nombre insensé de candidats en Grande Pologne. Le coup de grâce à la démarche fut porté par Zamoyski qui indiqua que comme les ambassadeurs des candidats ne pouvaient assister au scrutin, il devait en être de même pour les candidats polonais. Soit ils quittaient les lieux, soit ils renonçaient à leur candidature. Comme nombre d’entre eux appartenaient au Sénat, les candidatures polonaises disparurent.

 

Le 7 mai, furent désignés trois orateurs par candidat pour plaider la cause de leur client. On commença par l’Archiduc puis ce fut le tour du prince d’Anjou défendu par Karnkowski, évêque de Cuiavie, Piotr Zborowski[1] et Jean Kotska castellan de Dantzig et enfin de Firlej et Nicolas Mieleçki, Palatin de Podolie et Stanislas Gotomski, palatin de Rawa, pour le candidat suédois.

 

Le candidat français l’emporta nettement auprès de l'audience qui demanda que l’on proclama sa victoire sur le champ. 

 

Les champions de la cause suédoise, Firlej et Mieleçki, eurent du mal à faire leurs discours dans une assemblée désormais agitée qui demandait à ce que les résultats soient proclamés sur le champ. Puis, après avoir demandé la levée de la séance, Firlej et ses partisans se retira avec ses partisans.

 

Profitant de la situation, Uchanski proposa de procéder à la proclamation d’Henri comme nouveau roi de Pologne mais Zborowski, arguant que l’assemblée n’était pas au complet, demanda à ce que la proclamation soit différée[2]. Le dimanche 10 mai étant le jour de la Pentecôte, ce serait le lundi 11 mai.

 

Le 11 mai 1573, les deux camps se font face en armes, d’un côté les partisans du Français et de l’autre, les chefs protestants, bientôt rejoints par les tenants de l’archiduc et les Piastins.

 

Toute conciliation est devenue impossible, la bataille n’a pas lieu et les contestataires du camp protestant se réfugient au village de Grochow.

 

La bataille, et la guerre civile avec elle, menacent. Les membres du Sénat demeurés à la tente royale décident une médiation avec les contestataires.

 

D’un côté, l’on a les partisans - dont une majorité de catholiques - d’un futur roi qui a recueilli incontestablement le nombre le plus important de suffrages et de l’autre, le camp protestant qui, s’il se résout finalement à la victoire du Français, exige que les conditions de l’élection soient respectées, avec pour corollaire, l’adoption en assemblée générale du cadre juridique du nouveau règne dont la garantie des libertés religieuses.

 

Le temps que la délégation protestante rejoigne la tente où siège l’assemblée générale, l’effervescence est à son comble. Une délégation du parti catholique exige la proclamation du nouveau roi tandis que le Sénat maintient que l’élection du Français étant acquise, il est nécessaire que les réclamations du camp protestant soient prises en compte.

 

La délégation emmenée par Firley arrive à la tente, lit les conditions de l’élection. Un nouveau tumulte se produit et l’interrompt. Uchanski proclame le nouveau roi, encouragé par la foule. Les protestants se disent trahis, les termes de la médiation n’étant pas respectés et arguent que seul le Maréchal du royaume, à savoir Firley, peut légalement procéder à une telle proclamation.

 

Les protestants menacent de se retirer. On en vient quasi aux mains, quand, par une habile manœuvre, Zborowski souligne que le Primat de Pologne a simplement nommé le roi élu[3], car la proclamation exige une prestation de serment des ambassadeurs du futur roi, l’engageant en leur nom à respecter les conditions fixées.

 

La tension retombe, la foule des partisans du Français se disperse tout à sa joie d’avoir gagné l’élection, la lecture des conditions énoncées par Firlej reprend dans une atmosphère désormais plus sereine.

 

Deux jours suffisent à l’assemblée pour adopter les articuli Henriciani (Articles Henriciens) et les Pacta Conventa (pactes convenus). Les Articles Henriciens fixèrent en quelque sorte les lois constitutionnelles de la monarchie désormais élective de la République des deux nations. Les Pacta Conventa concernèrent quant à eux, tous les engagements personnels du futur Henri, roi de Pologne, qui avaient été énoncés par son prodigue ambassadeur,  Jehan de Montluc, soucieux de faire la meilleure offre lors de la promotion du prince français, probablement d’ailleurs au-delà de son mandat initial.

 

Le 15  mai, une députation du Sénat vint présenter les textes à la signature des ambassadeurs du roi élu. L’examen des lettres de créances et le pouvoir à eux confié (à savoir le document qui les désignait comme représentants du roi de France ainsi que les pouvoirs dont ils étaient investis) fut sourcilleux. Il y eu des discussions concernant Guy de Saint Gelais car celui-ci n’était pas formellement détenteur d’une lettre de créances mais on convint que celles de Montluc et de l’abbé de l’Isle étaient suffisantes.  Certains Envoyés du Sénat voulurent aussi accéder aux instructions données aux ambassadeurs mais cédèrent devant le refus catégorique de Montluc. Elles étaient et demeureraient secrètes.

 

On leur lut alors les Pacta Conventa, à savoir les engagements personnels du futur roi à l’égard de ses sujets, afin qu’elles fussent signées par les ambassadeurs français. « la dispute fut grande et longue, parce que lesdicts deputez essayoient de gaigner quelque chose à leur advantage. Noz ambassadeurs aussi estoient fermes à ne rien adjouster à ce qui estoit contenu en ladicte oraison. » Peut-être Montluc mesura-t-il alors l’importance des promesses électorales formulées dans son discours. Toujours est-il que l’affaire se concluait et qu’il n’était plus temps de tergiverser « et enfin toutes choses passerent pour ce jour-là au contentement d'une part et d'autre ».

 

Le lendemain, il leur fut exposé les Articles Henriciens qui avaient été conçus par la commission et adoptés de haute lutte, juste avant que ne tienne le scrutin, en grande partie grâce à la ténacité du parti protestant. On imagine assez bien la tête que fit l’évêque de Valence à la lecture d’un texte qui dépouillait largement le futur roi des prérogatives habituelles de la Couronne, au profit de la noblesse et de ses représentants.

 

Choisnin relève à cet égard qu’il y avait certains articles « qui, à la verité sembloient avoir esté faicts contre l'authorité du roy, quel qu'il fust qui seroit puis après esleu ». Mais là encore, nécessité faisant loi, il n’était plus temps de contester, il fallait aboutir. Montluc apposa sa signature sur les articles en question.

 

Cette étape achevée, Les ambassadeurs français prêtèrent serment au nom du futur roi entre les mains du Primat de Pologne puis Henri de Valois fut proclamé roi de Pologne par Le Maréchal du Royaume, le maréchal de la Cour et le grand capitaine de Samogitie au nom du Maréchal de Lituanie.

 

La grande affaire se conclua par un Te Deum et Montluc put écrire le 10 mai 1573 à Catherine de Médicis « Madame, j'ay tenu ce que je vous avois promis c'est de faire en sorte que vous verriez Monseigneur roy de ce royaume ».

 

Choisnin évoque ensuite le retour de l’ambassade au pays. Quelques péripéties mais rien de comparable avec ce qui avait précédé.

 

Puis, le récit se conclut avec le compte-rendu que fit Montluc à leurs Majestés. C’est une apologie de ce nouveau Royaume que l’évêque de Valence déposait aux pieds du nouveau souverain, avec l’aide de Dieu comme il l'affirma lui-même.

 

Enfin, Choisnin conclut son propos par ces mots à l’attention du nouveau roi « Je prie Dieu que ledict royaume luy serve d'une eschelle pour monter si haut qu'il se puisse esgaller avec la grandeur de ses prédécesseurs. »

 

 

[1] Selon Choisnin, ce fut non pas Zborowski mais Opalinski qui fut un des défenseurs de la candidature du prince d’Anjou

[2]  Zborowski avait voté pour le Français mais, en tant que protestant, il ne pouvait se désolidariser de ses coreligionnaires parce qu’il en allait de leur liberté religieuse dans le cadre du futur règne d’un roi catholique. Il est intéressant de noter que dans cette dernière étape où tout faillit chavirer, ce sont les nobles protestants ralliés à la candidature française qui paradoxalement, permirent une sortie par le haut de la situation.

[3] Choisnin prétend qu’il s’agit là d’une suggestion de Montluc. Tout à sa louange de l’action avisée de son maître d’ailleurs il rapporte que certains seigneurs polonais lui auraient dit plus tard que « le service qu'a faict ledict sieur de Valence au Roy pour l'eslection est grand; mais celuy qu'il fit pour la proclamation surmonta l'autre, parce que si la rupture desdicts seigneurs n'eust esté renouée, tout ce qui avoit esté faict s'en fust allé en fumée ». On peut sérieusement en douter même si Montluc avait un intérêt à ce que l'affaire se conclue proprement, au risque sinon de ne pas se conclure du tout.

Représentation probable de la Diète de couronnement présidée par Henryk Walezy

Représentation probable de la Diète de couronnement présidée par Henryk Walezy

Vue sur Cracovie en 1921

Vue sur Cracovie en 1921

 

Epilogue

 

Est ce que la prière de Choisnin fut exaucée ? Le roi élu, tout le reste devenait une formalité : on procéderait au couronnement et au mariage entre le jeune Henri et la vieille sœur du défunt roi. Il aurait eut un long règne paisible et beaucoup d’enfants. En fait rien ne se passa comme dans les contes de fées.

 

L’ambassade de Pologne (composée de 12 ambassadeurs et de 250 gentilshommes) auprès du nouveau roi arriva en France le 2 août 1573 et fit une entrée triomphale à Paris le 19 août. Les festivités s’enchaînèrent et on passa aux choses sérieuses : les Pacta conventa et les Articles Henriciens devaient être approuvés par le nouveau roi.

 

Une brouille entre les représentants polonais et quelques discussions plus tard, Henri signa les deux textes le 9 septembre. Le point le plus délicat était le mariage avec l’infante qu'il trouvait laide. Henri gagna du temps affirmant que le consentement de celle-ci n’était pas formellement exprimé.

 

Le roi prêta serment le 10 septembre à Notre Dame. D’autres festivités se succédèrent mais il fut bientôt temps que le nouveau roi se rende en son royaume, or ce dernier faisait traîner l’affaire.

 

La situation devenait délicate. D’un côté, la rumeur courait en Pologne qu’Henri avait refusé les conditions fixées par la Diète, bruits largement entretenus par ses ennemis. Par ailleurs, l’Empereur, dégoûté de la défaite de son fils, fit un temps la sourde oreille quant à la possibilité de laisser passer une telle compagnie dans ses Etats. Enfin, le roi Charles IX ayant montré des signes de maladie, Henri ne désespérait pas de lui succéder sans passer par la case « Pologne ».

 

Charles IX se fâche. Il pousse son frère vers la sortie et le 2 décembre, Henri et une suite de 1200 personnes composée de nobles français et polonais sortent de France pour traverser les Etats de l’Empire, munis enfin de sauf-conduits. La traversée des États allemands se fait sans encombre, si ce n’est le souvenir encore frais de la Saint Barthélémy. Le 26 janvier 1574, la suite atteint la frontière à Międzyrzecz où elle est accueillie par de nombreux cavaliers polonais ainsi qu’une délégation du Sénat, venus accueillir le nouveau roi.

 

Le convoi passa par Poznan puis atteignit Cracovie au début du mois de février 1574. Le couronnement se tint le 21 février, avec un coup de théâtre de dernière minute, puisque le Primat ayant glissé la formulation de l’ancien serment des rois de Pologne et non le nouveau garantissant la paix religieuse. Mais Firlej veillait au grain. La bonne formule est prononcée, le roi est couronné, il peut enfin régner.

 

Une formalité demeurait à accomplir, la Diète de couronnement devait se réunir sous la présidence du nouveau roi et les Articles Henriciens devaient être formellement adoptés. Les mêmes conflits rejaillirent entre catholiques et protestants sous l’œil tout à la fois partial mais désintéressé du nouveau monarque. On ne s’entendit pas et les débats furent repoussés à une nouvelle Diète devant se réunir en septembre.

 

Après une phase de dépression, il se lança dans des fêtes somptueuses, se montrant soudain avenant, y compris avec la princesse Anne qu’il devait épouser. Les Polonais se reprennent alors à espérer, que le roi va changer.

 

La suite des Français qui commençait à agacer sérieusement est repartie en France, seule demeure une garde rapprochée comme Pibrac son conseiller et Villequier et quelques autres.

 

Mais le nouveau roi ne répondit pas aux attentes de son peuple. Ce qu’il attendait en réalité, c’était la mort de son frère pour pouvoir s’éclipser et devenir le nouveau roi de France. Ses attentes furent comblées.

 

Charles IX expira le 30 mai. Henri l’apprit le 14 juin et l’annonça aux Sénateurs se trouvant à Cracovie ainsi qu’à son entourage proche, donnant le change avec les premiers comme si de rien n’était, tandis qu’il envisageait sa fuite avec les seconds dans le plus grand secret sans l’autorisation du Sénat. Certains l’encouragèrent à le faire tandis que d’autres lui déconseillèrent.

 

La fuite fut planifiée pour la nuit du 18 juin. La suite est rocambolesque et pour tout dire, drôle et pitoyable.

 

Le roi fait semblant de s’endormir, puis une fois que la voie est libre, s’habille et sort par une porte dérobée du château. Avec une troupe de fidèles, il marche une demi heure dans la nuit et rejoint le point de rendez-vous où il devait retrouver Pibrac et Villequier et s’enfuir à cheval. Pibrac et Villequier se trompent de route et avec eux, les guides et les interprètes et ne rejoignent pas le rendez vous à temps.

 

La troupe du roi part sans eux et va à l’avenant, traverse un marécage, se perd dans une forêt et atteint péniblement Zator à 40 kms de Cracovie au petit matin, grâce au guidage d’un charbonnier.

 

Bientôt rejointe par Pibrac à Auschwitz (véridique),  la troupe royale continue sa fuite, poursuivie par une troupe polonaise menée par le grand chambellan Teczynski qui avait été alerté dans la nuit de la fuite du roi et était parti à sa poursuite.

 

Pibrac s’écarte du chemin pour se cacher d’une troupe de paysans alertés par la fuite du roi, tandis qu’Henri fonce à bride abattue, droit devant.

 

Le roi arrive à la frontière, talonné par Teczynski. Ce dernier le prie en vain de ne pas quitter le royaume. Henri lui déclare qu’il saura être à la fois roi de France et de Pologne tout en promettant, sans y croire probablement, qu’il reviendra.

 

Quant à Pibrac, il vit alors une aventure à peine croyable. Il se cache dans un marécage puis confronté à une véritable battue, il se plonge dans une mare où il attend que ses poursuivants s’éloignent.

 

Il y reste environ 15 heures, le temps que les paysans finissent par abandonner la partie. Se retirant du marais dans lequel il laisse ses bottes, il marche alors toute la nuit en direction de l’Ouest, traverse une rivière, avise une maison de bergers ou une vieille femme le nourrit et l’abreuve.

 

Reparti la nuit suivante, il finit par croiser le carrosse d’un noble se rendant à la frontière pour aller chercher le roi. Il a pitié de Pibrac et l’embarque avec lui en direction de la frontière. Ils rejoignent les Sénateurs qui ne  peuvent que constater que le roi leur a échappé. Ils menacent alors Pibrac de le ramener à Cracovie pour le juger. Il les aurait alors haranguer longuement et les aurait convaincu de le laisser partir.

 

Ils le prièrent toutefois d’intercéder auprès du roi pour qu’il revienne. L’attente vaine dura plus d’un an puis le roi fut déchu de son royaume.

 

Ainsi cette histoire se termine de manière tragi-comique. Henri aura régné un peu moins de quatre mois, comme roi de Pologne et Grand Duc de Lituanie.

 

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2 juillet 2022 6 02 /07 /juillet /2022 10:59

 

Je propose dans cette page de faire une synthèse des différents acteurs de la ville mentionnés comme protestants. Une des sources essentielles provient de l’ouvrage de Pierre Dez, parfois complété et recoupé avec d’autres sources directes ou bien de seconde main. Les informations ne permettent pas toujours d’établir si ce sont des personnes qui sont des habitants de Poitiers ou bien qui résident plus largement dans la province du Poitou. J’établis cette distinction lorsque c’est possible.

Certains sont déjà mentionnés dans mes deux articles accessibles sous les liens suivants : le Poitiers protestant au 16ème siècle (1/2) et sa seconde partie. Là encore, j’y ajoute les détails que j’ai pu glaner par ailleurs. Bonne lecture !

 

Les premiers temps des martyrs et des suspects

Dans les premiers temps, les protestants apparaissent essentiellement en tant que justiciables, au début comme des hérétiques au sens littéral, dont le sort finissait malheureusement souvent sur le bûcher. Ils furent régulièrement incarcérés pour un mot, un geste de trop, ce qui, selon Jérémie Foa, permit d’en faire des suspects du voisinage que la milice urbaine savait où trouver le moment venu.

Certains noms réapparaissent régulièrement dans la chronique judiciaire locale.

En effet, quand le corps de ville ordonne régulièrement aux six capitaines de quartier de perquisitionner les habitations de personnes de la "nouvelle religion" pour y chercher des armes, des livres suspects ou bien des étrangers protestants, nul besoin de liste. Les capitaines de quartier savent chez qui ils doivent aller. J’imagine que les deux capitaines de quartier ecclésiastiques de Saint Hilaire et de Saint Pierre s’impliquèrent avec zèle dans cette tâche de police. Après tout, la nouvelle religion portait directement atteinte à leur fond de commerce.

Voilà ce que l’on trouve dans les premiers temps de la réforme.

 Le 29 août 1537 et selon la sentence donnée par le Lieutenant général, un nommé Guillemar, marchand à Poitiers fit amende honorable durant la procession qui fut faite par le clergé de Poitiers pour avoir mal parlé et suivi ce que l’on appelait encore alors « la secte luthérienne » (Journal de Guillaume La Riche, cité par Pierre Dez).

Moins chanceux fut Guillaume Saulnier qui le 21 octobre 1546 par arrêt du Parlement de Paris confirmant la sentence du lieutenant général du Poitou, sera condamné à être pendu et brûlé à Poitiers pour avoir prononcé des « paroles damnées et (blasphémé) contre l'honneur de Dieu et du Sacrement de l'Autel, et la très sacrée Vierge Marie, mère de Dieu. »

Dans les années précédent cet évènement, le fils de Gaucher de Sainte-Marthe médecin ordinaire du roi, Charles de Sainte-Marthe, qui était en relation épistolaire avec Calvin commença à dispenser des leçons de théologie, bien qu’il fut recteur de la faculté de droit. Il en fut dissuadé et dut quitter la ville pour rejoindre Grenoble. Emprisonné, il mourut en détention.

On retrouve plus tard un autre rejeton de l’illustre famille dans la fameuse liste établie en 1562 des protestants devant être faits emprisonnés (voir ci-dessous). Il s’agit de Louis de Sainte-Marthe alors procureur du roi à Loudun qui se trouve être le berceau familial de la famille de Sainte-Marthe.

Sur la fin du siècle, les deux frères Louis et Gaucher Sainte-Marthe présents au sein du corps de ville, furent catholiques modérés et agirent comme intermédiaires entre les armées catholiques et protestantes.

Dans un rôle d’imposition de 1552 dressé pour Poitiers, un René de Sainte-Marthe, seigneur de Villadam, avocat est indiqué comme contribuable dans la paroisse de Saint Paul.

En 1548, Etienne de Lugré (ou Delugré), libraire que j’ai déjà traité, est condamné à être brûlé vif mais on sait que la sentence ne put être exécutée. Son collègue Mathurin Raguyn dit trompillon, est condamné par le Parlement à l’amende honorable devant la cathédrale et à être battu et fustigé ainsi qu’à la confiscation de ses biens.

Au cours de la même année, le Parlement de Paris confirme la sentence de prise de corps du sénéchal du Poitou de plusieurs personnes pour être auditionnées par celui-ci. Sont concernés, Saint Vertunien sieur de Lavau, Olivier Gouyn, les nommés Virandeau et Baignault, Michiel Cheusse (peut-être plutôt Chessé), Abel Cheussé père et fils, Michel Duplex dit Pelé, un certain Simon en sa qualité de prêcheur, Denys imagier (peintre) en la paroisse de Saint Paul pour avoir accueilli un prêche dudit Simon en sa maison, Loys serviteur de feu Jehan Serre, libraire. Furent ajournés à comparaitre, Jehan Gaulteron1, maître René Moreau, avocat (est-ce la même famille que la famille Morrault de la Vacherie que l’on retrouvera plus loin?), D’Aigonné marié à la veuve de Jehan Taynin de la paroisse de Saint Opportune.

Le 13 avril 1549, 26 prisonniers sont libérés de la prison de Saint Maixent. Parmi les personnes citées, Mathurin Frappier est cité (voir Pierre Dez, page 45 suite de la note 3 de la page précédente). C’est peut-être le même que l’on retrouve dans la liste de 1562 et sur laquelle je fais quelques développements ci-après.

 

1Un Jehan Gaultron, procureur est signalé comme contribuable en la paroisse de Sainte Opportune en 1552 avec un impôt de 9 livres

 

Scène nocturne de l'inquisition - Francisco de Goya y Lucientes (1746-1828)

Scène nocturne de l'inquisition - Francisco de Goya y Lucientes (1746-1828)

L’ordonnance de prise de corps du 8 août 1562 prise par le Maréchal de Saint André et effectuée par le Présidial contre plusieurs habitants de Poitiers (tirée du journal de Simon Jallais1, publiée dans les Archives historiques du Poitou, tome XXVII (1896))

Quelques mots de contexte avant d’entrer dans les détails de la liste.

Celle-ci fut établie à l’issue de la reprise de la ville par les troupes catholiques du maréchal de Saint André. La reconquête de la ville faisait suite à l’occupation de Poitiers par les troupes protestantes de mai à juillet 1562. Cette occupation temporaire qui avait donné lieu surtout à des dégradations des lieux de culte s’inscrit dans une tentative négociée de prise de contrôle de la ville par le seigneur protestant Lancelot du Bouchet sieur de Saint Gemme, en qualité de Gouverneur de la ville, nommé par ordre exprès du prince de Condé. Ces tentatives renouvelées auprès du corps de ville pendant cette brève occupation s’avèrent infructueuses, malgré l’appui de troupes gasconnes2 venues en renfort et les pressions de Lancelot du Bouchet, aidé en cela par les notables locaux protestants. Au début du mois d’août les troupes protestantes s’enfuirent alors que les soldats catholiques envahissaient la ville.

La reprise de la ville par les troupes de Saint André donna lieu à des violences et des débordements importants. Notamment, les prisonniers furent libérés des geôles, les pièces de procès furent détruites et lacérés, ce dont se plaignirent d’ailleurs les conseillers du Présidial au maréchal de Saint André qui concéda que tout cela fusse consigné dans un procès verbal, sans qu’il y en ait des suites.

En revanche, on sait que la reprise de la ville donna lieu à une ordonnance de prise de corps à l’encontre de ceux jugés comme les principaux fauteurs des troubles protestants, cette ordonnance contenant la fameuse liste de noms. L’ordonnance précisait également qu’une enquête devait être menée et ordonnait la saisine des biens des accusés pour être vendus à l’encan.

Certains d’entre eux sont également cités comme acteurs des saccages opérés à Sainte Radegonde3, Saint Hilaire4 et la cathédrale Saint Pierre5, dans les enquêtes qui suivirent.

Compte-tenu de la qualité des accusés qui sont pour l’écrasante majorité de la bourgeoisie, voire pour certains, appartenant au corps de ville, il est fort probable qu’ils n’aient pas participé directement aux saccages. Mais il fallait viser la tête car il était évident pour les accusateurs que la populace déchaînée avait été manipulée par eux.

Quelles furent les suites judiciaires ? Pour beaucoup d’entre eux, ils n’y eut vraisemblablement pas d’emprisonnement.

D’abord, ils avaient certainement fui la ville avec les troupes protestantes par précaution pour se « mettre au vert » et puis, entre la théorie et pratique, il y a parfois un fossé. Ces familles, catholiques comme protestantes, étaient liées parfois dans le gouvernement de la ville et un certain retour au principe de réalité dut prévaloir.

Au demeurant, les rejetons des acteurs les plus notables gardèrent les positions éminentes de leurs pères (on peut citer notamment les Morault de la Vacherie, Dreux, Le Sueur, Poupet, Porcheron de Saint James, Sainte-Marthe, Brochard). Certains se convertirent probablement ou ne suivirent pas les pas de leurs pères, entrant ainsi dans le rang mais c’est probablement surtout le poids traditionnel de ces familles au plan local, fut déterminant sur le long terme.

La vraie seule victime expiatoire de cet épisode fut Jacques Herbert, protestant, qui avait témérairement accepté l’élection comme maire de la ville et fut pendu pour ne pas avoir soit-disant remis les clés de la ville au nouveau vainqueur. Peut-être cette pendaison suffit elle à calmer les esprits.

Un dernier mot sur cette liste. Comme je l’ai constaté, il existait une certaine endogamie au sein de la bourgeoisie protestante de Poitiers ce qui a pour conséquence que certains des accusés sont liés, de manière avérée ou bien supposé.

 

 

1 - Auteur d’un livre de raison conservé aux archives départementales de la Vienne (réf. Dépôt 160, Art VI) et acteur protestant de la période « Journal de Simon JALLAIS, conseiller au présidial de Poitiers, protestant. Événements locaux, notes de droit, copie d'ordonnances et d'édits royaux, lettres de princes ».

 

2 - Ces troupes seraient à l’origine de l’essentiel des pillages et dégradations des lieux de culte selon les témoignages de l’époque et notamment le ravage de l’abbaye de Saint Cyprien

 

3 - A sainte Radegonde, plusieurs témoins dénoncèrent des pillages et déprédations faites par François Tantin boucher, Jehan le fils du grand Jehan huilier, Vincent Rousseau, fils de Grand Bras et ses serviteurs (un Vincent Rousseau texier en draps est inscrit au rôle d’imposition de 1552 en la paroisse de Sainte Radegonde), également Jacques Maudin, maçon, demeurant paroisse de Saint Simplicien. S’ensuivent une série de témoignages qui dénoncèrent Maître Philippes, l’organiste ainsi que sa chambrière, sa mère et son frère qui s’acharnèrent sur les tuyaux d’orgue pour l’étain. Ou encore Pierre un autre « fils du Grand Jehan huillier, un nommé Jehan, serviteur de Monsieur de la Guyonnière,(ou le) frère de Millet, ung parchemynier nommé le Cent, tous qui rompoient les ymages, croix, sièges ». (voir MSAO tome XIV 1891 page 203 et suivantes). 

 

4 - Voir Dom Fonteneau Tome XII Médiathèque de Poitiers - Tome XII. Ière série : H. / Dom Fonteneau - Détail (bm-poitiers.fr) Sont cités par les chanoines dans leur plainte dirigée plus généralement contre les protestants ayant été les instigateurs « des troubles et séditions » certains que l’on trouve dans l’ordonnance de prise de corps à savoir « Jehan de Beaucé, l'abbé de Valence, frère du sieur de Vérac, le capitaine Sainte Gemme, les deux Porcheron dits Saint Jasme, l'ung conseiller Magistrat et l'autre écolier, le capitaine Corneille de Loudun, maistre Simon Dreux, enquesteur (c’est son père qui est mentionné dans la liste), Jehan du Liège dit De Marnef, maistre Jehan Mourault, sieur de la Vacherie, Jehan Gervain notaire, ung nommé Clabat, le dit La Pillardière, Taneguy, Persicault, Brochard, procureur». Sont cités également le Repceveur, le Général des Princes, le comte de la Rochefoucault, Sainct Martin de la Couldre, Hesnard, advocat, Du Fraigne, apothicaire Pandin, notaire, Rainbert, bancquier, maistre François Poupet, procureur, Berthelot, sergent et Toyveneau,procureur.

 

5 - Pour les destructions de la Cathédrale Saint Pierre, sont cités : Nozereau, imprimeur (Bertrand Noscereau demeurant à l’enseigne Saint Martial paroisse de Saint Hilaire de la Celle (voir la librairie et l’imprimerie à Poitiers au XVIème siècle)), Girard, notaire, demeurant à Gilassy (?) et le sieur des Robellinières son frère, Monsieur Jacques De Lage procureur, Jean Cartier, receveur, Monsieur Guillaume Moreau dit la pomme notaire, Le Duc dit prieur, cordonnier, les Robinots frères « et aultres » (voir Dom Fonteneau, tome II, vue 531).

 

« Aujourd’hui 8 aout 1562, ce requérant le procureur du roi, avons enjoint au premier sergent royal sur ce requis de prendre au corps et admener prisonniers en la Cour de céans suivant l’ordonnance de M le Maréchal de Saint André, les nommés :
(…. )
Si appréhendez peuvent estre sinon les adjourner a trois brief jours à comparoire en personne en ladite cour pour répondre à toutes particulières conclusions que contre eux voudra le dit procureur du roi ...».

Exrtrait du livre de raison de Simon Jallais - retranscrit dans Les Archives historiques du Poitou - volume XXVII (1896)

 

Le Sieur de Saint Gemme : Lancelot du Bouchet sieur de Saint Gemme, gentilhomme du bas Poitou qui fut proposé comme Gouverneur de la ville par le Prince de Condé ou plutôt que ce dernier tenta d’imposer en vain, le corps de ville lui répondant qu’il ne prenait ses ordres que du roi.

 

La famille de Vérac : le sieur de Vérac et « l’Abbé de Valence », Ponthus de Saint Georges, abbé commendataire de Valence (86), frère du précédent qui fut accusé d’avoir participé au pillage de Saint Hilaire.

 

Pierre Després : sieur de Lacourt de Chiré en Montreuil, dit le curé de Chiré car il était curé converti et aussi peut-être parce qu’il prêchait. Il fut accusé d’avoir participé au pillage de Sainte-Radegonde. Il fut massacré en 1570 au prieuré de Mouzeuil (cf Pierre Dez). L’acte mentionne également un autre « Lacourt de Chiré » qui est peut-être le frère du précédent.

 

Sainte-Marthe : désigné dans l’acte comme procureur du roi à Loudun, il s’agirait de Louis de Sainte-Marthe affilié à la fameuse famille de Sainte-Marthe. Un René de Saincte Marthe, Seigneur de Villadam, avocat est référencé dans le rôle d’imposition de 1552 dans la paroisse de Saint Paul. Je l’identifie comme fils de Gaucher de Sainte-Marthe et frère de Charles évoqué plus haut. René de Sainte-Marthe avait épousé Anne Porcheron. Cette dernière était la fille de François Porcheron, sieur de saint James, procureur du roi et échevin en 1552 (contribuable pour la paroisse de Saint Paul) et certainement apparentée aux Porcheron, sieurs de Saint James, évoqués ci-dessous.


Jehan Beaulcé (ou Beaussé) : adepte de la réforme dès le début, ce riche marchand drapier y joua un part très active à Poitiers. La légende veut que c’est dans son magnifique hôtel de Beaucé1 que se tint en 1557 la réunion ayant conduit à la rédaction des « Articles polytiques pour l’Eglise reformee selon le Saint Evangile », première ébauche de discipline ecclésiastique dont la portée et le statut restent discutés.

II accueillit également des prêches privés, ce dont se plaignirent les membres du Chapitre de Saint Hilaire lors des enquêtes menée en août 1562, après la reprise de la ville. Il fut également accusé d’avoir permis de fondre dans son hôtel particulier, les objets liturgiques en or et en argent, issus du pillage des églises. Il survécut à cette aventure car il est régulièrement cité comme protestant très impliqué localement. Il était probablement le fils (où le petit fils ?) de Jacques Beaucé, maire de Poitiers en 1500.

 

Le sieur du Maignou : il s’agit de François Crouzilles, avocat, peut-être fils de Jehan Crouzille (échevin en 1551). il était lui-même membre du corps de ville en 1561. Il résidait dans la paroisse de Saint Porchaire avec sa mère lors de l’établissement du rôle d’imposition en 1552 (ils y sont redevables de la somme importante de 60 livres).


« Saint James » conseiller et son frère le capitaine : Philibert Porcheron sieur de Saint James, conseiller magistrat au Présidial et Bourgeois de la ville au moment des faits. Dans la chronique, il est fait référence aux «deux Porcheron, dits Saint-Jasme, l'un magistrat, l'autre écolier». Le prénom du jeune Porcheron alors étudiant n’est pas connu. Apparemment, ce dernier s’improvisa capitaine de troupes à l’occasion de cette aventure.

Un François Porcheron est identifié comme procureur du Roi et échevin dans le rôle d’imposition de 1552 résidant en la paroisse de Saint Paul. Il était marié à Renée Favereau. Une source le qualifie également de Seigneur de Saint James ce qui accrédite l’idée selon laquelle il serait le père des deux précédents et le beau-père de René de Sainte-Marthe cité plus haut. François Porcheron était décédé avant 1562.

Philbert Porcheron avait épousé en 1558 Perrine Le Venier, issue d’une famille de Fontenay le Comte. De cette union naquit au moins un fils, Jacques, qui devint lui-même conseiller au présidial en 1587, probablement en succession de son père dans cet office.


Simon Jallais, assesseur conseiller et juge au Présidial depuis 1558 : il est l’auteur du livre de raison dans laquelle figure la liste de 1562. Originaire de Châtellerault, il avait épousé Renée Brochard en 1548, fille de François Brochard, bourgeois de Châtellerault. Il était encore bachelier et demeurait au château du Fou2 à cette époque.

Il fut l’un des juges conseillers du Présidial protestant quand intervint l’occupation en 1562. Il était également membre du Mois et Cent de Poitiers en qualité de bourgeois. Anticipant la prise de Poitiers par les catholiques, il s’enfuit le 22 juillet pour se réfugier successivement à Sanxay, à Jazeneuil, à la Rochelle et à Châtelaillon. En 1566, il était probablement de retour, y compris dans ses fonctions puisqu’il signait un acte le 8 novembre 1566, en qualité de Conseiller. ll mourut en décembre 1571.

Son journal contient une évocation astrologique émouvante, annotée le jour de la naissance de sa fille, Déborah, le 16 avril 1562.

 

Mre Michel Brochard : Je suppose qu’il était apparenté à Renée Brochard, épouse de Simon Jallais (voir ci-dessus).

Il était probablement le fils d’Aymé Brochard, de son vivant échevin et conservateur des privilèges royaux de l’Université et d’Anne de Sauzay. En effet, Anne de Sauzay est désignée comme marraine d’Isaac Brochard, fils de Michel Brochard et de Catherine Deperelles, dans son acte de baptême du 10 avril 1553 à la paroisse de Saint Opportune (les parents sont dits être paroissiens de Saint Cybard) Elle est mentionnée comme veuve de feu Aymé Brochard précité (qui décéda probablement entre 1551 et 1553). Les parrains de l’enfant furent le sieur de Richefort conseiller pour le roi et François Rousseau avocat.

Michel Brochard était peut-être déjà calviniste au moment du baptême de son fils Isaac, le prénom étant un marqueur plutôt probant de la conversion. En 1561, il fut un des co-signataires de la lettre adressée à Calvin demandant un pasteur pour l’église de Poitiers.

En 1554, Michel Brochard est mentionné comme procureur et frère de Pierre Brochard, dans l’acte de baptême de Jehanne Brochard, fille de ce dernier et de Louise Rocquet. Pierre Brochard fut lui-même protestant car il fit partie d’une délégation pour présenter une requête auprès du corps de ville le 20 juillet 1571 à propos du paiement d’une taxe ordonnée par le roi sur les protestants de la ville.

Pierre et Michel Brochard auraient eut également pour frère, René, enquêteur pour le roi qui est identifiable dans le rôle de 1552, habitant chez sa mère pour un impôt de 55 livres (« Damoiselle Anne de Sauzay et honorable homme René Brochard son fils enquêteur » ). René Brochard devint lieutenant général en Poitou. Il était le grand-père maternel de René Descartes.

 

Christophe Le Sueur, receveur du taillon (impôt établi par Henri II pour financer l'entretien et les munitions des gens de guerre et prélevé selon les mêmes modalités que la taille): je n’ai pas réussi à identifier cette personne. Par contre, Philippe le Sueur notable du parti protestant et membre des 75 bourgeois du corps de ville (en 1561 et toujours en 1571) est mentionné au moment des faits comme un des accompagnateurs de Lancelot du Bouchet dans ses démarches auprès du corps de ville. S’agirait-il donc d’une erreur de transcription portant sur le prénom ?

Le protestantisme de Philippe Le Sueur est corroboré d’ailleurs par son entourage familial, présent à l’occasion du baptême (catholique) de sa fille Geneviève le 2 janvier 1551 en la paroisse Saint Opportune3. Sa femme d’abord, Françoise Poupet, pourrait être la sœur de François Poupet qui fut désigné comme un des fauteurs de troubles et séditieux par les chanoines de Saint-Hilaire Le Grand. A noter que dans l’acte, le parrain de l’enfant est François Poupet l’aisné qui pourrait être son grand-père (et qui était aussi membre du corps de ville). Quant à la marraine, il s’agit d’Anne Porcheron, « dame de Villadam, femme de noble homme René de Sainte Marthe », qui sont tous deux mentionnés plus haut. L’autre marraine, Cyprienne Blanchet (?) est désignée comme « aiolle de ladite Geneviève ».

Le couple Le Sueur/Poupet, eut aussi un fils, Guille Le Sueur, conseiller au présidial qui succéda comme bourgeois au corps de ville en 1586 à son cousin germain, François Poupet, enquêteur et examinateur pour le roi. Le registre des délibérations précise que François Poupet ne pouvait plus « pourvoir à sa charge compte-tenu de sa grande vieillesse ». Guille Le Sueur fut proposé par … Louis de Sainte-Marthe. On ne peut dire si les descendants des deux familles étaient encore protestants en 1586 mais force est de constater que les réseaux familiaux étaient, eux, vigoureux.

 

Jehan Morrault, sieur de la Vacherie : Jehan Morrault ou Mourault, sieur de la Vacherie et du Sault très probablement fils (ou petit-fils?) de Michel Mourrault, sieur de la Vacherie, avocat du roi et maire de Poitiers (1505), à la suite d’une ancienne lignée d’échevins et de maires. Jehan Morrault avait épousé Florence Doisneau, fille de Doisneau de Sainte Soline, lieutenant général du roi, qui apparaît aux premiers temps du protestantisme à Poitiers.

Plus tard, René Morrault sieur de la Vacherie, d’abord procureur du roi avant d’exercer d’autres office royaux, fut élu maire de Poitiers en 1578. Il était aussi capitaine de quartier En 1587, il est précisé dans le registre des délibérations que « René Morrault, sieur de la Vacherie , conseiller du roy, lieutenant particulier et assesseur au siège présidial d’icelle et pair et échevin de céans » proposa Jean Goguet son frère (plutôt, peut-être, son beau frère) comme bourgeois membre des Soixante Quinze ce qui fut accepté. Il mourut en août 1587 et fut remplacé dans son office devenu vacant par Louis de Sainte-Marthe.

En 1548, un certain René Morrault, avocat de Poitiers, fit l’objet d’une procédure devant le Parlement de Paris pour fait d’hérésie. Est ce le même ? Ou bien appartient-il à la même famille ?

 

Mre Méry Dreux enquesteur : Merry Dreux, sieur de Boisbaudry (1507-1577) avait épousé Charlotte de la Coussay par contrat de mariage du 15 janvier 1533. Il est d’ailleurs mentionné dans le rôle d’imposition de 1552 pour la paroisse de Saint Germain, vivant à côté de « sa belle mère veuve de Nicolas de la Coussaye ». Si en 1562, Merry Dreux figure sur la liste des protestants à emprisonner son fils, Simon Dreux n’en fait pas partie tout en étant parmi les protestants que les chanoines de Saint Hilaire accusent d’être les instigateurs des troubles.

 

Parmi les juristes la liste comporte également Mre « Claude France sieur de la pillardière », victime d’une mauvaise transcription. Il s’agit en réalité de Claude Faure, sieur de la pillardière qui était avocat. En 1552, il vivait en la paroisse de Saint Didier et imposé à 8 livres 100 sols. Le sieur de la pillardière, par ailleurs membre des 75 bourgeois sur une très longue période figure sur la liste et il est l’un des protestants objet de la vindicte des chanoines de Saint Hilaire. Il aurait accueilli des prêches privés dans son logis à plusieurs reprises et fut désigné comme un des séditieux et fauteurs de troubles. En 1561, il était l’un des cosignataires de la lettre adressée à Calvin.

 

Jehan Gervain, notaire royal qui réside à la paroisse de Saint Hilaire de la Celle en 1552 avec un impôt de 70 sols.

 

François Pandin aussi notaire royal qui réside quant à lui à Notre Dame la Petite en 1552 et est imposé de 45 sols. Peut-être ce dernier est-il apparenté aux Pandin sieurs de Beauregard qui sont aussi protestant et dont l’un des descendants se maria en 1628 avec une fille de Pascal Le Coq et de François de Saint Vertunien. Gervain et Pandin furent tous les deux désignés également comme séditieux par les chanoines de Saint Hilaire.

 

1- Érigé en 1554, il se trouve derrière l’actuel hôtel de ville de Poitiers

2 -  Source « Le présidial de Poitiers et son personnel de 1551 à 1790»

3 - Ils sont dits être paroissiens de la paroisse de Saint Cybard et effectivement, Philippe Le Sueur apparaît dans le rôle de 1552 comme "controlleur" (?) Il est assujetti à un impôt de 17 livres et 10 sols

 

Détail du jugement dernier - Michelangelo (Chapelle Sixtine)

Détail du jugement dernier - Michelangelo (Chapelle Sixtine)

 

 

M(essi)re Pierre Clabat, sieur de la routte (domaine situé proche de Saint Loup sur Thouet dans les Deux-Sèvres): Pierre Clabat est mentionné paroisse de Saint Didier comme scribe de l’université de Poitiers en 1552 (impôt de 6 livres). Il était le fils de Nicolas Clabat sieur de la route, ancien officier de justice de la sénéchaussée, incorporé comme conseiller du Présidial au moment de sa création à Poitiers en 1551. Clabat père était membre des 75 bourgeois et fut élu maire en 1532.

Son fils, Pierre Clabat fut également membre du Mois et Cent jusqu’en octobre 1572, date à laquelle, prudemment retiré dans son fief de la Routte (les échos de la Saint Barthélémy avaient dû lui parvenir), il se démit de ses fonctions par acte notarié adressé au corps de ville. Dans l’acte recopié dans le registre des délibérations (registre 41, vue 18), il indiquait s’en remettre au corps de ville pour lui trouver un remplaçant.

Pierre Clabat fit partie des protestants très engagés. Il est cité régulièrement jusqu’en 1576, lorsque le corps de ville s’émeut auprès de La Duguie et Boiceau, d’un prêche privé fait dans sa maison. Il avait épousé Marie Aubert dont il aurait eut au moins un fils, Guy, Conseiller au Présidial en 1579.

D’autres Clabat sont recensés à Poitiers que je pense appartenir à la même famille, dont Jacques Clabat, conseiller au Présidial en 1577 qui deviendra maire en 1587 (peut-être est ce le neveu de Pierre). Mais cette autre branche était catholique ce qui illustre la division des familles sur la question religieuse.

 

Jehan Allonneau que j’ai déjà traité est cité également.

 

L’hoste de Saint André (Tanguy Persicault) : avec lui, j’entame les hôteliers qui prirent part à la diffusion du protestantisme. Les hôtelleries étaient des lieux de passages et de brassages, où l’on discutait, échangeait et convertissait. Probablement aussi des espaces assez vastes où pouvaient se tenir des assemblées privées et donc des prêches.

L’hoste de Saint André, identifié comme étant le localement fameux protestant Tanguy Persicault avait son établissement situé dans la paroisse de Notre Dame de la Chandelière (imposé à 13 livres 15 sols en 1552), dans la rue actuelle de la Tranchée, non loin de l’hostellerie du Chapeau vert, entre la très « classe » et spacieuse auberge des trois piliers et celle où pend l’enseigne de la truie qui file.

Il était l’époux de Madeleine Abriou et le couple eut au moins un fils, André, baptisé le 9 décembre 1548, paroisse de Saint Hilaire (vue 68/102).

Tanguy Persicault fut comme Clabat très engagé au niveau local ce qui explique peut-être pourquoi il fut une des rares victimes de la Saint Barthélémy à Poitiers le 27 octobre 1572. En 1562, il fut aussi la cible des chanoines de Saint Hilaire qui se plaignirent notamment des prêches privés accueillis dans son établissement.

Comme je l’ai déjà évoqué dans article précédent, en 1574, une personne que je crois être un de ses fils, lui-même prénommé Tanguy, hôte du Cheval Blanc, fait baptisé un enfant, Daniel (prénom ô combien protestant), né de son union avec Madeleine Alexandre sa femme. Elle fut peut-être la fille ou bien la sœur de Jehan Alexandre qui fut le parrain de l’enfant.

Difficile de savoir si ce baptême fut fait pour donner des gages publics sur le plan religieux.

Toujours est-il qu’en octobre 1585 après l'Edit de Nemours qui interdit la religion protestante sous peine d’abjuration ou d’exil, le capitaine de quartier, le sieur Saint Sulpice, se plaignit auprès du maire que certains bourgeois astreints à la milice ne répondaient pas à l’appel pour assurer les tours de garde.

Persicault, l’hôte de Saint André en faisait partie avec Loys Payrault, procureur, Vomereau, maître de la poste (ou plutôt son gendre chevaucheur pour le roi), Debrissac, sergent royal et Guy Ternyn.

Quand on sait combien à la suite de l’Edit de Nemours, les anciens protestants furent plus surveillés que jamais et que toute manifestation jugée non citoyenne était scrutée à la loupe, il est fort possible que nos coupables, dont Persicault, aient été particulièrement ciblés, en raison de leur attachement supposé à leur ancienne religion. Ils s’en tirèrent avec une amende au maximum de 6 écus et devaient être emprisonnés tant que la somme ne serait pas payée.

 

Dans la liste, on trouve ensuite un deuxième hotelier, le gendre de l’hoste Saint Michel. L’hotellerie de Saint Michel se trouvait dans la grand rue, pas loin de la « corne de cerf », du « bœuf couronné », ou du très poétique hôtel de « l'oiseau du paradis ». En 1589, Philippe Bouin, est hôte de Saint Michel et consul des marchands. En 1586, Philippe Bouin est déjà mentionné comme hoste de Saint Michel dans le registre des délibérations du corps de ville. Est ce son beau-frère ou son fils ?.

 

La liste mentionne également Le Ranger, hoste du chapeau vert que je n’ai pu identifier. En effet, sur le rôle de 1552, l’hoste du chapeau vert est un certain René Mandin et non Le Ranger. Pour mémoire, l’hotellerie du chapeau vert se trouvait dans l’actuelle rue de la Tranchée paroisse de Notre Dame de la Chandelière. Elle ne devait pas être d’un grand rapport car René Mandin fut taxé à seulement 20 sols.


Jehan Liège dit de Marnef : Jehan du Liège de Marnef était libraire et imprimeur. Il est l’un des deux libraires de la liste avec Nicolas Pelletier, et un des nombreux imprimeurs et libraires ayant adopté la nouvelle religion. A cet égard, j’ai évoqué Etienne Delugré mais également plus tard, les frères Barrillet ou bien Audet, chez lesquels il fut trouvé des livres réprouvés qui furent brûlés dans un autodafé tandis que leurs propriétaires étaient mis à l’amende.

La famille de Marnef fut, avec la famille Bouchet leurs alliés sur le plan professionnel et familial, une des familles les plus importantes de l’imprimerie poitevine au 16ème siècle. Elle adopta très rapidement le protestantisme. Il s’agirait d’une famille originaire de Belgique près de Liège (d’où le patronyme), établie en France à Paris et à Poitiers en tant qu’imprimeurs à la fin du 15ème siècle.

Le Jehan qui figure sur la liste de 1562 est le deuxième du nom, Jehan 1er étant décédé en 1510. Jehan II et Enguilbert II de Marnef étaient enfants mineurs en 1529 mais certainement proches de la majorité puisque les deux frères prirent en association la gestion de l’imprimerie l’année suivante. La boutique à l’enseigne du Pelican, sise derrière le Palais paroisse de Notre Dame la petite fut attribuée à Jehan II dans un partage et c’est là qu’il est mentionné comme libraire en 1552 taxé à 14 livres comme son frère résidant à côté1. Les frères de Marnef avaient épousé deux sœurs Audebert, Bernarde et Marie. Puis devenu veuf, Jehan II se remaria avec Perette Citoys en 1561, fille d’un marchand libraire dont il eut deux enfants, Esther et Daniel.

Les enfants de Jehan II, ou du moins ses filles, Marie et Radegonde, demeurèrent protestantes. Sa fille Marie épousa Jehan Gervais, puis Abraham Bourdeau, tous deux orfèvres et protestants et abjura avant de mourir en 1639 à l’âge de cent ans ce que relève Denesde dans son journal. Radegonde de Marnef épousa en 1570 Thomas Garnier apothicaire protestant.

 

Le nommé Nicolas Pelletier : Il s’agit également d’un libraire imprimeur, fils de Nicolas I Pelletier aussi imprimeur. Des liens professionnels existaient avec la famille de Marnef mais aussi familiaux puisque, la mère de Jehan II de Marnef, Jeanne Boisseau, avait épousé en seconde noces Nicolas I Pelletier.

 

Parmi les orfèvres listés, on trouve deux noms. Tout d’abord, Zacharie orfèvre et également Marc Aymond qui est désigné comme orfèvre dans le rôle de 1552 pour Notre Dame la Petite avec un impôt de 20 sols.

 

Un banquier, Pierre Chesnay, apparaît sur la liste de 1562. Il figure également sur le rôle d’imposition de 1552 dans la paroisse de Saint Hilaire de la Celle (« Mr Pierre Chesnay, dict Martin, banquier ») taxé d’un impôt de 4 livres. Ayant fui la ville, il était probablement revenu en 1571 car il fit partie d’une délégation de protestants auprès du corps de ville le 20 juillet de cette année là avec Pierre Brochard (voir ci-dessus) et Jehan Bernardeau. Il dut s’enfuir par la suite à La Rochelle car comme je le mentionne dans un précédent article, Chesnay fils, lui-même protestant, revenu de La Rochelle, tenta en vain de racheter la maison familiale en 1595.

Un certain Rambert, également banquier, est dénoncé par le chapitre de Saint Hilaire comme séditieux et fauteur de trouble.

 

Le fils aîné du grand Jehan Frappier : Jehan Frappier était messager de Paris pour le roi. En 1552, il est paroissien de Saint Michel et taxé à 20 livres. En 1549, un certain Mathurin Frappier est libéré de prison où il avait été emprisonné en raison de sa religion. Est-ce lui dont il est question dans la liste de 1562 ?

 

Royer, apothicaire demeurant près des trois piliers : Louis Royer, avait été présenté pour siéger au corps de ville en 1549 mais ce n’est qu’en 1554 qu’il y accéda. Il est mentionné dans le rôle de 1552 pour la paroisse de Saint Didier avec une taxe importante de 23 livres.

 

Un autre apothicaire, le sieur Dufraigne, protestant, ne figure pas sur la liste mais fut accusé par le chapitre de Saint Hilaire d’avoir participé au pillage.


A noter que la profession a accueilli une importante communauté protestante à Poitiers dont certaines familles ont déjà été citées : outre les précédents, on comptait les Garnier, Contant, Demayré et plus tard Garsonnet, Lussault et Pioger.


J’ai relevé deux personnes inscrits dans la liste de 1562 qui appartenaient également à la communauté réformée et dont les noms reviennent par ailleurs régulièrement. Il s’agit de Jacques Dehors et le sieur de la Royère, que je suppose être Guillon de la Royère.

 

S’ensuit une liste de personnes mentionnés pour mémoire.

Le sieur Saint Martin de la Couldre de Saintonge, accusé d’avoir pris part au pillage de la Cathédrale Saint Pierre et de Saint Hilaire. Il faut mentionner aussi les noms des chefs des quelques troupes protestantes d’Anjou et de Loudun en déroute (elles comportaient surtout des femmes et d’enfants protestants), poussées par les armées du roi et qui vinrent chercher refuge dans la ville de Poitiers, peu avant sa prise. L’acte mentionne ainsi Jacques de Beauveau de Tigny capitaine, Jean Renart de la Minguetière ainsi « Corneille » de Loudun qui serait Cornouaille Scot dit l’Ecossais.


Sont signalées enfin des personnes que je n’ai pu identifier : un nommé La Bourdellière et son frère, Lymdemière, Mézanchière, Saulx, Du Lizon, Fontfroide, Du Plessis, Lagueygne et ses enfants. Egalement, « le Prieur de Nieul » que je suppose être le prieur de Nieul sur l’Autize, le nommé Du Puy fils de l’abbé d’Orbestier (de l’abbaye de Saint Jean D’Orbestier à côté d’Olonne). Egalement Landoys sieur Durceay (Landais ?), Mathurin Grihard, un dénommé Saint Mathieu, Fronteneau et enfin Me François gendre du Drac.


 

Pour conclure cette recherche des familles protestantes de Poitiers, je livre quelques noms de personnes ayant eu maille à partir avec le corps de ville et qui furent parfois emprisonnées ou bien expulsées de la ville pour fait de religion.

En 1588, Daniel Guillot hôte de la Sirainne à Saint Jean d’Angély (sur geneanet répertorié comme sieur de la sirène) se voit emprisonné comme prisonnier de guerre et saisir son équipage alors qu’il réside chez Julien Porcheron, hôte des trois piliers.

La même année, des personnes de la prétendue relligion, étrangères à la ville et qui y étaient réfugiées furent expulsées et interdites de retour à Poitiers « tant que les guerres dureront ». Il s’agissait des nommés Renneteau avocat (peut-être Rayneteau de Fontenay le Comte), Robert Le Normand, colporteur, le sieur Duchaigne, Pierre Gauldin (que l’on apprend plus loin être de Lusignan), le sieur de la Guyardière, un certain fourbisseur qui ne faict que venyr de La Rochelle et le fils de feu Mr de Lezinière.

Enfin toujours en 1588 fut arrêté par la garde de la porte de la Tranchée un certain Denis Helye, mercier, de Chef Boutonne qui a reconnu être protestant.

 

1 - Cette page du rôle de 1552 comporte d’ailleurs d’autres protestants vivant à l’époque dans le même pâté de maisons : Jehan Beaucé, Francoys Pandin, notaire royal et Nicolas I Pelletier (celui qui figure sur la liste est Nicolas II cependant).

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8 mai 2022 7 08 /05 /mai /2022 18:44

 

L’étude des réformés de Poitiers impliqués dans le contrat d’aménagement du temple des 4 piquets (1600) et dans la discipline ecclésiastique (1607) de mon précédent article m’ont mené naturellement vers les acteurs locaux de la réforme des premiers temps.

 

C’est sur ces acteurs que je souhaite plus spécifiquement me pencher maintenant, sachant que ceux identifiés dans une publication précédente ne seront pas directement traités.

 

Les sources consultées ayant trait aux guerres de religion au niveau local sont pour leur écrasante majorité de seconde main et lacunaires, mais certains noms parfois très écorchés reviennent. La confrontation des personnes identifiées dans ces sources avec des manuscrits1 que j’ai parcourus complètent un peu l’éclairage.

 

Après une brève évocation des premiers temps, il me paraît nécessaire de faire un développement sur les différents évènements qui opposèrent catholiques et protestants à Poitiers pendant la seconde moitié du 16ème siècle. Ou plutôt comment la minorité protestante fut rapidement tenue par la majorité catholique.

 

 

1 un rôle d’imposition manuscrit daté de 1552 de la médiathèque de Poitiers que je remercie ma sœur d’avoir patiemment photographié page par page ainsi que les registres de délibérations du corps de ville disponibles en ligne sur le site de la médiathèque (j’ai parcouru surtout la période 1585-1588).

 

Thylacine revisite Sheremetiev

Les acteurs des premiers temps

Du séjour de Calvin à Poitiers en 1534 qu’il aurait d’ailleurs passé chez son compatriote Charles Laplace régent de la faculté de droit, on connaît avant tout les premiers émules, dont certains que j’ai déjà évoqués.

D’abord et assez naturellement, ce fut le monde universitaire avec La Duguie qui fut élu bourgeois au moins à partir 1545 puis échevin, Lavau de Saint Vertunien, Albert Babinot et Charles de Sainte Marthe notamment.

Chez les étudiants et je le cite ici car il fait partie des trois actifs prêcheurs du calvinisme, on trouve Jehan Vernou, écolier, qui était le fils d’Yves Vernou échevin en 1524 et docteur en droit. Ces intellectuels n’étaient-ils pas tous travaillés par les mêmes besoins de changement et stimulés par les mutations engagées par la réforme allemande ?

On doit mentionner également le monde de la justice de ce qui n’était encore que la sénéchaussée de Poitiers et en particulier, Doineau de Sainte Soline, lieutenant général, chez qui Calvin aurait prêché et Philippe Véron, procureur du roi qui partit convertir sous le pseudonyme du « ramasseur ».

Apparu plus tard, Jehan Boiceau, sieur de la Borderie (1513-1591), avocat et poète fut avec la Duguie et quelques autres, un des porte-paroles de la communauté protestante de Poitiers et un des bourgeois de la ville jusqu’en juin 1586, lorsqu’il renonça a sa place en faveur de son neveu Jehan Constant.

Dans le domaine du commerce, les sources retiennent le riche drapier Jehan Beaussé qui rallia la réforme peut-être dès le séjour de Calvin ou un peu plus tard.

En se convertissant, la noblesse poitevine alimenta les rangs des princes protestants et conduisit à l’érection d’églises de fiefs qui furent autant de possibilités d’exercice du culte pour les protestants poitevins, puisque l’érection d'un temple leur fut régulièrement refusée.

Pour le haut Poitou, on compte la famille noble Saint Georges de Vérac très impliquée dans les débuts de la réforme, Gabriel de Saint Georges de Vérac, seigneur de Couhé mais aussi l’abbé Ponthus de Saint Georges, abbé de Valence (86) un de ses frères ainsi que Guichard, abbé commandataire de Bonnevaux, un autre frère. La noblesse protestante put compter également sur la famille Vernon de Montreuil-Bonnin, dont la fille, Arthuse, fut mariée à Louis de Téligny compagnon d’armes de Coligny. Quant aux enfants de ce couple, leur fils Charles (1535-1572) épousa, la fille de l’amiral, Louise de Coligny, tandis que leur fille épousa François de la Noue dit « bras de fer » (1531-1591). Il faut citer également la famille de la Trimouille, titulaires du duché de Thouars et qui possédaient plusieurs seigneuries dans l’actuel département de la Vienne.

On compte enfin la famille Regnier de la Planche dont un ancêtre fut maire de Poitiers et Louis Régnier un capitaine huguenot. Le château de la Planche fut un temps une église de fief.

Voilà pour les protestants de Poitiers et du Haut Poitou dont les noms sont rattachés à la légende ; mais qui sont les autres, moins connus, qui perpétrèrent la communauté dans cette longue période des guerres de religion ?

On en identifie certains à travers notamment la chronique judiciaire et la relation des faits marquants de la capitale provinciale au cours des guerres de religion, à la fois publiquement ou à travers ce que l’on appelait les livres de raison, à l’instar de celui produit par Denis Généroux que j’ai cité dans mon précédent article.

Également, les registres de délibérations de la ville de Poitiers sont des sources dans lesquelles « ceulx de la nouvelle opinion » ou de « la relligion pretendue réfformée » apparaissent souvent soit en tant que groupe à surveiller, ou plus rarement, nommément.

Dans quel contexte et à quels moments les protestants de Poitiers surgissent des documents? C’est par là qu’il faut commencer et examiner la scène de cette chaotique fin de 16ème siècle et les soubresauts qu’a connu la capitale provinciale.

 

Corneliis de Wael (1592-1667) "épisode de lutte religieuse en pays flamand" - Gênes - Museo dell' Academia ligustica di belle Arti

Corneliis de Wael (1592-1667) "épisode de lutte religieuse en pays flamand" - Gênes - Museo dell' Academia ligustica di belle Arti

 

Une ville à majorité catholique tout au long de la période

En constituant à la fois un des épicentres de la diffusion de la réforme et une ville stratégique au cours des guerres de religion, Poitiers et sa région furent bien évidemment très secoués par cette véritable guerre civile.

Toutefois, en tout cas pour Poitiers, il faut distinguer différentes périodes qui permettent d’entre apercevoir comment les protestants locaux ont été impactés.

La première période concerne ceux que j’appellerai les « martyrs » de la cause et que l’on identifie essentiellement par la chronique judiciaire, précisément retracée par Pierre Dez dans son ouvrage «  Histoire des protestants et des églises réformées du Poitou ».

Toujours sur le plan judiciaire et au moment de la première guerre de religion, certains acteurs apparurent dans les suites de l’occupation de Poitiers par les troupes protestantes à partir d’avril jusqu’au 1er août 1562, date de la reprise de la ville par les troupes catholiques du maréchal de Saint André.

Cette reprise de contrôle violente a conduit à l’élaboration d’une liste de cinquante deux personnes considérées comme des meneurs qu’il apparut nécessaire de châtier et que je déclinerai dans une future publication.

Après l’épisode de 1562, Poitiers redevint une ville clairement catholique et sa population protestante est surtout identifiable à partir de ses relations avec le corps de ville et des délibérations de ce dernier, ou bien bien à l’adresse de l’autorité royale ou de Calvin.

L’espoir d’obtenir la permission d’établir un lieu de culte à Poitiers était encore vivace dans les années qui suivirent l’épisode de 1562, en particulier en 15631 soit juste après la reprise de Poitiers et en 15682, mais sans que le pouvoir royal n’accède aux demandes protestantes.

Faute de mieux, le culte était célébré chez des particuliers3 ou bien dans les localités environnantes où il demeurait encore possible. La communauté resta active si l’on en juge par la tenue d’un synode et des demandes formulées auprès de Calvin pour obtenir un pasteur (une lettre de décembre 1561 signée Launay, de Villars, Runegaud, (Michel?) Brochard, Andrieux, Dehores, Bernau, (Albert) Babinot, Fraydier et (Claude) Faure).

 

 

1 Dans une lettre à la Reine de 1563 (AHP tome 27 page 94), De Masparraulte et de Bourneuf qui furent commissionnés pour faire appliquer l’Edit d’Amboise, précisent pour Poitiers que « Nous avons aussi esté fort pressés par ceulx de l'église réformée de Poictiers de leur bailler et assigner lieu pour faire presches et exercices de la religion en la ville et faulbourgs, de quoy nous avons communiqué avec monsieur le conte du Lude, gouverneur pour le Roy en ce pays, suivant ce qu'il nous est mandé par notre commission, lequel seigneur conte a prins résolution avec nous de vous en advertir devant que d'y toucher aucunement et pour cest effect a dépesché ce porteur chargé des raisons d'une part et d'aultre, homme non affectionné ni partial à l'ung parti plus que à l'aultre, sinon au repos et tranquilité publique et fort bon serviteur du Roy, pour sur le tout…. ». Les protestants à l’origine de cette demande ne sont pas connus.

 

2 Cette deuxième demande collective adressée à la Reine d’établir un lieu de culte dans les faubourgs fut portée par le juriste Jehan Boiceau au nom de la communauté de Poitiers. Il avança le chiffre de 7000 à 8000 réformés dans la ville (ce qui semble être excessif pour une ville d’environ 16000 habitants à l’époque) et argua du fait que la seule possibilité était d’entendre le prêche à Lusignan et « que auquel dict lieu de Lusignen seroit du tout impossible aux dicts supplyens (composés d'infinies vieilles personnes décrépies, vallétudinaires, femmes grosses, petits enfans, povres artisans qui n'ont besoin de dépendre) y aller ... »

 

3 En 1562, les chanoines de Saint Hilaire s’étaient plaints de prêches privés chez Beaucé (Jehan), la Pillardière que je pense être la même personne que Claude Faure, sieur de la Pillardière, avocat et Bourgeois de la ville (et non Claude France mentionné dans la liste de 1562 et qui correspond à une mauvaise retranscription à mon avis), Sabourin et Tanguy Persicault, hôte de Saint André.

La Rochelle vue de derrière l'église Saint Sauveur

La Rochelle vue de derrière l'église Saint Sauveur

Toutefois à partir de cette époque, Poitiers devint l’exacte anti-thèse de La Rochelle, où les protestants avaient pris le pouvoir dès janvier 1568.

Les provinces de l’ouest furent affectées par les huit guerres de religion avec une intensité diverse selon les régions. La troisième guerre de religion (1568-1570) fut toutefois particulièrement sanglante pour le Poitou et l’Aunis et ce, au désavantage des troupes protestantes.

En 1569, Poitiers fit face au siège infructueux mené par Coligny qui ne put compter sur les protestants de la ville, ceux-ci ayant été cantonnés au couvent des Cordeliers pendant toute la durée du siège (Pierre Dez). Ceci dit pour les protestants de Poitiers, le catholicisme s’était peut-être définitivement imposé dès 1562 et ce triomphe sur le plan politique et stratégique ne pouvait plus être remis en cause.

Plus généralement, la violence de l’impact de la troisième guerre de religion en Poitou fournit probablement une clé d’explication à deux phénomènes. D’abord, un coup d’arrêt donné à l’expansion de la Réforme voire un reflux régulièrement mentionné par les historiens, sans pour autant qu’il soit un phénomène purement régional1.

Également peut-être mais dans un autre registre, les faibles répercussions de la Saint Barthélémy en 1572 dans les villes de l’Ouest, dont Poitiers. Ainsi et deux mois après la Saint Barthélémy parisienne, Denis Generoux rapporta que le 27 octobre 1572, un total de 6 personnes furent assassinées à Poitiers2, les autres ayant été sauvés par leurs voisins catholiques, dont Jehan Allonneau, procureur.

Même si l’épisode dut être terrorisant, les violences de la période 1568-1570 et le triomphe des factions catholiques ne rendirent probablement plus nécessaire, l’idée de l’anéantissement des protestants. La ville était tenue par les catholiques et cela était suffisant.

La Saint Barthélémy fut moins meurtrière qu’ailleurs mais la pression sur la minorité ne se démentit pas dans les quinze années qui suivirent, en écho aux décisions royales, aux tractations et conflits entre les deux camps.

La minorité protestante de Poitiers semble alors été vécue par le corps de ville comme un danger de l’intérieur potentiellement susceptible d’aider « les ennemis du roi ». C’est un groupe à surveiller et à contenir dont on mettra ponctuellement les membres soit à l’amende ou en prison, mais sans que l’on atteigne semble-t-il le registre des débordements incontrôlés de la Saint Barthélémy.

Éviter le scandale d’abord, c’est ce que le corps de ville souhaite lorsqu’il demande à Antoine de La Duguie et Jehan Boiceau, le 15 juillet 1576 de faire cesser les prêches privés chez Pierre Clabat, le sieur de la Routte, tant que le Comte de Lude n’est pas de retour dans la ville (voir registre des délibérations n°42 vue 252).

Plus tard, en 1582, il fut exigé un certificat de catholicité pour devenir apothicaire à Poitiers.

Quelles fut l’attitude des protestants face à ces pressions sur l’ensemble de la période ?

Probablement que certains se convertirent tandis que d’autres courbèrent l’échine le temps que la tempête passe. Il est aussi avéré que les plus nantis d’entre eux se réfugièrent temporairement ou définitivement dans leurs campagnes ou bien sous des cieux plus cléments, La Rochelle n’étant pas loin. Ainsi en 1595, le fils de Pierre Chesnais dit Martin, un banquier ayant été sur la liste des proscrits de 1562, tenta de racheter la maison de son père que ce dernier avait vendue pour se retirer à la Rochelle. En vain.

Il en résulta aussi des scissions confessionnelles au sein des familles, entre générations et fratries.

 

1 Pour Paris et certaines grandes villes du Royaume, ce sont les conséquences de la Saint Barthélémy et des massacres (en août 1572 donc plus tard) qui entraînèrent un mouvement de conversions et de baptêmes des populations protestantes, qui furent apparemment irréversibles.

2 Nommément, les procureurs Briand et Beceleuf, la Royère (Guillon de la Royère?), Besse, le sergent Ayrault, concierge et l’hoste de Saint-André, ce dernier que j’ai identifié comme étant Tanguy Persicault.

"pour faire visitation des maisons des prétendus" - Registre des délibérations 1585 - n°45

"pour faire visitation des maisons des prétendus" - Registre des délibérations 1585 - n°45

Des mesures de contrôle sur la minorité

A la suite de l’édit de Nemours (7 juillet 1585) qui révoqua tous les Édits précédents en interdisant la religion protestante sous peine d’abjuration ou d’exil, des mesures furent prises pour parer à la défense de la ville et surveiller les protestants, suspects de collusion avec l’ennemi (voir registre des délibérations n°45).

Vraisemblablement classique à l’encontre de la minorité suspecte, cet ensemble de mesures vaut la peine d’être décrit car il montre comment les protestants pouvaient être envisagés, même si je sens combien la complexité des relations entre les deux communautés, quoique palpable, demeure insaisissable.

Ainsi, par lettre du 7 juillet 1585 retranscrite dans le registre, le roi avertit d’abord le corps de ville qu’il y a fort à craindre que l’armée huguenote tente de « surprandre noz villes » dans les suites de l’Édit. Henri III précise qu’il a demandé au gouverneur Boysseguin de prendre garde diligemment aux actions que pourraient entreprendre « ceulx de la relligion de ma ville de Poitiers» et attend de celle-ci qu’elle l’aide dans sa tâche.

Prise de corps fut ordonnée concernant Pierre André le jeune (était-ce le fils du chirurgien rédacteur d’un ouvrage sur le traitement de la peste et affecté à l’hôpital des pestiférés?) et « les enfants des ballances d’or1 » qui doivent être faits prisonniers comme séditieux.

Il fut décidé par le gouverneur Boisseguyn assisté du maire François Pallustre de mettre la ville en état de guerre, dans les jours qui suivirent. Il fut d’abord rappelé « à son de trompe et de huche » l’organisation, les règles et le déroulement des gardes de nuit, faites par les compagnies placées sous les ordres des 6 capitaines2. Un contrôle fut mis en place afin d’identifier les défaillants, soumis à l’amende, à défaut de raison valable. Le couvre-feu fut instauré et il fut exigé que les étrangers séjournant dans les hôtels et auberges soient répertoriés, sous peine de châtiment corporel pour les tenanciers des établissements.

Le 27 juillet 1585 et sur ordre du roi, Boisseguyn commande (pour la seconde fois apparemment) que les capitaines de quartier visitent les maisons de ceux de la prétendue religion pour se saisir de leurs armes. « L’edict de paix » comme il est paradoxalement évoqué par Henri III dans sa lettre n’est alors pas encore imprimé ni validé par le Parlement (et donc non encore légalement applicable) mais le roi est conscient que le parti huguenot va reprendre les armes et qu’il est « certain que ceulx de la relligion prétendue réfformée qui sont en icelle (ville) tascheront tousjours a la faveur de plusieurs de leur faction qui ne manqueront a leur prester l’espaule de se rendre les plus fortz en ma ville ».

En août 1585, le corps de ville est d’avis que l’exclusion des protestants des rondes de nuit par mesure de sûreté, exige des mesures de compensation car ils ne peuvent « avoir meilleure condition que les catholiques qui y sont contraints ». Il est décidé que chacun d’eux fournira un soldat catholique à « leurs fraiz et deppens » . Cette décision fut renouvelée à plusieurs reprises (en octobre 1585, en janvier 1586 puis a nouveau en 1587 et 1588), preuve peut-être que la décision peinait à être appliquée.

Les premières mesures de désarmement ne suffirent pas pas au yeux du roi qui enjoignit Boisseguyn à faire procéder à une nouvelle visite chez les partisans de la « nouvelle opinion », car il aurait été averti d’une entreprise qui se prépare. Le 17 aout 1585, il fut d’abord résolu que ceux de la nouvelle opinion ayant quitté la ville pour rejoindre les troupes protestantes seraient faits prisonniers à leur retour « et punis comme il sera advisé ». Le lendemain, il fut décidé de faire « exacte perquisition es logis et maisons de ceulx de la nouvelle opinion par les capittaines de ceste ville chacun en son cartier ce jourhuy et heure d’une heure de rellevée pour iceulx desarmer et les admonester de se comporter paisiblement et nattenter aulcune chose contre le service et autorité du Roy sous paine de la vie ».

La surveillance des réformés, alliés potentiels des ennemis du roi est une constante qui ressurgit en période de crise. Ainsi après la victoire surprise des troupes protestantes à Coutras, le maire Jacques Clabat fait décider par le conseil en novembre 1587 que pour éviter que les personnes ayant appartenu à la prétendue religion (tous étaient sensés être catholiques à la suite de l’Edit de Nemours) communiquent aux ennemis de sa Majesté, ils devront obtenir au préalable un passeport pour sortir de la ville et seront fouillés à leur retour. Dans le même temps, les étrangers protestants réfugiés dans la ville depuis quelques temps devront en être « chassés incontinent pour obvier à tout inconvénient ».


 

1 Dénomination qui revient plus loin associé au nom de famille Pindray et que je suppose pouvoir attribuer aux enfants du propriétaire de la maison où pend l’enseigne des balances d’or (sise paroisse de la Celle dans la rue éponyme). De fait, un certain Bastien Pindray, verrier est mentionné dans le rôle de 1552 dans cette paroisse.

 

2 Les six quartiers étaient Notre dame la Grande, la Celle, le Marché vieil, le Pilori, Saint Pierre et Saint Hilaire, les deux derniers étant dirigés par des capitaines ecclésiastiques. Chaque foyer devait en théorie un homme qui devait participer avec ses propres armes mais la pratique montrait un manque d’assiduité régulièrement déploré par le corps de ville et puni par d'amendes. Les protestants étaient (en principe) exclus en contrepartie d’une indemnisation pécuniaire, principe qui donna lieu à de long débats au sein du corps de ville. Toute amende et indemnisation était directement destinée à la défense de la ville (fortifications équipement en poudre etc).

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8 mai 2022 7 08 /05 /mai /2022 16:58

 

Et voici la suite de mon article précédent. J'espère que vous n'avez pas perdu le fil. En route sur le transsibérien de l'histoire, direction Poitiers à la fin du 16ème siècle, où comment la minorité protestante a affronté l'adversité.

Thylacine revisite un chant traditionnel tatar

Surveiller et sévir sans échauffer les esprits

Comme souvent dans telles périodes, l’agitation dut occuper tous les esprits et alimenter la rumeur et la vindicte. Toutefois si je me réfère à cette année 1585 en tout point sensible sur cette question, il apparaît que le corps de ville sanctionna avec mesure, au moins pour ses propres administrés.

Cela se manifeste notamment le 27 août 1585, quand il est rapporté au Conseil que « les nommés les Pindray aultrement (dits) les enffants des balances d’or, de la relligion pretendue refformee » (alors vraisemblablement libérés de prison) ont dans une maison leur appartenant au faubourg de Montbernage devant le cimetière de Sainte Radegonde des armes offensives et défensives et qu’ils causent le trouble dans le quartier empêchant d’enterrer les morts catholiques.

Le maire se rend sur les lieux le lendemain avec les capitaines Berthonneau et Morin ainsi quelques soldats et recueille les témoignages de voisins qui confirment que les Pindray sont bien protestants et qu’ils sont sortis avec des armes au moment du passage du cortège funéraire d’une pauvre femme. Les témoins précisent également que les porteurs du corps, effrayés par cette rencontre probablement fortuite se sont enfuis, laissant le corps « a la mercy des chiens et aultres bestes ».

La porte du logis forcée, il y est trouvé une arquebuse chargée, un épieu, un javelot ou un dard et trois épées dont une siglée aux armes du sieur de la Roche de Poussay (de la Roche Posay?). Assignés à comparaître au Conseil, l’un des frères Pindray et leur mère confirment être protestants mais nient avoir voulu fait « aulcun outraige a aulcuns de leurs voisins ou aultre et navoyr empesche la sepulture des mortz ». Il demandent la restitution de leurs armes ce qui leur est refusé.

Les faits durent s’avérer vraiment négligeables puisque le maire leur interdisit de porter des armes de jour comme de nuit et les enjoignit «de se comporter paisiblement selon les ordonnances R(o)y(all)es pollitiques a paine de la hard (la pendaison)».

D’autres exemples transparaissent dans le registre de délibérations de 1585. Ainsi, le maire est averti que le marchand Picot aurait fait faire des enseignes pour gens de pied ne comportant pas de croix laissant présumer « que cest pour ceulx de la prétendue relligion » (13 octobre 1585). Ou encore le 15 octobre, date à laquelle la garde de la porte de Rochereuil saisit un corps de cuirasse et un casque sortant de la ville sans passeport1 qu’il fut dit appartenir à un des fils2 de feu le médecin Pidoux, qui « de tout temps porte les armes pour la prétendue religion ».

Celui qui en réclame restitution, Olivier Gouyn, est « soy-disant archier de la compaignie du viconte de Villeclair (?) » sans apparemment emporter la conviction du gouverneur. Le 28 octobre 1585, le maire est avertit d’une affaire similaire. A la porte de la Tranchée est saisi un poyctrinaz (un long fusil dont on appuyait la crosse sur la poitrine pour tirer, d’où son nom) « que le nommé Phelippes Regnard de la pretendue religion réformée pretendoit faire sortyr de ladite ville ».

 

1 Un passeport était devenu nécessaire pour les personnes suspectes sortant de la ville ainsi que pour l’armement.

2 II s’agit probablement de Pierre Pidoux, sieur de Nesdes, capitaine huguenot.

Tribu des Asaro "Mudmen" en Papouasie Nouvelle Guinée - Ces hommes parés m'évoquent une chasse aux démons - photo tirée du blog Oeil pour Oeil (http://indexgrafik.fr/asaro-mudmen-nouvelle-guinee/)

Tribu des Asaro "Mudmen" en Papouasie Nouvelle Guinée - Ces hommes parés m'évoquent une chasse aux démons - photo tirée du blog Oeil pour Oeil (http://indexgrafik.fr/asaro-mudmen-nouvelle-guinee/)

Réunir les sujets dans la religion catholique

Avec l’interdiction de la religion protestante, lentrée en vigueur de l’Édit imposa la conversion. Le 26 octobre 1585, « la réunion de tous les sujets à la religion catholique apostolique et romaine » devenait une réalité à Poitiers avec la lecture de l’Édit au Présidial, son enregistrement, publication et annonce publique par huche et trompette « afin que nul ne puisse prétendre l’ignorer ».

Peu de temps après, un échevin du nom de Georges Baron proposa que l’évêque soit sollicité pour recruter des personnages doctes à même de prêcher et d’admonester le peuple de cette ville et lutter ainsi contre « les hérétiques qui pullulent de jour à aultre dans cette ville ». Il convenait donc de faire revenir les protestants dans le droit chemin.

Les protestants furent enjoints à faire leur profession de foi catholique mais pas toujours avec succès.

Au conseil du 31 janvier 1586 dans une ambiance de rumeurs de tentative d’attaque de la ville, il est rappelé que les personnes protestantes depuis peu dans la ville qui n’ont pas fait leur profession de foi dans les 24 heures seront expulsés.

l’ordre est rappelé en février 1586 à tous ceux qui depuis un an ont été de la nouvelle opinion tant maîtres que serviteurs. Ils devront apporter lundi prochain à une heure de l’après midi leur profession de foi faite par-devant l’évêque, au logis du gouverneur.

Au début du mois de mars 1586, le conseil précise que contre tous ceux qui n’ont pas fait leur profession de foi, il sera procédé selon l’édit de sa Majesté.

On ne sait s’il y eut un afflux de protestants poitevins qui firent leur profession de foi. Par exemple, en 1587 et à propos de la taxation pour l’exemption des tours de garde, le maire évoque la contribution nécessaire des « ci-devant de la prétendue religion ». Officiellement donc et bien qu’ils sont toujours l’objet de méfiance, ils sont alors considérés comme des nouveaux catholiques, sans que l’on sache à quel point la mesure a été effective.

Ces mesures ont dû être au moins partiellement appliquées car en novembre 1587, le conseil évoqua le cas de Guy Denis procureur, qui avait été expulsé de Poitiers pour ne pas s’être conformé à l’Édit et qui serait, depuis lors, revenu s’y cacher. Le conseil décida de le faire rechercher et « si possible de lappréhender et se saisyr de sa personne ».

Le flou demeure dans certains cas si l’on songe qu’en décembre 1587, l’apothicaire Simon Demayré fut mis à l’amende de 50 écus affectés au financement des fortifications pour atteinte au règlement des pestiférés par le maire Jehan Pallustre. Ce dernier, en mélangeant allègrement divers considérations, justifie cette amende pour faire un exemple à l’égard de tous « les réffractaires aux mandements dudict sieur maire » ajoutant « joinct que ledit Demayré est fort soupsonné pour avoyr toujjours este de la pretendue relligion ».

Demayré s’était-il plié à la profession de foi ? Possiblement mais pour le maire, il serait demeuré protestant et le magistrat en fait en quelque sorte la circonstance aggravante d’une infraction qui n’a rien à voir avec ce qu’il lui est reproché.

Un contre exemple toutefois est celui de Jehan Boiceau, ancien protestant notoire, qui signala au cours d’un des conseils dédié à cette question, qu’il devait être exempté car il se pliait à la tâche d’effectuer les gardes. La conversion semble dans ce cas de notoriété publique et non contredite par des sopupçons.

Si l’on ne trouve finalement aucun document sur la conversion des protestants de Poitiers à l’époque, on note en revanche qu’ils firent baptiser en général leur enfants, soit pour donner des gages face à la pression ou bien tout simplement parce qu’ils avaient renoncé à la religion protestante, peut-être même parfois bien avant l’édit de 1585.

Ainsi, Antoine et Jehan Liège, membres du consistoire respectivement en 1600 et 1607 firent baptiser leurs enfants dès 1586 pour le premier (son épouse Radegonde Garnier étant clairement de parents protestants) et une fille pour le second en 1589.

De même, Tanguy Persicault fils, hôte du cheval blanc dont le père a été assassiné en 1572 fit baptiser son fils Daniel qu’il a eut avec Madeleine Alexandre, en la paroisse de Saint Porchaire le 31 décembre 1574. L’enfant eut pour parrains Jehan Alexandre (grand-père de l’enfant?), probablement le receveur de la taille qui sera plus tard membre du consistoire en 1600 en qualité de contrôleur général des finances. Son autre parrain est Jehan Vidard, procureur et il eut pour marraine Jehanne Desmier la femme du maire d’alors (Pierre Courtinier).

Également, l'apothicaire Paul Contant et son épouse Esther Pelletier font baptiser leur fils Étienne à la paroisse de Saint Didier le 27 février 1591.

Si lassassinat du Duc de Guise en juillet 1588 fit passer résolument la ville de Poitiers dans le camp de la ligue, il ne s’ensuivit pas apparemment une répression massive sur le plan local. Les protestants poitevins en vue se retirèrent prudemment sur leur terres sans que la haine contre Henri III et son successeur désigné Henri IV, n’aille plus loin.

 

Autodafé - gravure anonyme du XVIIIème siècle

Autodafé - gravure anonyme du XVIIIème siècle

Brûler des livres hérétiques dans l’espace public

Une des manifestations de la prééminence catholique dans l’espace public de la ville s’exprima par des autodafés de livres hérétiques. Ainsi en 1577, le séjour du roi à Poitiers fut l’occasion de brûler des livres hérétiques dans la cour du couvent des cordeliers.

En janvier 1588, alors que les craintes de l’ennemi de l’intérieur sont à nouveau à leur comble, il est ordonné aux capitaines de quartier une « generalle visitation » chez les personnes soupçonnées d’appartenir à la religion protestante, même s’ils ont fait leur profession de foi. L’objectif est de vérifier s’ils hébergent des ennemis et de saisir toute arme qui se trouveraient dans leur logis.

François Pallustre, l’un des capitaines de quartier s’est apparemment très consciencieusement acquitté de sa tâche puisque le lendemain, il expose avoir trouvé des armes chez François Massot, écrivain, ainsi que des « livres censurés et aultres libelles diffamatoires contre l’honneur de Dieu, de son église et du roy ». Il annonce également avoir trouvé presque deux plein sacs de livre réprouvés chez Audet, libraire ainsi que 4 ou 5 livres chez les frères Barrillet, également libraires. Les armes sont saisies et vendues tandis qu’il est ordonné que les livres soient examinés par l’évêque ou tout docteur en théologie dont il souhaitera se faire assister pour vérifier le caractère attentatoire à la religion catholique. Les livres sont jugés hérétiques et le conseil décide de les faire brûler sur la place de Notre Dame la grande pour faire un exemple. Quant à leurs propriétaires, les libraires furent mis à l’amende (10 écus pour ledit Audet et deux écus pour les frères Barillet) tandis que Massot écopa de 50 écus d’amende et d’une peine d’expulsion de la ville pour 5 ans.

François Massot fit cependant appel de cette décision en raison du fait qu’une peine de bannissement notamment ne pouvait être prononcée que par le Parlement de Paris. Le conseil dut revenir sur la décision du maire.

Un corps de ville à l’image de la foi dominante

Le corps de ville a été sur l’ensemble de la période à majorité catholique et ce même aux premiers temps. Cette tendance s’est naturellement renforcée sur la période de la dernière guerre de religion (1585-1598) qui connu un fort écrémage. On compte alors de manière avérée un représentant en tant que bourgeois en la personne de Jehan Alexandre, receveur des tailles puis contrôleur général des finances en Poitou qui fut choisi en avril 1586.

Toutefois, il est étonnant de constater que sur l’ensemble de la période, certains bourgeois ou échevins protestants ou bien apparentés ont continué à siéger, y compris pendant les périodes les plus délicates.

Bien que ce soit évidemment difficile de déterminer avec certitude un phénomène nécessairement confidentiel, il est possible de suivre quelques noms au sein du Mois et Cent.

En 1562 lors de l’occupation de la ville par les protestants emmenés par le seigneur de Saint Gemme Lancelot du Bouchet qui tenta en vain de s’imposer comme Gouverneur sur commission du prince de Condé, les partisans de celui-ci au sein du corps de ville comptent un échevin et douze bourgeois1. Ce soutien vaudra pour certains d’entre eux de figurer sur la fameuse liste de 1562, établie après la reprise de la ville par les catholiques.

Protestants mais aussi membres du corps de ville, nombre d’entre eux jouèrent probablement un rôle de médiateurs pour éviter que les débordements ne tournent à la franche insurrection. Il est noté d’ailleurs dans un autre registre que le conseiller général des finances du roi, Charles Chevallier sieur des Prunes quoique protestant convaincu, eut à cœur avec son subordonné le receveur général des tailles, Pineau, de préserver le produit de l’impôt, malgré les demandes insistantes de Bouchet.

C’est peut-être une des raisons pour lesquelles on retrouve encore huit personnes dans le corps de ville en 1571, dont certaines qui figuraient sur la liste de 1562 (Pierre Clabat, Claude Faure et Jehan Beaucé notamment). Je note aussi l’entrée dans le corps de ville de la famille Morrault de la Vacherie dont un des membres, Jehan, fut mentionné en 1562.

En octobre 1572 et probablement en lien avec la Saint Barthélémy, Pierre Clabat se désiste auprès du corps de ville depuis son fief de la Routte où il s’est prudemment retiré.

Dans les années qui suivent, on ne retrouve plus guère comme têtes d’affiche qu’Antoine de la Duguie, et Jehan Boiceau, l’un comme échevin et l’autre comme bourgeois. Leur maintien sans discontinuer au sein du corps de ville (de La Duguie fit montre d’une remarquable assiduité) tiennent peut-être à un rôle d’intermédiation commode avec la minorité et à un civisme jugé peut-être sans faille.

Il est possible de toute façon qu’un certain équilibre a existé au sein du Conseil de ville entre les factions catholiques rivales politiquement, la religion n’étant plus un enjeu. Ainsi et à partir du triomphe des ultras de la Ligue à Poitiers en 1588, les grandes familles se neutralisèrent probablement entre catholiques ultras et catholiques modérés.

Même avec l’avènement d’Henri IV, la situation au sein du corps de ville ne changea pas. Poitiers demeura catholique.


 

1 Antoine de la Duguye échevin et pour les bourgeois, Philbert Porcheron, François Poupet, François Crouzilles, Jacques Herbert qui devint maire puis fut pendu, peut-être comme victime expiatoire, Pierre Clabat sieur de la Routte, Claude Faure, sieur de la Pillardière, Jehan Beaussé, Jehan Boiceau et très certainement apparentés à des protestants voire protestants eux-mêmes, Philippe Le Sueur (Christophe Lesueur), René Brochard (Michel Brochard son frère), Charles Guillon (Guillon de la Royère) et François Pidoux (Pierre Pidoux) ainsi que la famille Sainte-Marthe.

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15 janvier 2022 6 15 /01 /janvier /2022 20:03

Bachar Mar Khalifé - Kyrie Elison

 

 

Il y a quelques années, dans le cadre de recherches menées sur la communauté réformée de Poitiers au 17ème siècle, j’avais relevé très rapidement des noms de famille, tirés de deux documents que sont le contrat de l’aménagement du temple des 4 piquets d’une part (contrat du 7 mai 1600 passé entre un certain Cassier, maître maçon et ce que je suppose être les membres du consistoire (Chesneau notaire)) et d’autre part, la discipline ecclésiastique du 17 juin 1607 adoptée par le consistoire d'alors (Manuscrit de la médiathèque de Poitiers conservée sous la côte ms 296(72) folio 35). 

 

J’ai récemment réexaminé ces deux documents à des fins généalogiques pour tenter d’avoir un aperçu sur la part prise par un de mes  ancêtres dans ces deux affaires.

 

Poussé par la curiosité et le goût de l’enquête, il m’est apparu intéressant d’aller au-delà et de tenter d’identifier tous les acteurs, en général uniquement à partir de leurs signatures, étant donné que seul le contrat de travaux fait état des noms et qualités des signataires, et encore est-ce partiellement puisque les personnes énumérées ne signent pas toutes tandis que d’autres qui ne sont pas citées nommément dans le contrat, signent.

 

En effet, sept années seulement séparent les deux actes mais ils permettent d’avoir une photographie de la communauté protestante de Poitiers (au moins de ses notables), dans une période où celle-ci put gagner en visibilité à la faveur de l’Edit de Nantes.

 

J’ai été encore au-delà (mais n’est-ce pas le propre de ce type de recherche?), d’abord parce que certains noms de familles m’ont conduit dans le Poitiers protestant de la seconde moitié du 16ème siècle, mais aussi très probablement stimulé par la captivante lecture de l’enquête précise et incarnée de Jérémie Foa dans son ouvrage « Tous ceux qui tombent, visages du massacre de la Saint Barthélémy ». 

 

Avant de vous livrer les résultats de ce travail que je proposerai en deux volets, quelques mots sur les ressources utilisées. D’abord, il s’agit des deux premiers documents précités (quoique s’agissant de la discipline ecclésiastique, je me suis concentré uniquement sur la liste des signataires) ainsi que des actes notariés consultés en ligne sur le site des Archives du Poitou ou en salle de lecture. J’ai également consulté des relevés d’actes en ligne sur généanet ainsi que le très utile inventaire des noms contenus dans les actes des registres paroissiaux de Poitiers qui facilite grandement l’accès aux actes, uniquement catholiques car les actes des protestants de Poitiers n’existent plus, qu’ils aient été détruits ou bien qu’ils soient noyés dans un coin d’archives comme je me prends à le rêver parfois. Je signale toutefois que j’ai développé les détails familiaux concernant les protagonistes dans une page à part du blog.

 

Dernière précision, les noms tirés des évènements ayant eu lieu à Poitiers lors des guerres de religion le sont tous à partir de sources de seconde voire de troisième main. J’aimerais pouvoir m’écorcher les yeux sur des documents d’archive de première main mais je n’en ai hélas pas toujours le temps ni d’ailleurs parfois une compétence suffisante en matière de paléographie.

 

Contrat de travaux entre l'église réformée de Poitiers et Léonard Cassier de mai 1600

Contrat de travaux entre l'église réformée de Poitiers et Léonard Cassier de mai 1600

Marché du 7 mai 1600 entre « ceulx de la religion reformee » et « Cassier »

 

"Ont été présents en leurs personnes établis Messires Francoys de Saint Vertunien, docteur régent de l’universite en la faculté de médecine, Antoyne De la Duguie, docteur régent en droitz en l’université de cette ville, M Jacques Esnaut sieur des Cloistres, Noble M Jehan Alexandre, sieur de Chauroux conseiller du roy et controlleur général à ses finances, honorable messire Ysaac Demonnevy sieur des bards Conseiller du roy en la juridiction de cette ville, Mr Jehan Durand, recepteur des tailles, honorable M Ysaac Véron, sieur de la brossardière, M Daniel Leaud, sieur de Cougnac, greffier du présidial M Francoys Burcerot, Messires Antoyne et Jehan Liège procureurs, M Jehan Delugré, M Pierre Guyard, greffier au bureau des finances, Pierre Demayré, maitre chirurgien, honnestes messires Jehan Delacourt et Pierre Herbault, marchands, syre Jehan Delaleu, maitre tailleur d’habitz de cette ville, d’une part et ledit Léonard Cassier, masson en ceste ville … d’autre part Entre lesquelles a este fait le marché qui sensuyt …. De grossoyer de chaux et sable blanc le pignon du temple « naguère fait et construit par yceulx de la religion refformee dans le faubourg de la Cueille mirebalaise de cette ville ». Outre les précédents, l’acte permet d’identifier d’autres noms de famille par leur signatures : Bobinet, Delaporte, Bobinot, D Pain, I Payn, E? Babault."

Manuscrit de la médiathèque de Poitiers du 17 juin 1607 conservée sous la côte ms 296(72) folio 35 - signatures

Manuscrit de la médiathèque de Poitiers du 17 juin 1607 conservée sous la côte ms 296(72) folio 35 - signatures

Le 17 juin 1607 ceste discipline a été signée par les pasteur et Anciens de l’église de poitiers, au consistoire assemblé en Béthel (signé par )
J Clemenceau pasteur, Bardonyn Ancien, Léaud, J Delaleu, Bobin, Allonneau, I Véron, Liège (Jehan), Esnaud, Guyard, P Demayré, Le Coq, Besly, M Rouhault, A Malleray, Hourdau ou Lourdau ?, Jacques Robin Jaques Cottiby, Manceau, Parent, Pain, A Pioger, Viollette, Delacourt, Simonnet

Observations préalables sur les deux manuscrits

 

Le contrat de travaux s’inscrit dans un contexte nouveau qui est celui de l’accession au pouvoir d’Henri IV et de l’Edit de Nantes de 1598 et répond à une finalité pratique de dresser l’église non plus seulement spirituellement mais enfin physiquement dans l’espace public.

 

De manière différente, l’adoption de la discipline ecclésiastique sept ans plus tard répond à un besoin interne à l’église poitevine. Il me semble que ces différences de contexte sont des éléments à prendre en compte, pour resituer les acteurs mentionnés et ou signataires, qui intervinrent parfois dans les deux actes d’ailleurs.


Le contrat d’aménagement du temple et ses acteurs


Les travaux du temple font suite à l’invitation faite aux échevins par le Gouverneur Parabère et par le conseiller Langlois dès aout 1599 à désigner « un lieu pour l’établissement du prêche selon l’édit du roi »1. Au terme de tractations entre le corps de ville et les trois émissaires de la communauté protestante poitevine2, l’assemblée accepte contrainte et forcée que le temple soit établi dans « un lieu commode vers la porte et pont Saint Ladre et non en autre endroit pour mettre et établir ledit temple ». Ce sera le temple établi au lieu-dit « les quatre piquets » qui sera détruit à la révocation de l’édit de Nantes.

 

Ainsi, cette demande mainte fois formulée sans succès dès les années 1560 par la communauté réformée de Poitiers put enfin être satisfaite. Désormais, non seulement les protestants de Poitiers n’étaient plus contraints au secret ou à avoir à se rendre à Châtellerault ou à Lusignan pour le culte mais ils obtenaient un statut visible dans l’espace public.

 

Il est donc probable que plus qu’un contrat de travaux, il s’agisse d’un acte de représentation de la communauté pour elle-même mais aussidans une certaine mesure pour l’extérieur bien que ce soit un acte purement privé.

 

L’énoncé des noms et qualités des membres de l’église suit d’abord un certain ordre qui reflète probablement la stratification sociale des membres, par ailleurs tous notables éminents de la communauté.

 

L’acte commence ainsi par les deux régents d’université, Francoys de Saint Vertunien, docteur régent de la faculté de médecine et Antoyne de la Duguie, docteur régent en droit qui apparaissent ici un peu comme les deux parrains prestigieux d’un acte fondateur de l’église de Poitiers. Ils étaient d’abord les fils de deux disciples de Calvin lorsqu’il vint en 1534 à Poitiers. Également en leur qualité de docteurs régents d’une université importante du royaume, c’est le prestige du savoir qui est mis à l’honneur.

 

Vient ensuite, Jacques Esnaud qui s’insère apparemment inexplicablement en troisième place mais j’y reviendrai. Puis, ce sont les officiers de finance et de justice du roi qui sont cités, en tête le par ailleurs noble Jehan Alexandre, sieur de Chauroux conseiller du roi et contrôleur général à ses finances, puis l’honorable Ysaac Demonnevy sieur des bards conseiller du roi en la juridiction de cette ville et Mr Jehan Durand, percepteur des tailles.

 

Leur succède le personnel de justice de Poitiers. Tout d’abord, Isaac Véron, sieur de la Brossardière dont le métier n’est pas évoqué mais qui était procureur au Présidial puis, à sa suite, Daniel Leaud, sieur de Cougnac, greffier du présidial, Francoys Burcerot, Antoyne et Jehan Liège procureurs au présidial, M Jehan Delugré, M. Pierre Guyard, greffier au bureau des finances. J'ai identifié également François Burcerot qui était receveur du taillon à Poitiers en 1597 donc relevant aussi de l'administration des finances. Je dois néanmoins admettre que dans la liste qui précède, je n’ai pu identifier Jehan Delugré mais son ascendance est établie en la personne de son père, Etienne Delugré, marchand libraire et protestant de la première heure.

 

Enfin, sont cités d’abord les profession libérales avec un maître chirurgien en la personne de Pierre Demayré, le monde du commerce avec Jehan Delacourt et Pierre Herbault, marchands, puis le seul artisan, Jehan Delaleu qui est maître tailleur d’habits.

 

Si Jacques Esnaud, sieur des Cloistres apparaît en troisième position alors même qu’il n’a pas un pedigree prestigieux, c’est je crois pour des raisons pratiques tenant à son rôle dans cette opération. C’est lui qui régla les différentes traites et qui devait être en conséquence le trésorier de la communauté protestante de Poitiers.

 

Cette première liste est en quelque sorte comme une photographie de la bourgeoisie poitevine de l’époque dans son versant protestant. Une représentation en miniature dans laquelle le monde de l’administration provinciale et les juristes prédominent sur le monde de la boutique.

 

Pour ce qui est de l’examen des signatures des personnes qui signèrent sans être nommément citées, il y a d’abord celle de celui que je crois être Jehan Bobinet. Originaire de Châtellerault, il avait épousé Madeleine Gaillaudon fille de François Gaillaudon et repris l’office de tailleur de la monnaie en 1598 en succession de son beau-père.

 

J’ai identifié également derrière la signature de Delaporte, Etienne Delaporte, greffier au bureau des finances, l’aïeul possible d’Isaac Delaporte, greffier au présidial de Poitiers. Également un certain J. Babinot signe, qui pourrait avoir un lien de parenté avec Albert Babinot (ca 1516-ca 1569).

 

Le marchand Daniel Pain signa également ce contrat ainsi que la discipline écclésiatique, en tant qu’ancien du consistoire. J’ai identifié également son frère Isaac qui signe « Payn », procureur au présidial. Tous deux étaient fils d’Hélie Pain marchand chaussetier à Poitiers et de Françoise Véron. Enfin, je n’ai pu identifier qui se dissimulait derrière la signature de Babault.

 

 

1 Voir pour les développements qui suivent « Poitiers à l’âge baroque 1594-1652 » de Jean Pierre Andrault publication (S.A.O), p. 364.

2 Isaac Véron et Antoine Liège que nous retrouverons plus loin ainsi que Guillon de la Royère

Page de garde de l'ouvrage de Jean Aymon paru en 1710

Page de garde de l'ouvrage de Jean Aymon paru en 1710

L’acte fixant la discipline ecclésiastique en 1607


Au moment de son adoption en juin 1607, il s’agit de mettre à jour les règles régissant le culte et plus largement la communauté1 des fidèles, sur le modèle de la discipline ecclésiastique mise au point dès les premiers temps de l’église calviniste et régulièrement mise à jour, à l’occasion des synodes nationaux. La discipline et ses déclinaisons locales constituaient un moyen à la fois de fixer la structure des églises, d’administrer les sacrements et de poser les règles de conduite de la communauté. Élément unificateur du calvinisme, la discipline est un outil visant autant à assurer l’union des Églises (chapitre article 5).

 

Dans ce dispositif et aux côtés du pasteur, le consistoire et par extension les membres qui le composaient jouait un rôle central dans l’adoption et la mise à jour de la discipline de l’église locale mais aussi dans le contrôle de sa bonne application.

 

Au sein des consistoires, les anciens ont ainsi la charge « de veiller sur le troupeau, avec les pasteurs, faire que le peuple s’assemble, & que chacun se trouve aux sainctes congregations ; faire rapport des scandales & des fautes, en connoistre & juger avec les pasteurs ; & en general avoir soin avec eux de toutes choses semblables qui concernent l’ordre, l’entretien & gouvernement de l’Eglise […] . »

 

Le consistoire me semble donc être avant tout le reflet de la vision que l’église de Poitiers a d’elle-même à un moment donné, marquant ainsi inévitablement les acteurs signataires de la discipline de 1607.

 

Pour les personnes que j’ai pu identifier, la composition sociale du consistoire de 1607 s’inscrit dans les prolongements de l’acte de réfection du temple.

 

Aux côtés de Jacques Clémenceau, pasteur, un certain nombre de personnes déjà identifiées comme signataires de l’acte de 1600 signent à nouveau. Il en va ainsi de (Daniel) Léaud, (Jehan) Delaleu, (Isaac) Véron, (Jehan) Liège, (Jacques) Esnault, (Pierre) Guyard, (Daniel) Pain, (Pierre) Demayré et (Jehan) Delacourt.

 


Parmi les autres membres du consistoire signataires, j’identifie également (Philippe) Bobin, marchand pintier et (Pascal) Lecoq, seul représentant de l’université en sa qualité de médecin, il était le gendre de François de Saint Vertunien. Également de manière certaine, (Michel) Rouault, avocat au siège présidial et les procureurs (Jehan) Manceau, (Joseph) Parent et (Jehan) Allonneau, ce dernier dont la famille était originaire de Parthenay. Originaires du Bas-Poitou, je trouve (André) Malleray (également avocat) et Pierre Besly, procureur et Jaques Cottiby, originaire de La Rochelle, possiblement un autre Jacques, fils de Jacques Cottiby, marchand de canon mais qui ne semble pas devoir être confondu avec celui qui deviendra plus tard pasteur aux côtés de Clémenceau (il aurait eu seulement 14 ans en 1607 ce qui pose un problème de cohérence).

 

Signent également Pioger (Antoine) apothicaire et « Bardonyn ancien » qui pourrait être Jehan Bardonyn époux de Marguerite Dreux avant 1579. S’agissant de Violette, Simonnet, et Jacques Robin je n’ai pu les relier à qui que ce soit ou, du moins, sans certitude. Violette et Simonnet pourraient être les enfants de deux orfèvres actifs à Poitiers vers 1570 tandis que Jacques Robin pourrait être l’ascendant des Robin protestants de Poitiers au 17ème. Il reste la signature de Hourdau ou Lourdault qui demeure un complet mystère.

 

A côté du greffier des deux procureurs au présidial Véron et Liège, du greffier au bureau des finances (Guyard), du chirurgien (Demayré) des deux marchands (Pain et Delacourt) et du tailleur d’habits Delaleu, on trouve une surreprésentation des hommes de loi avec 4 autres procureurs et deux avocats (mais l’ensemble des règles fixant une discipline ne constituait-elle pas selon eux aussi et surtout une affaire de juristes ?).

 


Pour compléter le tableau, on compte, un docteur en médecine un apothicaire, un marchand pintier et (peut-être) deux fils d’orfèvres.

 

Peut-être un peu moins prestigieuse que la précédente liste (à l’exception peut-être de Pascal Lecoq), les membres du consistoire de Poitiers en 1607 n’en sont pas moins une représentation saisissante de cette minorité religieuse bourgeoise de la ville épiscopale dans toutes ces composantes.

 

Sans oser aller jusqu’au terme de contre-culture, ils donnent l’impression de refléter un échantillon alternatif de la bourgeoisie catholique.

 

 

1 Dans la thèse de Margreet Dieleman (« Le baptême dans les Eglises réformées de France (vers 1555-1685) : un enjeu confessionnel. : l’exemple des provinces synodales de l’Ouest »), celle-ci estime probable que cette mise à jour de 1607 de la discipline de Poitiers fut effectuée pour tenir compte des dernières décisions intervenues lors du Synode national tenu quelques mois auparavant à La Rochelle.

Gravure du 16ème siècle - Représentation de la Saint Barthélémy à Paris

Gravure du 16ème siècle - Représentation de la Saint Barthélémy à Paris

L’illustration des racines prestigieuses du protestantisme à Poitiers


De manière plus ou moins consciente, les acteurs témoignent de l’ancienneté de l’église de Poitiers à travers ces deux actes.

 

A cet égard, l’engagement de ces hommes qui se trouvent en quelque sorte en tête du cortège de l’église de Poitiers, reflète non seulement leurs convictions religieuses, mais atteste aussi pour certains d’entre eux d’une fidélité familiale à la Réforme, enracinée localement dès le début du calvinisme.

 

Même s’il ne m’est pas possible d’établir de manière certaine quelques filiations, il y a à mon sens trop de coïncidences pour que cela ne soit pas le cas.

 

Je commencerai par les deux « primi inter pares » dont la filiation est incontestable et que l’église réformée de Poitiers affiche ostensiblement.

 

Comme j’ai eu l’occasion de le souligner, Antoine de la Duguie et François (de Lavau) de Saint Vertunien sont en effet les fils de deux des universitaires qui furent séduits par la doctrine de Calvin, durant le séjour de celui-ci à Poitiers en 1534. Notables parmi les notables, Antoine de la Duguie père (qui fut un temps membre du corps de ville) dut probablement composer avec une majorité catholique. Avec succès probablement car il fut à l’occasion de quelques périodes de tension communautaires le représentant des réformés avec l’avocat Jehan Boiceau (lui aussi un des calvinistes de la première heure) auprès des autorités de la ville.


En mai 1600, La Duguie et de Saint Vertunien apparaissent donc comme les deux porte-blasons, en tête du cortège.


Isaac Véron le sieur de la Brossardière procureur au présidial en 1593 pourrait avoir un lien familial avec Philippe Véron, procureur à Poitiers un des premiers disciples qui évangélisa le Poitou, l’Aunis et la Saintonge sous le pseudonyme « le ramasseur »après avoir été converti par Calvin pendant son séjour à Poitiers en 1534.

 

Dans la série des adeptes de la première heure ayant endossé une carrière prêcheur, il y a Albert Babinot que j’ai évoqué plus haut et qui pourrait avoir un lien avec le J. Babinot qui signe l’acte de 1600.


Albert Babinot était lecteur de droit à l’université de Poitiers au moment du séjour de Calvin et fit partie du premier cercle, avec Véron, La Duguie, Lavau de Saint Vertunien, Jehan Vernon fils d’un échevin et Jehan Boiceau. Babinot fut prêcheur sous le pseudonyme de « Bonhomme » d’abord en Poitou et puis dans le sud-ouest, en même temps que poète.

 

Dans l’inventaire des registres paroissiaux de Poitiers, point de Babinot au 16ème siècle, si ce n’est le baptême d’un Jacques Babinot le 8 novembre 1572 en la paroisse de Saint Didier (est ce le même que J Babinot signataire 28 ans plus tard ?) qui mérite d’être relevé, étant donné les éléments troublants qu’il contient. Il semble que l’on ait affaire à un baptême catholique d’un enfant dont le père au moins était protestant.

 

«le huitième jour de novembre mil cincq cent soixante et douze, fut baptisé Jacques Babinot, filz de M(essi)re Abel Babinot et de Marye Cailleteau paroissiens de céans, perain noble home Jacques Vaillant Seig(neu)r de la Salle, capitaine de cent home pour le Roy nostre sire (…), mereine dame Jacquette Cailleteau. Signe Jacques Vaillant p(ou)r la Ville ?) »

Archives du Poitou - registre de la paroisse de Saint Didier

 

Plusieurs détails interrogent à commencer par la date du 8 novembre 1572 soit peu après les répercussions de la Saint Barthélémy à Poitiers avec des assassinats qui eurent lieu seulement le 27 octobre et brièvement relatés par le notaire Denis Generoux1 dans son journal.


 

1 Le catholique Denis Generoux, notaire à Partenay, qui fut un témoin et un participant actif au cours des guerres de religions en Poitou et dont le journal (1567-1576) fut publié en 1865 à Niort par Bélisaire Ledain

« Le lendemain jour de lundi (le 27 octobre donc), fort matin, furent tués à Poitiers où j’étais lors, par commandement du lieutenant de Poitou la Haye, ayant reçu lettre du roi, les procureur Briand et Beceleuf et la Royère, Besse, le sergent Ayrault, concierge, l’hoste de Saint-André et quelques autres huguenots morts ; mais chaque catholique sauvait ses amis Mre Jehan Allonneau procureur, huguenot et séditieux outré se sauva chez le sieur de la Mortière où j’étais ».

Extraits relatif à la Saint Barthélémy à Poitiers tiré du journal de Denis Généroux précité iort par Bélisaire Ledain

 

Le nombre des victimes de Poitiers y aurait été plus limité qu’ailleurs. Toutefois, l’annonce des évènements de Paris1, la surprise et l’effroi puis les assassinats d’octobre relatés ont pu conduire les réformés de Poitiers à une vague d’abjurations et de baptêmes catholiques, forcés ou non, à l’instar de nombre de leurs coreligionnaires du Royaume. 


 

Le père de l’enfant qui s’appelle Abel (prénom on ne peut plus protestant) ne signe pas l’acte de baptême, peut-être délibérément ou simplement car il aurait été absent lors du baptême. Plus troublante est la qualité du - d’ailleurs - seul parrain de l’enfant et non deux, comme il était d’usage pour le baptême d’un enfant masculin. Si je n’ai pas encore pu l’identifier formellement, le registre indique toutefois qu’il était capitaine de cent combattants au service du roi. Généroux évoque dans son journal un certain capitaine La Salle de Poitiers aux ordres du roi qui en septembre 1572 fut envoyé « par le lieutenant De la Haye à Partenay avec environ cent soldats pour remettre le château en l’obéissance du roi ».


 

S’agissant maintenant des descendants des martyrs de la cause, je suis tenté d’y mettre Jehan Delugré en tant que fils du marchand libraire Etienne Delugré, qui fut poursuivi par le Parlement comme blasphémateur hérétique et troubles à l’ordre public.


 

Enfermé à la Conciergerie puis transféré à l’Hotel Dieu pour cause de maladie, ce dernier put s’échapper et fut condamné (probablement par contumace) à être brûlé vif et à la confiscation de ses biens par arrêt du Parlement du 22 octobre 1548. Repris à Poitiers et enfermé à nouveau à la conciergerie, un autre arrêt du Parlement du 7 janvier 1550 renvoya l’affaire à l’évêque de Poitiers pour parfaire son procès ce qui lui permit d’échapper à la première sentence2. Il mourut avant le 31 juillet 1572.


 

Je suis également enclin à y joindre Jehan Allonneau le procureur qui signa la Discipline en 1607, sur la base d’un possible lien familial avec son homonyme, le « huguenot et séditieux outré » selon Denis Généroux (voir ci-dessus) qui en octobre 1572 se réfugia chez la Mortière pour échapper au massacre.


 

Au demeurant le fait qu’Allonneau3 se fut réfugié chez la Mortière (ce dernier pouvant être selon Ledain un Darrot possédant le domine de la Mortière) et connu de Généroux ne serait pas étonnant. La famille Allonneau était originaire de Saint Pardoux à côté de Parthenay et le domaine de la Mortière se situerait à Secondigny soit à 10 kms environ de Parthenay. Malgré leurs différences religieuses, ces trois là sont des « pays » du même milieu social.


 

1 Generoux consigne dans son journal dès la fin août 1572 l’assassinat de Coligny et ses conséquences avec l’explication officielle d’alors qui était de déjouer une conspiration.

3 Un Jehan Allonneau, procureur ainsi que sa femme Françoise Rousseau passèrent un acte à Poitiers au printemps 1572 (chez Chauveau notaire)

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14 février 2021 7 14 /02 /février /2021 18:47
Arbre de consanguinité extrait d'un manuel juridique du XVe siècle (conservé à la BNF)

Arbre de consanguinité extrait d'un manuel juridique du XVe siècle (conservé à la BNF)

L’année en cours est un bon prétexte d’article de généalogie. Prenons l’ancêtre ayant le numéro Sosa correspondant à l’année en question, avec un peu de chance, il peut donner lieu à quelques développements et le tour est joué.

 

2020 était un bon cru au regard de ma généalogie mais elle s’avéra si catastrophique pour tant d’autres choses qu’elle m’apparut être une année maudite. La vraie vie entre parenthèses pour une durée indéterminée, le monde rétréci et l’esprit enfermé.

 

2021 est là avec quelques modestes perspectives et peut-être sortir du marasme. Chez moi, 2021 s’appelle Françoise de la Morlière (1646-1713). Un trait d’espoir après l’année de son conjoint Claude Minot (1643-1681) qui, lui, est affublé du désormais terrible numéro Sosa 2020.

 

Évoquer Françoise de la Morlière est une évidence mais pouvais-je passer sous silence Claude Minot au motif qu’il aurait tiré le mauvais numéro ? Ce n’est pas ce que j’ai choisi car j’ai considéré que mes deux ancêtres maternels à la onzième génération font la paire comme le Ying et le Yang, le bon et le mauvais, le blanc et le noir. Un peu comme les ingrédients de la vie quoi.

 

En définitive, même si ce cocktail est parfois insensé, il me semble pour paraphraser Alain Souchon que « la vie ne vaut rien ... » mais « …. rien ne vaut la vie ». Alors bonne année !

Les origines

 

Françoise de La Morlière porte un patronyme peu commun, en tout cas dans la province du Poitou où elle naquit et vécut.

 

Je demeure bloqué sur la même souche formée par Laurens de la Morlière et Renée Le Cocq, les grands parents paternels de Françoise dont je ne sais presque rien, à part que lui était marchand à Châtellerault entre la fin du 16ème siècle et le début du 17ème et qu’elle vient peut-être de la fameuse famille poitevine Le Cocq1.

 

Les la Morlière étaient une famille de notables locaux et non de nobles, contrairement à ce que laisse supposer la particule. Les hommes étaient qualifiés d’« honorable » mais jamais de « noble homme ». Quand à l’origine géographique du nom de famille, sur Geneanet, des La Morlière apparaissent à Paris au 16ème siècle tandis que sur geneabank de très rares actes apparaissent en Charente, en Vendée dans le Calvados ou en Côte d’Or. Donc rien de très probant.

 

En revanche, Claude Minot est porteur d’un patronyme très localisé d’une famille de petits notables identifiée au début du 17ème siècle dans plusieurs paroisses à une dizaine de kilomètres au sud-ouest de Châtellerault, dont surtout Beaumont (aujourd’hui Beaumont Saint-Cyr) et Naintré.

 

Cette famille donna lieu à différentes branches actives dans le domaine juridique (notaires, sergents royaux) ou bien dans l’exploitation d’un relais de poste (chevaucheurs pour le roi puis maîtres de poste).

 

Bien que mon sosa 2020, Claude Minot, fut marchand, son père Joachim avait été sergent royal à Poitiers et son grand-père Fulgent Minot, « notaire sous la cour Touffou2 ».

 

Françoise de la Morlière naquit le 20 septembre 1646 à Marigny Brizay (devenue Jaunay-Marigny) de l’union de François de la Morlière, sergent royal, sieur de Truet3 (né avant 1610-décédé entre 1665 et 1670) et de Marye Delavau (1606-1679) qui était la fille d’un procureur du roi à Châtellerault.

 

Très probablement originaires de Châtellerault, François de la Morlière et sa femme étaient installés à Marigny depuis au moins 1633. La domiciliation de François de la Morlière au lieu dit de Truet dès janvier 1633 est attestée par un acte (filiatif) selon lequel sa soeur Marye de la Morlière lui cède une garantie. En avril de la même année, le couple de la Morlière/Delavau acheta un office de sergent royal à Mathurin Joubert4 pour la somme de 400 livres, en grande partie grâce au patrimoine de Marye Delavau. Dans les deux actes, il est précisé que François de la Morlière était alors praticien, c’est à dire qu’il avait appris la pratique du droit en apprentissage sans être pourvu de diplôme universitaire.

 

Quant à Claude Minot, il naquit dans la paroisse de Saint Germain à Poitiers en mars 1643, de Perrine Girault et de son époux le sergent royal Joachim Minot (1609-1682 à Dissay) que je vous ai déjà présenté. Comme dans le cas de François de la Morlière, il est probable que Joachim Minot avait appris la pratique du droit auprès d’un professionnel du droit, avant d’acquérir un office de sergent royal. Dans son cas particulier, il est probable qu’il a acquis cette pratique de son père qui était notaire.

 

Perrine Girault, sa mère, était la fille d’un simple laboureur à bras de Migné-Auxances, comme en témoigne le contrat de mariage, passé le 15 janvier 1640 chez Johanne notaire à Poitiers. Ainsi et contrairement au couple de la Morlière-Delavau, l’appariement des parents de Claude ressemblerait plus à une histoire d’amour.

 

Je mets cela au conditionnel car je doute qu’il y ait eu une distance sociale très grande entre Joachim Minot, sergent royal mais locataire au moment de son mariage du marchand de draps de soie Coustière et Perrine Girault, dont le beau frère chez qui elle demeurait à l’époque du contrat était un maître artisan cordonnier. Dans la paroisse d’une cité telle que Poitiers (comme peut être d’ailleurs dans une paroisse campagnarde), maîtres artisans ou petits hommes de loi se considéraient probablement comme appartenant au même milieu.

 

Le mariage Minot-Girault témoigne aussi du brassage géographique que produit la ville, même si dans le cas présent l’éloignement des deux berceaux familiaux est relatif. Les Girault venaient de Migné quand les Minot étaient originaires de Naintré, de Beaumont ou bien de Saint Cyr5ce qui fait une distance de 18 kms.

 

La famille Minot demeura installée à Poitiers au moins jusqu’à 1649, date du mariage de Jehan Minot, le frère de Joachim, avec Marguerite Tessereau.

 

Elle revint à une date indéterminée dans le berceau familial de Joachim Minot. Peut-être a-t-il pu revenir dans sa contrée d’origine après y avoir acheté un office de sergent royal ? En tout cas, il avait désormais un appui intéressant car son frère Claude Minot (1613-1701) était devenu le vicaire de Beaumont (en 1644) avant d’obtenir la cure de Naintré (à partir de 1660).

 

 

 

1 Famille de la bourgeoisie protestante du Poitou qui, avec la famille Pidoux, fait partie de l’ascendance de Jean de la Fontaine

2 Il était notaire seigneurial, rattaché apparemment à la juridiction de la châtellenie de Touffou

3 Truet est un lieu dit de la commune de Marigny

4 Acte du 18 avril 1633 passé chez Rivière notaire à Chatellerault.

5 En 1640, Vincente Boutury ou Boutry qui était alors veuve de Fulgent Minot résidait à Bondilly, paroisse de Saint Cyr

 
Acte de mariage de Claude Minot et de Françoise de la Morlière

Acte de mariage de Claude Minot et de Françoise de la Morlière

L’alliance

 

On ne sait rien sur les prémisses du mariage de Françoise de la Morlière et Claude Minot. On peut toutefois conclure qu’un oncle curé n’est pas une mauvaise affaire pour réaliser une belle alliance. Au delà du prestige de l’homme de Dieu, le curé de l’Ancien Régime est en effet un acteur économique et un notable local doté d’une connaissance intime des familles, des réseaux locaux et donc des unions à bon potentiel. En unissant deux familles de sergent royaux de même milieu, il avait été misé sur la sécurité.

 

Claude Minot et Françoise de la Morlière se sont donc épousés le 16 février 1670 en la paroisse de Marigny Brizay :

 

Le septième février 1670 a esté espousé le sieur Claude Minot marchant avec dame Françoise de la Morelière, et du consentement de leurs pères et mères et les bancs ayant esté publiés par trois (divers) dimanches et ne s’estant trouvé aulcun empeschement légitime pour empescher ledit mariage faict en l’église de Marigny le jour et an que dessus

 

L’acte n’étant filiatif, il fut compliqué de retrouver la filiation de Claude Minot6 et ce n’est que récemment, au prix d’une enquête serrée sur la base des différentes signatures que je réussis à percer le mystère.

 

Commençons par Claude Minot. Selon l’acte, Il semble « chaperonné » puisque qu’il ne signe pas en premier (ce qui est pourtant toujours le cas pour l’époux), mais juste en dessous de son père et son oncle Claude Minot qui précise sa qualité de « curé de Naintré ».

 

Suivent les membres de la parentèle de l’épouse qui ne sait pas signer. D’abord, Simon de la Morlière, son frère cadet, qui semble figurer comme le chef de famille, ce qui me conduit à penser que son père était déjà décédé. Puis signent leurs beau-frères, (Jacques) Faure, (Philbert) Thibault. Trois autres signataires apparaissent que je n’ai pas pu identifié : Grabot, Duhesme (ou Dufresne?) et Joubert.

 

Claude Minot est désigné comme étant marchand au moment de son mariage ce qui nous en dit peu sur son métier et sur la marchandise dont il faisait commerce. Le terme de marchand est en effet à l’époque une appellation générique recouvrant l’achat et la vente de marchandises qui pouvaient être très diverses. On peut imaginer qu’il faisait commerce de grains ou de bétail ce qui était le plus plausible à la campagne mais sans certitude.

 

Le couple s’installa probablement à Dissay, à côté de Saint Cyr où avaient vécu les grands parents de Claude Minot puisque c’est là qu’il décéda et que le seul de leurs enfants dont on ait un acte de baptême y est né.

 

De leur union naquirent trois enfants. L’aînée Radegonde était vraisemblablement née vers 1673 car elle se maria en 1698 à Vendeuvre du Poitou, apparemment majeure et donc âgée d’au moins 25 ans. Une deuxième fille, Claude, naquit le 25 septembre 1678 à Dissay mais ne fut baptisée que le 10 octobre. Le curé de Dissay s’offusqua de la négligence des parents, ce dont témoigne le registre paroissial qui précise que « laquelle enfant etan du vingt et cinquième de septembre (dont) nous avons jugé à propos de blamé griefement le père et la mère d’avoir remis si longtemps le baptesme de leur enfant ».

 

Le parrain fut Léonard Minot, maître de poste de la Tricherie et marraine, Claude Minot, que je pense être des cousins au deuxième degré de Claude Minot.

 

Le troisième enfant connu qui est mon ascendant, Pierre, naquit vers 1680. Il ne devait pas connaître son père car Claude Minot décéda le 22 octobre 1681 à l’âge de seulement 38 ans.

 

Françoise de la Morlière décéda à Vendeuvre du Poitou à l’âge de 67 ans, accompagnée notamment par son fils Pierre et son neveu François Thibault. Il semblerait qu’elle ne soit pas remariée après le décès de Claude Minot ce qui est plutôt inhabituel, soit qu’elle fut durablement inconsolable ou bien au contraire dégoûtée pour le reste de sa vie par la gente masculine.

 

J’ai toutefois quelques doutes car cela signifierait qu’un remariage pour la veuve n’aurait pas été indispensable sur le plan économique ce qui était extrêmement rare. De plus, leurs enfants étaient vraiment très jeunes au moment du décès de leur père et donc sans aucune possibilité d’autonomie.

 

Enfin, une des conséquences du décès prématuré d’un père et/ou d’une mère dans l’Ancien Régime que j’ai relevée bien des fois, c’est l’appauvrissement de la descendance ou en tout cas la rupture d’une dynamique d’ascension sociale. Avec le décès, le capital tant économique, social que culturel fond,  absorbé parfois par des tutelles peu scrupuleuses ou incapables de faire face à l’entretien des héritiers mineurs. Les enfants Minot n’échappèrent semble-t-il pas à cette situation.

 

 

6 La filiation de Françoise de la Morlière fut facile à établir dès lors que le patronyme est rare et que les seuls représentants de la Vienne se trouvaient à Marigny.

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30 juillet 2019 2 30 /07 /juillet /2019 20:53
Q comme Querquis

Abel Henri Querquis, mourut le 3 juin 1917 "tué à l'ennemi" au cours de la première boucherie du 20ème siècle à Verdun à l'âge de 23 ans. Il avait été mobilisé à 20 ans à peine et envoyé sur le front cinq mois seulement après son incorporation, une période que l'on doute pouvoir qualifier de préparation, tellement cette guerre ne ressembla à rien. Malgré tout, le jeune vendéen du bocage fit le job pendant ces deux années et demie d'enfer des tranchées avec ces camarades du 6ème régiment d'infanterie. "Excellent soldat qui s'est toujours fait remarquer par son attitude et sa bravoure", il avait survécu à une blessure par éclat d'obus en mai 1916 à Douaumont, au pire de Verdun.

 

Je ne sais rien de lui, à part les informations de son dossier militaire. Je n'ai pas de photos ni de lettres à ses parents ou bien à sa sœur Emma ma grand-mère paternelle qui avait 8 ans lorsqu'elle le vit en civil pour la dernière fois. Peut-être avait-il hérité du teint très hâlé que son père arbore sur cette photo prise en période de moissons à la fin des années 30 ? portait-il dans ces gènes cette fragilité congénitale de la hanche pourtant typiquement bretonne dont fut affectée sa sœur puis une des miennes ? Était il affecté de la maladie des Celtes comme un de mes frères? On ne le saura pas.

 

Avec sa disparition s'effaçait un peu aussi ce curieux nom de Querquis dont la racine pourrait aussi bien évoquer  le mot “église” du néerlandais (après tout des spécialistes des polders s'installèrent en Poitou pour assainir les marais au début du 17ème siècle), la maison en langue bretonne ou enfin, plus simplement, la région du Quercy.

 

"Signer René Querquy"

"Signer René Querquy"

  

 

En effet, c'est un des derniers du nom qui perdait la vie dans cette tranchée en 1917. Jugeons- en par des chiffres sans appel. Ainsi, de 1891 à 1990, l'INSEE recense seulement 24 naissances de Querquis. Aujourd'hui, l'annuaire révèle qu'en tout et pour tout huit personnes portent encore ce nom, essentiellement en Vendée et en Deux Sèvres. Dernière précision patronymique : on comptait dans l'ancien Régime en Vendée des Querquis huppés, pour la plupart protestants (Querqui de la Pouzaire ou du Chatelier), et d'autres plutôt de la roture.   Les miens appartiennent à la seconde catégorie et furent métayers pour la plupart entre Cheffois, Saint Pierre du Chemin et Menomblet. Toutefois et dans la mesure où dans le berceau des Querquis en Vendée, on compte seulement 108 naissances à ce nom sur les 300 années[1] que couvrent les registres du département, il ne me semble pas incongru de penser qu'ils étaient tous descendants d'un ancêtre commun. C'est un patronyme qui semble être à ce titre indéniablement monophylétique[2].

 

Le 3 juin 1917 donc, tout s'arrête pour lui au ravin du Muguet, non loin du fort de Vaux à Verdun où Abel Querquis est enterré à la nécropole nationale de Douaumont dans la tombe 1319.

 

Ses parents durent être  dévastés par la nouvelle, eux qui s'étaient très certainement réfugiés dans leur quotidien de fermiers à Saint Pierre du Chemin, pour oublier que leur unique garçon risquait sa vie en enfer. Ma grand-mère allait grandir désormais en fille unique dans le climat lourd du deuil.

 

Pourtant la vie continua et c'est son prénom qu'il transmit à mon père, ma grand-mère ayant voulu que son premier fils s'appelle Abel, en souvenir posthume de son frère. Bien que fort peu à la mode à l’époque, mon père porta sans faillir ce prénom biblique, possible vestige de la Vendée protestante.

 

[1]Sondage rapide à partir de la base « noms de Vendée » qui, compte-tenu de l’exhaustivité des informations qu’elle retrace constitue à mon sens un indice sérieux,

[2]Dans la classification des êtres vivants, un groupe est dit monophylétique lorsque qu'il regroupe une espèce et tous ses descendants. Appliqué à la généalogie, ce sont tous les descendants d’un ancêtre commun, identifiables en particulier à partir du marqueur d’un patronyme rare et ou très localisé. Ces éléments pourraient corroborer l’explication de l’origine du Quercy (actuels Lot et Tarn et Garonne). On peut imaginer ainsi qu’un homme du Quercy ait pu migré au Moyen Age vers le nord ouest et que son patronyme se soit confondu avec sa province d’origine.

Q comme Querquis

Aîné des garçons d'une grande fratrie, le nouvel Abel déjoua les plans de son agriculteur de père qui avait imaginé que son premier fils reprendrait la ferme familiale. L'instituteur de l'école privée de Menomblet d'abord, puis un des enseignants de Saint-Gabriel à Saint-Laurent -sur-Sèvre ensuite se chargèrent de convaincre mon  grand-père qu'il devait poursuivre des études. N'eut été le respect qu'avait mon grand-père pour la soutane en bon catholique vendéen, mon père aurait fini derrière la charrue après son certificat d'études.

 

Il poursuivit de brillantes études à l'université à Poitiers puis à Clermont-Ferrand et devint enseignant à la faculté en géologie, avec une spécialité de mécanique des sols.

 

Dans les années 80, mon père participa en tant que géologue à plusieurs missions internationales au Cameroun organisés par son ami paléoanthropologue Michel Brunet, pour y dénicher l'équivalent de Lucie en Afrique de l'Ouest, loin du Rift. Mon père y mourut malheureusement d'une maladie tropicale en 1989.

 

Mais Abel survécut encore une fois grâce à Michel Brunet qui finit par trouver son premier premier homme au Tchad, un australopithèque de 3,5 millions d'années, qu'il baptisa Abel en souvenir de son ami et collègue. Ainsi, par un curieux hasard, l'obscur Abel mort dans les tranchées, l'un  des derniers des Querquis devenait en quelque sorte l'un des premiers de l'espèce humaine par le truchement de son neveu.

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25 novembre 2018 7 25 /11 /novembre /2018 22:32

A Zaza à qui j'ai souvent pensé en parcourant sur le web les routes de son pays natal et les malheurs qui y ont semé les soldats de Napoléon.

Napoléon choisit le très prestigieux Masséna pour diriger la dernière tentative d'invasion, destinée à porter un coup décisif au sanctuaire que constituait le Portugal pour l'armée britannique, venue en soutien des troupes portugaises et espagnoles.

 

Il ne mesura pas alors combien cette armée formidable dotée de 65 000 hommes allait être mise à mal une nouvelle fois, non seulement par un ennemi désormais très organisé mais également par les jalousies et ressentiments des généraux Junot, Montbrun et Reynier et du maréchal Ney à l'encontre du commandant suprême de cette nouvelle armée.

 

C'est aussi à cette époque que s'acheva le parcours du soldat Brianceau dans les terres ibériques.

 

La dernière tentative échoue également

 

Masséna prit son commandement à Salamanque en mai 1810. Son armée était constituée des 2ème, 6ème et 8ème corps d'armée.

 

Le premier écueil fut rencontré en Espagne. Ciudad Rodrigo constituant un point stratégique était naturellement défendue par une garnison importante. Il fallut 41 jours pour en venir à bout. La progression fut lente jusqu'à la position stratégique de la ville portugaise d'Almeida qui nécessita un nouveau siège du 15 au 28 aout 1810. Cette fois-ci, la chance sourit aux Français puisque des bombardements firent sauter un dépôt de poudre qui causa de nombreux morts civils et militaires à l'intérieur de la place. L'enceinte n'était pas endommagée mais la confusion due à cette explosion permit aux assiégeants de prendre l'avantage. La capitulation fut proposée puis d'abord refusée avant d'être acceptée. La prise d'Almeida constitua une aubaine car elle contenait des réserves très importantes de nourriture constituées dans la perspective du siège.

 

L'armée française pénétrait dans un territoire déserté par ses habitants marchant vers l'ouest sur la rive droite du Mondego, en direction de Coïmbra. En effet, l'armée anglo-portugaise avait verrouillé l'accès le plus facile vers Lisbonne en tenant des positions stratégiques le long de la rivière Alva.

 

Les différents corps d'armée français se retrouvèrent à Viseu le 21 septembre.

 

La première bataille importante eut lieu à Buçaco le 27 septembre 1810. Cette position stratégique sur la route de Coïmbra est formé d'un long plateau d'environ 100 mètres de hauteur qui surplombe une plaine. Sur le plateau l'armée anglo-portugaise forte de 50 000 hommes barrait la route à l'armée impériale positionnée dans la plaine. L'accès au plateau était défendu par deux routes qui rejoignent le plateau et se prolongent vers Coïmbra, l'un par la route de Buçaco au nord, le second plus au sud. Les forces anglo-portugaise avaient déployé une artillerie conséquente

 

N'étant pas à même de discerner l'importance des troupes ennemies et de la puissance de leur position, Masséna décida d'engager le combat en menant l'offensive principale par la route de Buçaco qui était gardée par trois détachements déployés depuis le milieu de la montagne jusqu'à son sommet, l'autre attaque étant conçue pour prendre d'assaut le plateau par l'autre route. Un premier assaut qui conduisit 5000 soldats au sommet de la crête fut repoussé par une armée puissante qui semblait indélogeable. Quatre autres assauts s'ensuivirent sans succès.

 

Dans la nuit du 28 septembre, l'armée française contourna le plateau par le nord, suivant une route non gardée par les forces alliées en direction de Coïmbra. Le 29 septembre, le plateau fut dépassé, la troupe devait progresser lentement, emmenant avec elle les nombreux blessés lors de la bataille. Pendant ce temps là, les forces anglo-portugaises opéraient un mouvement inverse de retrait par le sud du plateau, dans la perspective de se replier derrière les lignes de Torres Vedras qui avaient été fortifiées pour constituer un barrage protégeant Lisbonne. Fidèle à sa stratégie de la terre brûlée, il emmena dans sa retraite la population civile pour qu'elle trouve refuge derrière la ligne soit près de 300 000 personnes.

 

 

La bataille de Buçaco

La bataille de Buçaco

Les troupes françaises arrivèrent le 1er octobre dans Coïmbra, désertée par ses habitants[1] et les troupes alliées qui l'occupaient, Wellington leur ayant ordonné de se retirer vers le sud, en même temps que l'ensemble de son armée. La ville fut littéralement mise à sac par l'armée française sans que les débordements des soldats comme des officiers aient pu être maîtrisés. Les très nombreux malades et blessés furent installés dans le couvent de Santa Clara a Nova, converti pour l'occasion en hôpital militaire.

 

Le 4 octobre 1810, Masséna ordonna le départ de l'armée pour le sud afin rallier Lisbonne, laissant derrière lui les nombreux blessés de la bataille Buçaco et uniquement une petite garnison d'environ 200 soldats valides.

 

Cette dernière campagne n'atteignit jamais Lisbonne. La ville était défendue par la ligne naturelle de Torres Vedras, des montagnes qui s'étendent de la mer au Tage sur environ 60 kms. L'armée française s'y cassa les dents dans une configuration à peu près similaire à celle qui signa son échec au pied du plateau à Buçaco. En découvrant cet obstacle naturel qui avait été renforcé fortifié à de nombreux endroits, Masséna n'aurait pu  s'empêcher de s'exclamer devant des généraux comme Junot ou Loison qui connaissaient parfaitement le terrain pour l'avoir parcouru en 1807 : "Et ces montagnes ? est ce aussi Wellington qui les a construit ?".

 

Après deux tentatives infructueuses de franchissement à Sobral, l'armée française se retira sur Santarem dans un pays déserté et sans ressources. La retraite devint inéluctable et en mars 1811, les troupes françaises quittèrent une dernière fois le Portugal.

 

[1] Il était fait obligation aux populations civiles de fuir les territoires envahis selon la politique de la terre brûlée de l'armée anglo-portugaise.

gravure de la ville de Coïmbra

gravure de la ville de Coïmbra

 

Prisonnier des Anglais

 

Mais revenons à Louis Brianceau. Abandonné par l'armée le 4 octobre à Coïmbra avec ses camarades, pour l'écrasante majorité malades ou blessés.

 

Le 7 octobre 1810, le lieutenant colonel Nicholas Trant prit d'assaut la ville avec un détachement important d'environ 4000 soldats. A partir de là, les versions divergent.

 

La version héroïque relatée dans "Victoires, conquêtes, désastres, revers et guerres civiles des Français de 1792 à 1815" (tome 20), précise que la garnison française[1] défendit la place, avec l'ardeur du désespoir, sachant que de toute façon la défaite les conduirait avec leurs camarades blessés à une mort certaine. Retranchés dans le couvent, ils continuèrent à le combat avec ceux des blessés pouvant combattre à leurs côtés, jusqu'à l'acceptation de la capitulation proposée par Trant, étonné de tant de résistance.

 

Dans une lettre que Nicholas Trant adressa au Maréchal Beresford pour expliquer les évènements du 7 octobre, il précisa que son entrée dans la ville avec des troupes portugaises de Coïmbra donna lieu à des échanges de coups de feu, mais d'une faible résistance d'au plus une heure. La garnison française demanda la capitulation qui lui fut accordée avec la garantie de Trant qu'il les protégerait contre les troupes portugaises, hors d'elles à cause du pillage et des exactions commises par l'armée française. Finalement, seuls 7 à 8 soldats ne purent échapper à la vindicte des forces portugaises. Nicholas Trant évalua le nombre de prisonniers à environ 5000 dont à peu près 80 officiers mais il précisait le chiffre être approximatif[2].

 

Il déclara avoir assuré le lendemain l'escorte de l'essentiel des prisonniers à Porto, afin d'éviter qu'ils soient massacrés en route. Selon a "history of the Peninsular war" de Charles Oman ce convoi était composé de 3507 malades et blessés, 400 soldats valides et quelques centaines de personnes relevant de l'intendance de l'armée. A leur arrivée à Porto, les soldats français quel que soit leur état, furent exhibés à l'occasion d'une parade qui s'étala sur trois jours ce qui fut reproché à Trant par certains officiers français. Dans "Victoires, conquêtes, désastres, revers et guerres civiles des Français de 1792 à 1815", Nicholas Trant aurait répondu avec ironie et morgue à un officier français qui s'insurgeait de cette parade, que "tous les moyens étaient bons pour exciter et entretenir l'enthousiasme du peuple".

 

En réalité, il semble bien que Nicholas Trant se soit employé à protéger les soldats prisonniers. On trouve un témoignage de reconnaissance d'officiers français adressé à Trant au moment où il quitta son poste de gouverneur de Porto. Également, la fille de Trant, Clarissa, précise que lors d'un séjour à Paris avec son père en 1817, il aurait été reconnu par un ancien officier qui s'était trouvé prisonnier à Coimbra et remercié pour sa conduite exemplaire.

 

Louis Brianceau a dû faire partie des malades ou des blessés, avant d'être convoyé à Porto, ville importante reliée à la mer dans laquelle il était probablement apparu plus simple de loger un nombre aussi impressionnant de prisonniers.

 

 Ils furent cantonnés un temps dans la ville avant que leur évacuation vers l'Angleterre ait été organisée. En effet, au 19ème siècle, l'approche quant au sort fait aux prisonniers de guerre change progressivement et l'emprisonnement se généralise. Les Britanniques privilégièrent l'incarcération au Royaume-Uni pour des raisons tenant à la difficulté de les garder sur place au Portugal, compte-tenu des coûts d'entretien dans un pays dévasté. C'est pour ces mêmes raisons que les accords d'échange avec l'armée ennemie furent d'abord préférés afin de limiter le nombre de personnes à convoyer[3].

 

Le 26 octobre 1810, Wellington écrivit à l'amiral Berkeley qu'il devait mettre à disposition des navires afin d'évacuer 3800 prisonniers français[4], suite à la demande du lieutenant colonel Trant. Il s'agit très certainement du contingent de prisonniers dont il est question ici.

 

Je n'ai pas trouvé exactement quand ce transport put être opéré. Il est possible que finalement ces personnes aient transité d'abord par Lisbonne avant de repartir vers le Royaume-Uni. Là-bas, il aurait été emprisonné soit sur un bateau-prison soit dans une prison du sud de l'Angleterre telle que Porchester Castle qui accueillit en 1810 des prisonniers en provenance du Portugal ou d'Espagne, ou encore la prison de Dartmoor.

 

Le 22 mai 1814, après presque 4 ans de captivité, le soldat Louis Brianceau revenait en France.

 

[1] Selon le lieutenant colonel Trant, cette garnison ne comptait que 200 soldats tandis que dans l'ouvrage précité, elle en aurait compté 500.

[2] ses hommes comptèrent la prise de 3500 fusils

[3] Paul Chamberlain "The release of prisoners of war from Britain in 1813 and 1814". Le même article signale que plus de 43 000 prisonniers du camp napoléonien étaient détenus au Royaume Uni en 1810 (toutes nationalités confondues).

[4] Dans "The dispatches of Field Marshall the Duke of Wellington, KG during his campaigns etc". On notera le chiffre plus précis de 3800 prisonniers. Il demande également que 6 des 12 chirurgiens français à Lisbonne puissent rejoindre Porto pour soigner les blessés. les échanges montrent qu'entre les demandes de l'armée de terre et les possibilités (ou la volonté?) de la marine, il y avait quelques divergences de point de vue ...

 

Les prisonniers de guerre (Jacques de Lalaing - 1883)

Les prisonniers de guerre (Jacques de Lalaing - 1883)

Et après ?

 

Est-ce qu'après cette vie de combats, le soldat Brianceau "est retourné, plein d'usage et raison, vivre entre ses parents le reste de son âge" raccrochant son fusil et sa baillonnette ?

 

Son dossier militaire prouve le contraire. Le 16 septembre 1814, il fut incorporé au 69ème régiment d'infanterie et passa du service de l'Empire à celui de la Restauration.

 

Puis à nouveau aux ordres de l'Empereur échappé de l'Ile d'Elbe. Le 20 mars 1815, Napoléon revint au pouvoir et le soldat Brianceau fut nommé caporal le 6 mai. Napoléon avait certainement besoin de ces soldats chevronnés qui avaient défendu sans faillir la République, le Consulat puis l'Empire, dans la perspective des batailles à venir et notamment de la dernière d'entre elles à Waterloo. Louis Brianceau survécut à ces dernières épreuves et ne rentra en Vendée que le 21 septembre 1815, "par suite de son licenciement".

 

Sa constance dans "la carrière" comme le dit si bien l'hymne national s'explique selon moi.

 

La vie qu'il avait choisi puis dans laquelle il fut ensuite entraîné, cette vie dure, il n'en connaissait pas d'autres ; aucune d'aussi bonne et aventureuse aurait-il peut-être pu songer.

 

Il avait combattu en Vendée, en Bretagne, puis sous le soleil de l'Italie comme dans les rigueurs du nord et de l'Allemagne. Il avait ensuite connu la faim dans la péninsule ibérique, la peur des guérillas - si particulières pour les habitués des champs de bataille classiques - et de la violence qu'elles suscitent, avec des exactions de toute sorte et des pillages auxquels il participa très certainement.

 

Mais ce long parcours de vie passé à pied sur les routes et les champs de bataille d'Europe, il le fit avec d'autres soldats avec lesquels il partagea tout; la joie, l'altruisme, la sauvagerie, les angoisses ou la peur et l'esprit de sacrifice.

 

Dans l'ouvrage "Guerre, être soldat en Afghanistan" pour la rédaction duquel son auteur, Sebastian Junger, s'est immergé dans le conflit afghan, celui-ci décrit parfaitement ce que vivent les hommes dans la guerre. Cette expérience humaine qui transcende les époques et les cultures.

Plus que l’amitié ou la fraternité, c’est l’amour qui lie les hommes du peloton. Ce mot s’impose. Chacun est prêt à risquer sa vie pour n’importe quel autre. Quelle meilleure définition de l’amour ? Donner sa vie pour que l’autre puisse garder la sienne. « Je me jetterais sans hésiter sur une grenade pour eux, m’a dit un gars. N’importe lequel d’entre eux le ferait pour moi. » Et c’était vrai. Ce n’est pas une règle implicite de l’armée. On ne donne pas sa vie pour suivre une règle. Et ce n’est pas l’armée qui peut créer l’amour. Ce sont les circonstances. Le brouillard du combat obscurcit votre destin - on ne sait pas où et quand on va mourir - et de cette interrogation naît un lien désespéré entre les hommes. Ce lien constitue le cœur même de l’expérience du combat et la seule chose sur lequel on peut absolument compter. L’armée peut vous rouler, votre girl-friend vous plaquer et l’ennemi vous tuer, mais l’engagement qui veut que chacun protège la vie des autres n’est pas négociable. Même les religions ne parviennent pas à inspirer un tel amour et cet esprit de sacrifice. C’est ce qui pousse à se surpasser, bien plus que l’instinct de conservation ou un quelconque idéalisme. Le courage est bel et bien de l’amour. Dans la guerre, l’un ne peut exister sans l’autre.[...]

Guerre. être soldat en Afghanistan de Sébastian Junger - le Monde Magazine du 19/2/2011

Assaut mené en avril 1915 sur le front du nord

Assaut mené en avril 1915 sur le front du nord

De retour en Vendée, il recommença tout à zéro puisqu'il fut domestique dans une ferme à 40 ans révolus et non le métayer qu'il aurait pu être au même âge.

 

Il se maria en juillet 1816 avec Marie Merceron, se liant avec une famille que je suppose avoir eu les mêmes affinités politiques que lui-même, devenues à ce moment là très minoritaires.

 

Napoléon parti et la Restauration établie, les notables du village, - napoléoniens d'hier -, sentirent le besoin de changer leur fusil d'épaule. Ainsi, l'accueil au retour par les autorités et la population manqua très certainement de fanfare et de faste.

 

A ce décalage de point de vue, il faut ajouter celui qui devait apparaître entre ces soldats démobilisés et leurs familles.

 

A priori, il n'y eut rien à voir ni à partager avec le frère ou la sœur qui avait travaillé à faire prospérer la métairie. D'ailleurs, ses fréquentations familiales semblent avoir été limitées à son beau-frère Jean Boissinot[1] et à la jeune sœur Marie Perrine. J'imagine qu'il eut bien des histoires à raconter à un auditoire limité et de plus en plus clairsemé.

 

Il mourut le 16 septembre 1823, seulement 8 ans après son retour, à 47 ans, peut-être dans les regrets de cette vie, pourtant faite de guerres.

 

[1] Il est le seul témoin familial à son mariage.

"La dernière chute de Napoléon"

"La dernière chute de Napoléon"

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