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Aussi loin que je me souvienne...

Depuis aussi loin que je me souvienne, j’aime les histoires.

 

Ce goût m’a conduit vers l’Histoire, grâce aux manuels de l’école primaire des années 60 qui nous entraînaient dans ces tentatives de reconstitution de la vie quotidienne des Gaulois et autres Vikings.

 

Les illustrations étaient sommaires et l’auteur concédait quelques incursions dans les biographies stéréotypées de ces héros qui ont fait la France : Vercingétorix, ce noble perdant, Jeanne d’Arc, cette fille du peuple qui remet son roi sur le trône ou bien ce jeune révolutionnaire de 15 ans qui sera assassiné par ces Vendéens obtus pour avoir clamé avec défi : « vive la République, à bas le Roi ».   

 

Vers l’âge de 14 ans, j’ai accompagné les premiers pas de ma mère dans la généalogie, à travers les registres paroissiaux de la petite mairie du village natal de bon nombre de ses ancêtres.

 

Je crois que j’aimais à la fois l’enquête poursuivie et le déchiffrage de ces actes d’état civil, me prenant sans doute un peu pour Champollion qui a trouvé les clés pour décrypter un monde lointain d’histoires quotidiennes.

 

Si loin et si proche, à l’instar de ce que nous racontent les graffitis de Pompéi.

 

Les actes notariés ont permis ensuite d’entrevoir un peu plus les personnes cachées derrière ces lignées et ces dates et m’ont amené à chasser les singularités au-delà des formules très classiques que l’on y trouve. Cette quête permet parfois de glaner quelques pépites comme cette lettre de Paris d’un orfèvre à sa femme aux fins de l’autoriser à prendre un bail et dans laquelle il se répand sur ses déboires judiciaires.

 

A partir de ces éléments épars, je trouve passionnant d’échafauder et d’ajuster des hypothèses à partir des éléments rassemblés et confrontés avec la grande histoire, dans un constant va-et-vient.

 

Dans ce travail, certains détails initialement négligés prennent un sens particulier tandis que d’autres n’ont pas le relief qu’ils promettaient au départ.

 

Ces très modestes assemblages permettent de donner un peu de chair à ces noms et d’esquisser certaines histoires singulières. C’est ce que je me propose de faire très modestement dans ce blog, tenter d’éclairer des fragments de vie de mes ancêtres, à la lumière de la grande histoire.

 

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22 mai 2011 7 22 /05 /mai /2011 17:00

 

PropagandeBirobidjan

Affiche de propagande soviétique incitant les Juifs à s'installer dans la république du Birobidjan (1929)

 

Les Pays du refuge 

 

Les quatre pays principaux dans lesquels les protestants français s’installèrent sont dans l’ordre d’importance le Royaume Uni et les Pays Bas (dans les mêmes proportions) puis l’Allemagne et la Suisse.

 

Dans d’autres pays Europe, des installations plus anecdotiques en nombre se produisirent en Irlande (à partir de l’Angleterre), la Suède, le Danemark et la Russie.

 

L’Angleterre et les Provinces Unies  accueillirent respectivement entre 50 000 et 70 000 personnes.  L’Allemagne reçut environ 45 000 réfugiés essentiellement en Brandebourg puis en Hesse-Cassel et la Suisse dans laquelle s’installèrent de 20 000 protestants français[1].

 

Cette première émigration fut pour certaines familles une étape vers les colonies américaines à partir de l’Angleterre, tandis que d’autres réfugiés résidant dans les Provinces Unies émigrèrent en Afrique du sud.

 

Au-delà de l’émoi des cours européennes suscité par la révocation de l’Edit de Nantes,  parmi les raisons qui motivèrent ces Etats à accueillir les protestants français on en retient en général deux principales.

 

En premier lieu, c’est la communauté de religion entre les persécutés et les Etats d’accueil, ces derniers ayant adopté une religion issue de la Réforme (luthérianisme,  calvinisme et anglicanisme). Pour la Suisse, les Provinces Unies et l’Angleterre d’ailleurs, l’accueil des protestants français avait commencé dès le premier refuge.

 

La deuxième motivation fut d’attirer une main d’œuvre qualifiée et notamment dans le domaine du luxe, secteur dans lequel la France possédait une certaine avance.

 

Au-delà de ces raisons, il y a pour les principautés allemandes protestantes l’opportunité de se relever des conséquences humaines et économiques dramatiques de la guerre de Trente ans[2]. 

 

[1] Ces chiffres sont tirés d’un article De Myriam Yardeni (« un évènement pivot : la révocation de l’Edit de Nantes » dans « L’Etat classique, 1652-1715 », textes réunis par Henry Mechoulan et Joël Cornette), à l’exception de celui retenu pour la Suisse qui est issu d’un ouvrage de Marie Jeanne Ducommun et de Dominique Quadroni, ces deux auteurs estimant que le nombre de réfugiés installés en Suisse est probablement inférieur à 20 000 personnes.

[2] Le territoire allemand aurait perdu un tiers de sa population au cours de cette guerre religieuse et politique ayant opposé l’empire des Habsbourg et les princes protestants, avant que la Suède puis la France se jettent dans la mêlée contre les troupes impériales. Elle s’achève en 1648 par la conclusion des traités de Westphalie.

 

 

 

 

Le refuge anglais

 

Un terreau religieux favorable à l’émigration

 

Jusqu’en 1547, le contexte religieux anglais était peu favorable à l’accueil de réfugiés.

 

En effet, si la scission avec Rome fut opérée par Henri VIII (roi d’Angleterre de 1509 à 1547) après son excommunication par la papauté, il s’agissait avant tout d’une question politique et non pas religieuse.

 

Ainsi ce roi sécularisa les biens monastiques, imposa les traductions de la bible en anglais et plaça la hiérarchie ecclésiastique sous son contrôle, tout en maintenant cette nouvelle doctrine sous le dogme catholique[1].

 

C’est au cours du règne d’Edouard VI (1547-1553), que les réformateurs s’installèrent en Angleterre, à l’instigation du Conseil de régence et de l’archevêque de Canterbury (le roi n’avait que 9 ans lorsqu’il accéda au trône).

 

Le règne d’Edouard VI correspondit ainsi à la première installation de réfugiés protestants français vers 1548 à Londres, ville dans laquelle le temple de Threadneedle street fut fondé 1550.

 

Marie Tudor qui succéda à son demi-frère opéra une brusque restauration du catholicisme. Toutefois, son règne fut court (1553-1558) et l’accession au trône d’Elisabeth 1ère pour un long règne de quarante quatre ans permit à la fois  l’élaboration de la doctrine anglicane[2] à l’intérieur et un soutien aux réformés à l’extérieur.

 

Elisabeth 1ère soutint ainsi le parti protestant en France lors des guerres de religion et son règne fut  propice au premier refuge en Angleterre.

 

Dès 1562, une communauté de réfugiés existait à Rye. En 1565, l’église française de Norwich fut créée tandis que celle de Southampton fut établie en 1567. Au 16ème siècle, on comptait également une communauté française à Canterbury et à Winchelsea. Dans la première moitié du 17ème, Douvres abritait aussi des réfugiés.

 

 

[1] Henri VIII condamna les idées de Luther.

[2] La mise en place de l’église anglicane a été inspirée à la fois de la réforme (Luther, Calvin et Bucer) tout en gardant des traces de catholicisme (mode d’organisation notamment).

 

threadneedlestreet.jpg

 

Temple de Threadneedle Street à Londres

 

Concilier unité religieuse et accueil des réfugiés protestants

 

La politique anglaise favorable notamment à l’égard des calvinistes (Français mais aussi Wallons et Flamands) conduisit les différents souverains anglais à reconnaître et préserver les particularismes d’une organisation ecclésiastique peu compatible avec la hiérarchie de l’église anglicane.

 

En outre, cette tolérance s’accommodait mal avec les frictions existantes entre l’église anglicane d’une part, et l’église presbytérienne d’origine écossaise et d’inspiration calviniste, d’autre part. 

 

Juste avant la guerre civile anglaise, cet avantage de ne pas avoir à se plier à la discipline de l’église anglicane fut contesté par l’épiscopat anglais. Celui-ci argua que ces privilèges accordés aux églises réformées fragilisaient l'épiscopat anglican et que le parti presbytérien pourrait invoquer un jour un tel précédent pour réclamer un traitement dérogatoire de même nature.

 

Les membres des églises réformés nés en Angleterre durent se conformer au rite anglican mais les églises françaises résistèrent et plusieurs ministres furent emprisonnés.

 

L’intervention de la guerre civile et l’arrivée au pouvoir de Cromwell mit un terme à ces exigences.

 

En 1662 après la guerre civile, le « Uniformity Act » exigea l’adhésion à la pratique des rites et cérémonies de l’Eglise anglicane et l’ordination épiscopale pour tous les ministres du culte, sous peine d’être écarté de toute charge publique ou religieuse.

 

Ce souci de renforcer la suprématie de la religion d’Etat induisit une classification entre églises dites « conformistes » rattachables à l’église anglicane et les églises dites « non-conformistes » relevant d’une religion autre qu’une religion chrétienne ou encore toute religion non-anglicane.

 

L’approche admettait toutefois une tolérance à l’égard des communautés protestantes non conformistes, le point commun étant le rejet de la papauté.

 

Les communautés françaises d’Angleterre relevèrent ainsi, soit des églises dites « non-conformistes » ayant conservé les règles d’organisation et la liturgie de la discipline française, soit des églises dites « conformistes » ayant adapté la liturgie anglicane traduite en français et le principe de nomination par l’évêque anglican.

 

Toutefois, les nouvelles communautés créées après 1662 sont incitées à se placer sous l’autorité de l’église anglicane si elles veulent pouvoir bénéficier des dons royaux et de l’accès aux charges royales et municipales pour leurs membres. Il en sera ainsi pour le temple de la Savoie à Londres. Les églises existantes sont quant à elles fortement encouragées à rejoindre le conformisme et l’église anglicane à partir du début du 18ème siècle[1].

    

Contexte politique du second refuge

 

Les premières dragonnades en Poitou et les pressions de l’opinion publique et du Parlement conduisirent Charles II à accorder des privilèges aux réfugiés français venant s’installer dans son royaume dès 1681.

 

Le règne de Jacques II (1685-1689) qui était converti au catholicisme fit craindre la réinstauration du catholicisme comme religion d’Etat.

 

De fait, sa politique fut pour le moins ambigüe sur la question.

 

Ainsi, la déclaration d’indulgence qui consacrait la liberté religieuse notamment au profit des églises dissidentes et des catholiques et un rapprochement avec Louis XIV et la papauté, n’encouragèrent pas les protestants français à se réfugier en Angleterre.

 

Pourtant un édit similaire à celui de son prédécesseur fut promulgué en faveur des réfugiés quittant le royaume après la révocation de l’Edit de Nantes.

 

Par ailleurs, il organise la levée de fonds en faveur des réfugiés (« royal bounty ») mais fait brûler publiquement le livre du pasteur Claude « Les plaintes des protestants cruellement persécutés dans le royaume de France » (1686)  à la demande de Louis XIV.

 

Cette politique qui illustrait au demeurant une position peu lisible à l’égard de la religion anglicane, conduisit les grands seigneurs anglais à faire appel à Guillaume d’Orange[2], Stadhouder de Hollande et gendre de Jacques II qui envahit l’Angleterre en novembre 1688 et déposa son beau-père. c’est la « Glorieuse Révolution ».

 

Or, celui qui deviendra Guillaume III d’Angleterre était clairement protestant ce qui conforta désormais l’Angleterre comme une terre d’accueil privilégiée pour les protestants français.


[1] L’église de Southampton deviendra conformiste après 1711, date à laquelle un acte du Parlement est passé afin de décourager les églises non-conformistes protestantes.

[2] C’est la naissance d’un héritier mâle de Jacques II qui fit craindre que l’enfant, placé en premier dans la liste de la succession fut baptisé catholique, conduisant à un retour du catholicisme comme religion d’Etat.

 

 

Les destinations anglaises du second refuge

 

Le deuxième refuge renforça en nombre les communautés préexistantes et donna naissance à de nouvelles communautés.

A la fin du 17ème siècle, l’écrasante majorité des protestants était installée dans le sud-est de l’Angleterre (Londres, Canterbury, Ipswich, Colchester, Thorpe-le-Soken, Faversham, Douvres, Southampton) et dans une moindre mesure dans le sud-ouest (Bristol, Exeter, Barnstable, Bideford, Dartmouth et Plymouth) à l’exception notable d’une petite communauté vivant à Edimbourg et des réfugiés installés dans les îles Anglo-Normandes.

 

C’est à Londres que vivait l’essentiel de la population réfugiée et, en particulier, dans  le quartier de Threadneedle Street qui s’imposa comme le centre de cette émigration[1].

 

Avec l’afflux massif de réfugiés d’autres localisations furent privilégiées, en particulier dans les faubourgs où la vie était moins chère et les règles des corporations moins contraignantes.

 

A l’est Spitalfields dont un premier temple[2] fut fondé sous le règne de Jacques II, accueillait des spécialistes de l’industrie textile et en particulier de la soierie (20000 réfugiés).

 

A l’ouest, à Soho[3], ce sont les artisans du luxe (parfumeurs, perruquiers, horlogers etc.) qui s’installèrent donnant lieu à une implantation socialement plus riche.

 

A la fin du 17ème, on estime que les refugiés français représentaient un peu moins de 5% de la population de Londres qui comptait à peu près 500 000 habitants, cette ville ayant 24 à 25 églises protestantes dont 8 à 9 étaient conformistes et le reste non-conformiste.

 

 

localisationprotestantslondres.jpg

 

 Carte de Londres en 1688 - Localisation des quartiers des réfugiés: A l'ouest Westminster (point parme), Picadilly, Soho et Leceisterfields (bleu foncé et clairs). Au centre, Long Acre, Seven Dials (en violet). Threadneedle Street (point noir). A l'est, Spitalfields (blanc), Bishopgate et Algate (jaune et orangé) et Shoreditch (vert). Rive sud de la Tamise, Southwark.

 

 

Dans le reste du pays et si l’on excepte les îles anglo-normandes, un tiers des protestants français vivait à Canterbury. Ensuite, Southampton, Douvres et Bristol abritaient des communautés importantes tandis qu’une dernière partie vivait dans le Devon (Plymouth et Exeter pour l’essentiel).

 

En Angleterre comme dans tous les pays du refuge, l’arrivée dans la communauté d’accueil nécessitait de montrer un témoignage garantissant le protestantisme du récipiendaire, ceci afin d’éviter les infiltrations de la part d’espions. Ce témoignage était en général fourni par le pasteur de l’église d’origine.

 

Souvent pourtant, il était impossible de témoigner autrement que par sa bonne foi.

 

Les personnes ayant été contraintes d’abjurer la religion protestante procédaient à une nouvelle abjuration, cette fois-ci de la religion catholique.

 

Les réfugiés arrivaient souvent dans un dénuement total aussi des structures permettant une assistance financière et alimentaire se mirent en place.

 

Les dons provenaient des membres de la communauté mais aussi des collectes publiques ainsi que des sommes versées par le roi (royal bounty). Un hospice français fut créé au nord de Spitalfields à l’initiative de Jacques de Gatigny afin d’y accueillir les huguenots pauvres.

 

Tous n’étaient cependant pas dans le besoin et l’on estime que 10% des dépôts effectués pour fonder la banque d’Angleterre provenaient de familles huguenotes réfugiées.

 

L’intégration des réfugiés passa par deux types de statuts juridiques.

 

D’abord, la « denization » accordée par la couronne pour la première fois en 1681 par Charles II qui donnait certains attributs de la citoyenneté (droit de propriété et de transmission de la propriété) mais qui soumettait ses titulaires au paiement de certaines taxes et à l’exclusion du droit de vote.

 

Ensuite, en 1708, le premier acte de naturalisation fut pris à l’égard des protestants français qui devinrent ainsi pleinement des sujets anglais.

 

[1] Si le temple de Threadneedle street est le plus important et le plus ancien (strictement calviniste), un autre temple existe déjà dans Londres à cette époque, c’est le temple de la Savoie qui est, lui, conformiste. Pour le détail des églises créées à Londres voir « Histoire des réfugiés protestants de France depuis la révocation de l'Edit de Nantes jusqu'à nos jours » Charles Weiss, 1853, Tome I).

[2] Dans Spitalfields, plusieurs autres églises furent fondées (Bell Lane, la Patente en Spitalfields (ou nouvelle patente), Wheeler Street).

[3] Le temple de La Patente y est fondé en 1689

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commentaires

M
<br /> Si cette ouvrage vous intéresse il est à votre disposition le cas échéant.<br /> <br /> <br />
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M
<br /> Bonjour,<br /> <br /> Site très instructif et je me permets de vous faire part d'un ouvrage qui peut-être peut vous intéresser. C'est un livre de liturgie protestante qui circulait sous le manteau et imprimé à Amsterdam<br /> en MDCCLXV.<br /> Voici le titre en première de couverture : " liturgie pour les protestans de france, ou prières pour les familles des fidéles privés de leur religion.<br /> <br /> Cordialement.<br /> <br /> <br />
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F
<br /> <br /> Bonjour,<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Merci pour l'intérêt que vous avez trouvé à cet article. A propos de la référence que vous évoquez, je prépare un article sur le refuge aux Pays Bas et il apparaît que la très grande tolérance<br /> couplée au fait que ce fut une terre de refuge a conduit à produire dans ce pays l'essentiel des livres interdits y compris de liturgie qui étaient ensuite introduits clandestinement en France.<br /> <br /> <br /> <br />